INTERVIEW
Publié le
21 novembre 2025
Alors que la cinquième saison d’Emily in Paris s’apprête à débarquer sur les écrans, Arnaud Binard poursuit son aventure dans la série à succès de Netflix. Présent depuis la saison 2, l’acteur français y incarne Laurent G., un personnage qui a su évoluer au fil des épisodes. Pour S-quive, il revient sur son parcours, ses choix artistiques, son attachement à la liberté et sa vision du métier, entre productions internationales, enracinement personnel et projets en développement.
Emily in Paris revient bientôt pour une cinquième saison : comment avez-vous vu évoluer votre personnage, Laurent G., depuis votre arrivée dans la série ?
Au début de la saison 2, je n’avais pas plus de visibilité sur la suite que ça. Et, au fur et à mesure, il y a eu la surprise d’être présent sur la fin de la saison, avec une scène qui laissait penser que je pouvais revenir en saison 3. Finalement, ils ont développé mon personnage et j’ai eu de belles histoires à défendre jusque-là. Aujourd’hui, je suis encore là et c’est chouette, j’ai beaucoup de chance. C’est une super équipe.
Cette série a une audience mondiale — qu’est-ce que cela change pour un acteur français habitué aux productions nationales ?
Alors, ce n’est peut-être pas arrivé jusqu’en France, mais j’allais tourner pour une plateforme une série sur le complot et la conspiration des Illuminés, assez sympa, qui s’appelait Greystones. Ensuite, j’ai fait une série qui a été primée aux Emmy Awards. J’ai aussi eu la chance d’être dans la série Modern Family, dans laquelle j’avais un joli personnage, un guest sur un épisode tourné à Paris. J’avais déjà eu des expériences internationales, et Emily in Paris m’a permis de développer un peu cette relation que j’ai avec le territoire anglo-saxon : d’avoir un manager, Steven Adams. Aujourd’hui, c’est vrai, j’ai plutôt plus d’opportunités qu’avant à l’international, et ça a aussi relancé assez favorablement mon parcours en France. J’ai toujours travaillé régulièrement, j’ai eu beaucoup de chance, mais j’avais un peu moins le choix. Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir faire des projets qui me plaisent, d’avoir un peu plus de choix — ce qui n’est pas rien.
"C’était vraiment un chouette défi d’incarner cet envers du décor, l’ombre de Luke, finalement."
Vous jouez aussi dans Lucky Luke, Été 36 et Cat’s Eyes 2. Il y a une belle diversité de genres — comment choisissez-vous vos projets aujourd’hui ?
Tout repose sur un ensemble de paramètres qui déclenchent chez moi une forme d’enthousiasme, d’excitation à participer au projet. Le premier, ce sont les camarades que je vais retrouver : le réalisateur, l’équipe de production, les gens avec qui je vais travailler sur le plateau. Ça participe énormément. Il y a aussi le scénario évidemment : la thématique, et pour moi la possibilité de trouver une nouvelle aventure, un personnage inédit, quelque chose que je n’ai pas encore eu l’occasion de faire. Ça joue beaucoup. Ça me permet d’explorer plus profondément, de faire des recherches.
Dans Lucky Luke, vous rejoignez un univers mythique. Comment aborde-t-on un tel rôle sans tomber dans le cliché du héros de bande dessinée ?
Le personnage que j’avais à défendre était très intéressant : c’est la némésis de Lucky Luke, un peu son ange noir, qui n’existe pas dans la BD. Ça a été un ajout des auteurs, avec une dimension assez mythologique : l’incarnation du mal et de la peur de Lucky Luke. C’était vraiment un chouette défi d’incarner cet envers du décor, l’ombre de Luke, finalement. C’était peut-être moins compliqué pour moi que pour Alban, par exemple, qui incarne un personnage déjà existant. J’ai des partenaires merveilleux, j’ai beaucoup de chance de faire partie de cette aventure. Ils ont fait un boulot de dingue, et je suis sûr que les gens vont être amenés dans un univers très western.
La fiction française semble se réinventer depuis quelques années. Vous disiez récemment que "la production française a rattrapé son retard". Qu’est-ce qui, selon vous, a provoqué ce sursaut ?
Les spectateurs ont désormais la possibilité d’accéder à des propositions artistiques plus variées. L’arrivée des plateformes a permis l’émergence de contenus atypiques et plus singuliers. C’est ça qui a bougé les lignes, qui a réveillé les diffuseurs linéaires en France. Ils se sont dit : "Avec le niveau qu’il y a ailleurs, il faut qu’on ose nous aussi défricher des territoires plus singuliers". Jusqu’alors, c’était réservé à certaines cases sur certaines chaînes. Canal+, Arte faisaient des choses, mais les chaînes géraient tranquillement leurs succès. Avec les plateformes, elles se sont retrouvées concurrencées. Et finalement, c’est l’audience — vous et moi — qui pousse à demander plus de profondeur. C’est plus intéressant pour nous aussi, et on a aujourd’hui affaire à des gens plus aguerris. C’est chouette.
"Depuis presque 40 ans, je progresse. Il n’y a pas un jour où je n’apprends pas."
Vous êtes à la fois acteur, producteur, surfeur… Ce goût de la liberté, est-ce ce qui relie toutes vos activités ?
Oui, certainement. En tout cas, la peur de ne plus l’être. C’est à la fois une conquête et une suite logique. C’est un moteur pour moi. J’essaie toujours de me libérer — et Dieu sait que j’en ai besoin.
Vous avez longtemps mené votre carrière loin des grands centres urbains. Ce choix, c’était une manière de préserver une forme d’équilibre ?
Oui, certainement. J’aurais eu du mal à renier toute une partie de moi encore un peu sauvage — même si je l’ai disciplinée — et qui m’inquiétait. Les activités de plein air m’ont permis de structurer cette énergie, de la canaliser. Et en même temps, j’ai canalisé mon énergie cérébrale par la littérature et la musique. C’était indissociable. Mon enracinement dans le Sud-Ouest, une région très diverse entre océan, montagne, campagne… Avec aussi des centres urbains : Saint-Sébastien, Toulouse, Biarritz. On n’est jamais très loin en France grâce au train. Personne n’est trop isolé — et c’est très bien.
Vous avez créé vos propres sociétés de production — est-ce une envie de reprendre le contrôle sur vos histoires ?
En tout cas, de tenter d’initier les projets. Mais j’aime les aventures d’équipe : j’ai toujours fondé ces sociétés avec des associés. J’aime quand les projets des copains émergent et vivent. Par exemple, on vient de sortir un petit film pour Moncler avec un ami réalisateur qui habite à côté de chez moi. J’aime cette énergie qui circule, qui rebondit d’une personne à une autre, et faire en sorte qu’on partage les opportunités.
Vous avez commencé par le théâtre, puis la télévision, le cinéma, le streaming… Qu’est-ce que vous aimez encore apprendre du métier ?
J’ai beaucoup d’appétit cette année. J’ai énormément tourné depuis mars, et il n’y a pas eu un jour où je n’ai rien ressenti. J’ai tellement d’amis dans ce métier — un métier difficile, injuste parfois, où on ne travaille pas toujours comme on voudrait ou comme on le mériterait. Depuis presque 40 ans, je progresse. Il n’y a pas un jour où je n’apprends pas. C’est ça qui est dingue. Je suis vraiment à la recherche de cette progression. J’ai toujours besoin de nouveaux défis. Et j’apprécie d’autant plus les périodes où je travaille, car il y en a eu d’autres où ce n’était pas le cas. Je mesure la chance que j’ai.
"J’essaie de faire avancer les valeurs qui me sont chères : le partage, l’humanisme, la générosité, l’empathie."
Vous parlez de la foi, de la grâce, de l’humain marginal… Avez-vous un rôle rêvé qui réunirait ces thèmes ?
Eh bien, si je vous disais que c’est en développement actuellement. J’ai plusieurs projets en cours d’écriture et de développement pour le cinéma et pour une série. C’est assez récurrent : cette singularité, cette marginalité, la frontière. C’est une thématique qui m’intéresse, notamment dans la manière d’être en groupe : comment on s’intègre, comment on n’y arrive pas, surtout aujourd’hui où la technologie a tellement pris le pas sur nos compétences sociales. On est seuls, mais entourés de réseaux sociaux qui donnent parfois l’illusion d’être en contact. Je suis intéressé par ce qui se passe à la frontière de cette société, quand l’électricité est coupée, quand les téléphones ne fonctionnent plus. Comment on refait société, comment on retrouve du sens.
Qu’esquive Arnaud Binard — l’acteur, le producteur, ou l’homme ?
J’esquive la confrontation inutile. J’essaie de parler entre les lignes. J’essaie de faire avancer les valeurs qui me sont chères : le partage, l’humanisme, la générosité, l’empathie. Je préfère éviter les conflits et la violence, qui écrasent tout et ne portent pas les résultats qu’on attend. Je pense qu’il n’y a pas de grands combattants qui ne sachent esquiver les coups. J’essaie de transmettre ce que je vois du monde, et je pense qu’on fait tous un peu cela : transmettre notre expérience du monde.