INTERVIEW

Alex Maujer et son Carnet de bordel : "Je me ruine de questions sur l'être humain."

Publié le

24 octobre 2022

Guidé par la curiosité et l’hédonisme à l’instar de nombreux jeunes gens de sa génération, Alex Maujer maîtrise aussi bien la punchline sur son compte Instagram que dans son Carnet de Bordel (éditions Kiwi), recueil de récits existentiels superbement illustré, où le trivial flirte constamment avec la poésie. Drôle et touchant, il y relate ses amours, ses emmerdes, ses questionnements, entre paradoxes et absurdités du quotidien. Tout juste lancé dans un nouveau défi, il se confie sur ses passions : du rap à la philosophie, en passant par la photographie. Rencontre avec un "même pas trentenaire" libre et créatif.

couverture Carnet de bordel Alex Maujer

Comment ça va, dans tout ce bordel ?

Trop bien, je viens de rentrer à Paris après quelques semaines de déplacements donc je suis content de dormir à nouveau dans mon lit, il m’avait grave manqué !

Racontez-moi votre première rencontre avec les punchlines.

Ça date ! Ado, j’écoutais beaucoup de rap US donc j’étais fan de cette culture hip-hop / street qui allait avec. Cela m’a amené à écrire du rap avec mes amis au lycée et je suis tombé dans ce jeu de recherche perpétuelle de bonnes punchlines. Mon écriture était par conséquent très centrée sur la musique. C’était un délire entre potes, histoire d’occuper nos après-midis et nos week-ends.

Comment en êtes-vous venu à écrire des posts sur Instagram ?

J’ai vécu à New-York entre 2019 et 2021 donc je me suis retrouvé bloqué durant toute la période Covid comme tout le monde. Écrire des textes me manquait, mais j’avais rien pour enregistrer sur place, ni même accès à des studios ou des potes qui avaient un home-studio. Du coup je me suis dit que je n’avais pas à écrire des textes uniquement dans le but d’enregistrer par la suite et c’est comme ça que j’ai commencé à poster des aphorismes et des punchlines sur Instagram.

"Je ne veux pas tout donner au lectorat et dans certains cas je préfère rester incompris."

Et tu en as fait un recueil !

C’est drôle parce que récemment, j’essayais de me rappeler l’exact moment où j’ai eu l’idée de créer mon compte Instagram @carnetdebordel. Mais c’est un peu flou. J'avais envie de reprendre l’écriture c’est certain, et le format court sur Instagram permet d’être rapide et d’avoir une lecture simple : soit on aime soit on aime pas. Sur les réseaux, ça va vite : on scroll, on like ou pas… Ce type de format se prête bien au jeu.

Finalement, parmi ces bribes, ces "tranches de vie", tout ce bordel... quel est le vrai sujet ?

C’est une bonne question. Ça touche à tous les sujets : je mets quelques bribes de ma vie, des parcelles de valeurs que je défends, des observations sur mes expériences, mes amours, mes échecs, mes interrogations, mes philosophies de vie, etc. C’est un mix de sujets variés où l’on peut facilement se retrouver. Et puis, il y a une forme de mystère entretenu, avec une seconde lecture qui ne parlera peut-être qu’à mes proches qui me connaissent très bien, voire à personne, car je tiens à entretenir le flou parfois. Je ne veux pas tout donner au lectorat et dans certains cas je préfère rester incompris.

Sarah Degny alias @ladelicatessedesmots nous expliquait comment le quotidien l’inspirait. D’autres situations moins intimes vous inspirent aussi ?

Alors déjà, dédicace à Sarah ! C’est une super amie aujourd’hui, rencontrée via Instagram. Je l’adore et elle est ultra talentueuse. Et pour en revenir à la question, un rien m’inspire… Les gens en général et tout type de situations. Je peux être intrigué par un mouvement de foule aussi. Genre, les aéroports – parce que j’ai la chance de beaucoup voyager - me fascinent. A chaque fois, ça me fait le même effet. Voir tous ces gens, réunis au même endroit à un instant T… Et quand tu lèves le regard vers le tableau des départs, tu te dis que tous ces destins se croisent, que tous ces gens ont forcément des merdes dans leur vie, des succès, des doutes et des histoires à leurs compteurs et toi tu ne les connais pas. Tune peux que les imaginer. C’est une mise en perspective multiple en un temps très réduit.

"Je n’avais pas envie de tomber dans une forme de facilité même si écrire une bonne punchline c’est super dur."

Y a-t-il d'autres qualités que l'observation à privilégier chez un écrivain selon vous ?

L’observation oui, et la sensibilité qu’on trouve dans chacune des choses que l’on vit ou observe. Peu importe son origine, cette sensibilité nous rend à l’affût de divers types d’émotions donc je n’aurai pas les mêmes qu’un autre écrivain et vice versa. Tout le monde peut écrire, avec sa propre sensibilité. Ensuite ça plaît ou non mais depuis que j’ai créé le compte, c’est assez drôle de voir le nombre de gens qui écrivent et qui ont des comptes aussi pour partager leur art et créativité !  

Vos posts oscillent entre la gravité et la légèreté. Peux-tu me parler de votre style ?

Le contenu de mon compte et mon style d’écriture a beaucoup changé parce qu’au début j’écrivais des punchlines, des aphorismes plus abruptes, et aujourd’hui je suis dans un registre de poésie moderne.

Pourquoi ?

La punchline me faisait marrer ; Il s’agissait dépendre des mots, les détourner de leur sens premier, de manière un peu tranchante parfois et je n’avais pas envie de tomber dans une forme de facilité même si écrire une bonne punchline c’est super dur. Mais J’avais besoin d ‘évoluer sur quelque chose de plus travaillé à mon sens et de manière assez naturelle je m’orientais de plus en plus sur des textes poétiques et modernes.

Quelles sont vos références ?

En termes de rap, je suis un gros fan de  mecs comme Dinos, Kemmler, Nekfeu, Youssoupha, Lomepal… y’en aurait trop à citer … En ce moment, j’écoute pas malles sons de de B.B. Jacques que j’ai découvert dans Nouvelle Ecole. C’est drôle parce qu’au départ, j’étais pas fan du personnage mais comme il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis, je me suis dit que je voulais découvrir un peu plus son travail, que je trouve ultra chanmé... son flow, ses textes, tout.

"J’essaie de diversifier les genres mais je peine à m’évader par la lecture."

Très français tout ça…

Niveau rap US, il y’en a trop aussi. Au collège j’écoutais les grands de l’époque : Eminem, Jay-Z, Wu-Tang, NAS… et je surkiff aussi des mecs comme Joyner Lucas ou encore J. Cole entre autres. En termes de littérature, je ne suis pas un grand lecteur. J’aime lire de la poésie (qu’elle soit classique ou moderne). J’adore Laurent Gounelle et ses romans philosophiques. J’essaie de diversifier les genres mais je peine à m’évader par la lecture. J’ai besoin d’une lecture "efficace" où j’ai le sentiment que je vais apprendre quelque chose donc je choisis des ouvrages de philosophie, de développement personnel, de communication…

Comme quoi, bordel et développement personnel ne sont pas incompatibles… Qu’est-ce que cela vous apporte ?

Sûrement quelques clés de compréhension sur l’Autre. Ce monde est tellement complexe. Je me ruine de questions sur l’être humain, son fonctionnement, ses interactions, le sens de nos créations et de ce qu’on fait, de nos actions, et ça me fait marrer d’essayer de comprendre quelques mécanismes. Malheureusement, le développement personnel est devenu une mode puis un business à mon sens, on perd en qualité.

Que faites-vous à part écrire ?

Finalement, la plus grande richesse que m’apporte ce compte Instagram, c’est l’opportunité de faire des rencontres, oui ! J’échange avec des gens de milieux extrêmement différents, je collabore avec d’autres artistes, ou je vais simplement boire des verres avec des gens aux activités diamétralement opposées… c’est le plus gros kiff parce que j’ai l’impression d’apprendre plein de nouvelles choses à chaque rencontre !

Vous étiez introverti avant ?

Absolument pas. Je ne me suis jamais senti introverti ou isolé, j’ai toujours adoré rencontrer de nouvelles personnes et surtout apprendre de différents parcours. C’est pour cela que j’ai du mal à me cantonner à un type de lecture aussi : trop de sujets m’intéressent et il y a tant de choses que j’ai envie d’explorer !

 

"La photographie c’est une forme de poésie, donc c’est parfaitement complémentaire avec l’écriture."

Quels sont vos projets ?

J’en ai plein ! Trop peut-être et surement pas assez de temps pour tous les mener. Donc j’essaye juste de gérer les priorités, de m’organiser entre mon boulot, l’écriture et mon activité sur instagram qui découle souvent sur des collaborations, des partenariats, des nouvelles rencontres… Le vrai projet pour 2023, serait d’écrire un deuxième livre donc je vais tout faire pour atteindre cet objectif. J'ai aussi mon amour pour la photographie : avec mon compte @carnetdebordel d’ailleurs, je réalise des séries de portraits de créateurs, d’entrepreneurs, d’artistes. Actuellement, j’ai entamé une série de Portraits & Poésies avec des grands chefs français. Les derniers à avoir été réalisés sont ceux de Raamin, de l’établissement Momzi, et Eloy qui a son restaurant Orgueil dans le 11ème que je vous invite à découvrir sur ma page !

Comment est née cette passion pour la photo ?

J’ai acheté un appareil avant de déménager à New-York et je l’ai développée là-bas. J’avais créé un projet intitulé "Chosen and Random" (Choisi par hasard) où j’allais à la rencontre de personnes dans la rue, complètement au hasard, et je leur donnais des tableaux Velléda afin qu’ils puissent définir l’amour en un seul mot. Ensuite j’échangeais un peu avec eux et ça leur permettait de me parler de leur histoire et de ce qu’ils vivaient. Avec ce projet j’avais également créé une marque de casquette dont les bénéfices étaient entièrement reversés à une association qui venait en soutien aux personnes dans le besoin financier pendant la crise Covid… Bref, j’essayais, à mon échelle et au travers de ma passion pour la photo, de rendre cette période de Covid un peu moins morose. En rentrant à Paris, j’ai découvert un super terrain de jeu pour tirer des portraits, je m’éclate. En fait, j’adore rencontrer de nouvelles personnes pour entendre leurs histoires et les relayer. Et puis, la photographie c’est une forme de poésie (surtout en Noir & Blanc), donc c’est parfaitement complémentaire avec l’écriture.

© Alex Maujer

Poster sur le digital, c’est aussi s’exposer à toutes sortes de commentaires. Comment gérez-vous ça ?

Pour en avoir discuté avec des gens qui gèrent aussi des comptes d’écriture, c’est un milieu très bienveillant, par rapport à tout ce que l’on voit sur les réseaux et les débordements qu’il peut y avoir en terme de déversement de haine etc. Il y aura toujours un commentaire relou de temps en temps, c’est inévitable, avec des gens qui se permettent des méchancetés gratuites, mais honnêtement j’ai aucune raison de me plaindre actuellement sur ce sujet.

Vous êtes plutôt à l’aise avec votre image pour quelqu’un qui écrit.

Beaucoup ne mêlent pas leur image à l’écriture sur Instagram, c’est mon impression. Moi j’ai toujours publié ma tête avec des stories face Cam’, depuis le début, parce que j'aime bien interagir avec ma communauté de cette manière, ça me fait marrer de me prêter à ce jeu. Je publie des vidéos, quelques raps, un peu de tout donc oui, les gens qui me suivent connaissent ma tête et la voient régulièrement avec mon contenu.

alex maujer photographie
© Alex Maujer

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