INTERVIEW

Hologramme : "J’aime créer des choses qui repoussent les limites de ce qui existe."

Publié le

4 juin 2025

Surfaces, le nouvel EP de l’artiste électronique montréalais Hologramme, est sorti il y a quelques jours, le 30 mai dernier. Lancé à la SAT – Société des arts technologiques de Montréal – lors d’une expérience audiovisuelle immersive, il marque le lien entre la musique et l’image qu’il cultive soigneusement. Un EP instinctif, libre. Ici, pas de définition figée, mais une exploration constante d’atmosphères et de sensations. La chanteuse Anaïs Cardot prête sa voix sur l’un des titres, fait rare pour cet artiste qui crée principalement des morceaux sans paroles. Proche de l’univers de la mode, sans chercher à y être lui-même, il a signé plusieurs collaborations avec Chanel ou Audemars Piguet. Rencontre avec un artiste pour qui l’exploration est au fondement de sa carrière et de son évolution.

Hologramme ©DR

L’histoire de "Tulip", extrait de votre EP Surfaces, a commencé dans un van. Pourriez-vous nous parler de la genèse de ce morceau et de ce qu’il représente pour vous ?
Je suis retombé sur un de mes anciens projets. Une session que j’avais complètement oubliée. J’ouvre le fichier, et je me dis : "Il y a quelque chose là-dedans !". Je me suis souvenu que c’était dans un van, en tournée à travers le Canada avec un ami. J’étais à l’arrière avec mes écouteurs, un peu déconnecté du monde. Ce que j’avais fait à ce moment-là, c’était une ébauche du bridge — section d’un morceau de musique qui sert de transition, souvent pour créer une rupture ou apporter un contraste, ndlr —. Tous les ingrédients étaient déjà là : la lumière dans les accords, l’énergie. Je testais plein de choses, je voulais exactement comprendre ce qui faisait que j’aimais ce son. Je voulais tester un morceau plus house, c’est quelque chose que je fais moins actuellement, mais qui, là, sonnait comme un morceau qui t’enveloppe, avec une longue intro.

Comment s’est passée votre rencontre avec Anaïs Cardot ?
Naturellement ! J’avais rencontré son manager à Los Angeles, puis, à mon retour à Montréal, il m’écrit : "Ce serait cool qu’Anaïs et toi soyez en studio, elle va être de passage à Montréal !". On s’est retrouvés au studio, sans avoir idée de ce qu’on allait faire. C’était vraiment spontané, je ne m’attendais pas à ce qu’on enregistre ! On a parlé deux heures de la vie, de nos émotions. Et je lui ai fait écouter un projet qui l’a inspirée tout de suite, elle est entrée dans la cabine pour enregistrer. Un ami à elle était là et ils ont coécrit. À la fin de la session, la chanson existait.

"Il y a deux étapes dans la création : le moment de plaisir, et le moment de douleur."


Ce morceau, vous l’avez réalisé naturellement et pour vous amuser. Aujourd’hui, vous avez une carrière, un nom, est-ce que vous créez encore pour vous amuser ?

Je pense qu’il y a deux étapes dans la création : le moment de plaisir, et le moment de douleur. Le moment plaisir, c’est quand tout est fluide. C’est un exutoire, ça déborde. Tu joues et tu n’as pas conscience d’être au travail. Les meilleurs morceaux naissent souvent là, dans cet espace sans cadre, sans attente. Puis, il y a l’autre phase, là où tu structures, tu raffines, tu précises. Et là… c’est du travail, beaucoup de doutes, c’est là où c’est le moins plaisant pour moi, parce que c’est beaucoup d’insécurités. Tu passes de "c’est trop cool" à "est-ce que c’est assez bon ?". Ça te secoue. Mais c’est là aussi que les choses prennent forme.

Vous expliquez que ce n’est pas parce que vous réalisez des morceaux sans poser de voix qu’ils sont dépourvus de sens. Pourquoi alors avoir choisi d’en poser une sur "Tulip" ?

Il y avait de l’espace. Et surtout, j’entendais des mélodies, des fragments vocaux dans ma tête. J’ai tenté de poser des samples — extraits sonores, ndlr — mais ça n’allait pas, ça faisait vraiment kitsch. Il manquait un sens, plus grand, on avait besoin de se faire bercer par les mots. Et puis, j’adore collaborer. Plus on collabore, plus il y a de magie.
Dans le clip de "Tulip", il y a cette esthétique rétro-futuriste. Quelles sont vos influences visuelles, littéraires, musicales derrière tout ça ?

Bonne question ! Je crois qu’il y a un côté analogue dans ma musique, intemporel. J’aime créer des choses qui repoussent les limites de ce qui existe, aller chercher des sons futuristes, des visuels aussi. J’aime le côté distordu, organique, qui ne colle pas forcément à la mode, je m’en éloigne même, donc je n’ai pas de références à proprement parler. Et pour être honnête, sur cet EP, c’était juste moi et mon designer, sans budget promo. Je voulais m’amuser à chaque création, il n’y a pas d’univers précis. Il y a les fleurs, le printemps, le mouvement, le renouveau, mais on ne s’est arrêté à aucun d’eux réellement, et sans référence précise parce qu’il y a cette idée du renouveau justement.

"Si je devais expliquer cet EP, c’est de la spontanéité."

Et Surface comme titre d’EP ? Ça évoque à la fois les apparences, les profondeurs. Il y a un double sens ?
Si je devais expliquer cet EP, c’est de la spontanéité, et parfois on y trouve un sens, par la suite. Je dirais que ce qui l’explique le mieux, c’est ces deux côtés, la surface, le rêve. Il y a aussi le moment où j’ai créé ces morceaux. L’année dernière, je suis parti sur un coup de tête à Paris pendant 3 mois, je me suis dit : "Et si je refaisais ma vie ici ? Est-ce que ça va changer ma manière de créer ?". Je me disais que je rencontrerais des gens, que je serais dans un écosystème plus inspirant. Je voyais le fait de changer d’environnement faire de moi une autre personne. Puis, plus je montais dans cette pyramide sociale, plus je me rendais compte que tout ça, c’était plus de la surface. Ce qui compte dans la création, c’est ce qui vient de toi, ton souvenir, ta vérité la plus sincère. C’est ça Surface : porter plus d’attention à son instinct, à sa profondeur, qu’à la surface. C’est ça l’album, entre autres, parce que c’est aussi plein d’autres choses…

Hologramme ©DR

Sur Instagram, vous confiez que les grands shows apportent parfois une déconnexion avec le public. C’est lié à ce que vous racontiez sur votre voyage à Paris ?

En fait, je ne dis pas non aux grosses salles. Si tu me proposes le Trianon demain, bien sûr que je le fais ! Mais en revenant de Paris, j’ai remis en question ma manière de faire des concerts. Avant, je faisais un concert par an, et je le faisais hyper bien, avec des effets spéciaux, etc… et je me suis dit : "Mais pourquoi mettre une barre haute comme ça ?" La musique, c’est communautaire, la musique doit être accessible, démocratisée. Alors j’ai fait des petits shows solos, dans des clubs, sur des toits. Je mettais un lien en story et ça partait en 5 min, ça a créé un petit buzz à Montréal, et ça a changé aussi la perception sur moi en tant qu’artiste. Je pense que la réponse est là : partager avec sa communauté et être proche des gens. Les deux types de shows sont géniaux finalement.

Vous cherchez cette dimension visuelle sur scène, immersive, est-ce que l’image traduit quelque chose que la musique n’arrive pas à dire ?

Oui, parce que ma musique est instrumentale, c’est moins populaire. Et ce n’est pas toujours ce qui touche le plus le public. Les visuels viennent amplifier ça. Donner une dimension supplémentaire. Créer une expérience. Et j’adore collaborer avec des artistes visuels, ça enrichit tout. Je veux que les gens vivent quelque chose de complet.

"Pour Audemars Piguet, j’ai plongé dans un univers très rétro, très analogique. Un peu à la ‘Plantasia’, cet album des années 1970 qu’on fait écouter aux plantes pour qu’elles soient heureuses." [Rires]

Vous parlez de collaboration, il y a eu celle avec Chanel. Comment ça s’est passé ?
À Paris, j’ai rencontré du monde issu du milieu de la mode. Et quand je suis revenu, j’ai reçu un mail : Chanel voulait utiliser un de mes morceaux pour une campagne. Je n’ai pas pu créer à proprement parler à partir de quelque chose, mais c’était quand même super cool ! Et ensuite, Audemars Piguet m’a commandé une œuvre pour une campagne. Là, j’ai créé sur mesure.

Vous êtes parti de quoi pour créer pour Audemars Piguet ?
C’était grâce à Prodigious France, une boîte de production musicale. Ils m’ont proposé à la marque. J’ai fait deux maquettes, ils en ont choisi une. Et j’ai plongé dans un univers très rétro, très analogique. Un peu à la Plantasia, cet album des années 1970 qu’on fait écouter aux plantes pour qu’elles soient heureuses. [Rires] J’ai composé une trame qui suit l’histoire du personnage qui explore la montagne suisse. J’adore créer de la musique à partir de visuels. Sur le long terme, si je peux commencer à faire des longs métrages, je pense que j’en serais très heureux.

Hologramme ©DR

La mode vous apporte quoi en tant qu’artiste électronique ?

Je trouve que ma musique se déploie bien dans cet univers-là. C’est dreamy, c’est chaleureux, mais y’a une part d’étrangeté, de mystère. Quelque chose d’un peu inaccessible, d’hypnotique. Je crois que ça colle bien à l’esthétique mode. Par exemple, qu’on me propose une trame pour un défilé, je trouverais ça hallucinant. Mais au-delà de ça, je fais une musique plus de niche et authentique, très liée à mes goûts, donc ça me permet de financer mes projets, de respirer un peu.

Qu’est-ce qui te fait autant vibrer dans la musique à l’image ?

C’est l’idée de véhiculer une émotion, d’avoir une grande liberté, d’avoir ce grand espace de création.

L’audio est indissociable du visuel ?

Je pense que le visuel est dissociable de l’audio, mais l’audio est indissociable du visuel. Un film sans musique, ce n’est pas le même film.

"Surfaces", Hologramme, disponible partout.

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