INTERVIEW

Sylvie Castioni : "Toutes mes œuvres sont toujours au service des femmes."

Publié le

15 avril 2025

Soutenue par L’Oréal Paris et Girls support Girls, l’exposition "Marianne(s)", imaginée par la photographe militante Sylvie Castioni, réunit 92 portraits de personnalités engagées du milieu de l’image et de la culture. Dévoilées à la Art Girls Gallery, du 17 au 27 avril prochain, ces beautés plurielles aux traits singuliers s’unissent en chœurs pour porter haut et fort la liberté, l’égalité, une sororité nécessaire et une émancipation des femmes toujours plus puissante. Un projet pensé sur plus d’un an dont une partie des bénéfices sera reversé à la Fondation des femmes. A quelques heures du vernissage de l’évènement à l’Hôtel des Gabelles — lieu qui a vu circuler des idées révolutionnaires et féministes —, rencontre avec une artiste qui traduit la vérité invisible de ses modèles avec ressenti et émotion.

Esther Abrami ©Sylvie Castioni

Sylvie, si vous deviez vous présenter en quelques mots…

Je suis une femme et une artiste engagée pour l’émancipation des femmes.

Vous dévoilerez bientôt l’exposition "Marianne(s)" à Versailles, qui réunit 92 femmes du milieu de l’image et de la culture. Que représente Marianne pour vous en 2025 ?

Marianne traverse le temps. Elle est un symbole universel et puissant qui est censé nous unir en tant que femme, qu’homme, que citoyen. Elle représente l’union, la liberté, l’égalité, des valeurs intrinsèques à la France.

Quel(s) chiffres vous choque(nt) le plus en 2025 concernant les femmes en France et dans le monde ?

Déjà au niveau du nombre de procès classés sans suite concernant le viol, les abus, le nombre de femmes tuées par leurs conjoints ou ex conjoints… Il y a très peu d’affaires qui vont devant la justice et très peu de condamnations. L’année dernière, il y a eu le procès de mon ex meilleur ami que j’ai dénoncé il y a neuf ans. C’est une des rares affaires qui est allée au bout, il a écopé de 16 ans de prison. Les chiffres sont anxiogènes et omniprésents mais ils représentent une réalité. Il y a très peu de protection pour les femmes. Je suis tout de même contente que dernièrement la notion de non-consentement de la victime soit intégrée dans le code pénal. C’est un grand progrès.

"Je suis sensible à une beauté non normée."

Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce projet et de votre processus créatif ?

Ce projet est parti de mon histoire personnelle et de mon constat en tant que femme. Il est arrivé trois jours après ce procès, j’avais envie de joie, d’un projet qui nous unisse. Ce procès m’a redonné de l’espoir, on a eu une réponse des pouvoirs publics et je voulais lancer quelque chose de fort, impactant et riche de sororité. Toutes mes œuvres sont toujours au service des femmes. Les images sont puissantes, elles permettent de déconstruire et de faire réagir. Je souhaitais un symbole républicain lié à la représentation de la femme. Dans un coin de ma tête, j’avais la représentation de l’image de Zahia photographiée par Pierre et Gilles en Marianne. Elle était sexy et assumée.

Comment avez-vous choisi les personnalités présentes ?

Pour les premières personnalités, j’ai collaboré avec un commissaire d’exposition mais j’ai contacté aussi des femmes engagées avec lesquelles je travaillais dans mon entourage comme Andréa Bescond, Anne Depétrini… Ensuite, j’ai poursuivi seule pour le choix des ambassadrices car je souhaitais photographier les femmes je voulais : âgées, moins âgées, sans critères… Ce sont des femmes avec leurs singularités et leurs différences et ce qui nous lie, c’est l’engagement vis-à-vis des femmes. Avec ma nouvelle commissaire d’exposition, cela s’est fait naturellement comme un fil invisible et les femmes que je shootais se donnaient le mot !

La série est inclusive et ouverte à la différence, il me semble qu’il y a Marie Colin, actrice porteuse de trisomie 21…

Oui il y a des personnes en situation de handicap visible ou non car je souhaitais qu’elles rentrent dans le projet. Je voulais les célébrer car je suis sensible à une beauté non normée. La beauté, c’est les failles, la différence… Il y a aussi une danseuse en fauteuil, Magali Saby, une sportive malvoyante qui a fait les JO de Paris 2024, Nantenin Keïta, une femme transgenre… J’aurais pu avoir des milliers de profils car la beauté est partout.

Linda Hardy ©Sylvie Castioni

Cette exposition itinérante est présentée par la Art Girls Gallery mais aussi soutenue par L’Oréal Paris et Girls support Girls. Pouvez-vous nous parler de vos liens avec ces trois partenaires ?

Pour Girls support Girls, je participe à leurs évènements depuis quatre ans car je fais les images. C’est un réseau de connexion, lancé par Karolyne Leibovici et Vanessa Djian, avec d’autres femmes et c’est génial. Je me suis fait des amies et j’active ce réseau dès que j’ai un projet. Ces femmes me soutiennent beaucoup. Elles m’ont notamment accompagné pour la presse. Pour L’Oréal Paris, c’est notre partenaire pour le programme court "De l’ombre à la lumière" diffusé en parallèle du Festival de Cannes depuis trois ans. J’ai contacté l’équipe pour leur parler du projet et elle a collaboré avec ses maquilleurs. L’Oréal est très porté sur l’inclusion avec le slogan iconique : "Parce que je le vaux bien !". Aussi, j’ai beaucoup d’affection pour la Art Girls Gallery et sa créatrice Annelise Stern que j’avais rencontrée lors d’une de ses expositions. Elle n’expose que des artistes femmes françaises, ukrainiennes, américaines… Après avoir arrêté avec mon premier commissaire d’exposition, je l’ai contacté. Elle a adoré le projet et a pris le risque avec moi. Elle m’a accompagné sur toute la durée de la production des 92 portraits, en écho à l’année 1792, création de la figure de Marianne.

C’est en collaboration avec L’Oréal que vous réalisez des séries d’images de réalisatrices (Eva Longoria, Sandrine Bonnaire…) dans la cadre du programme court "De l’ombre à la lumière". Que vous ont apporté ces rencontres avec les réalisatrices ?

Ce sont des femmes que je côtoyais déjà avant de co-créer "De l’ombre à la lumière", elles étaient dans mon entourage et dans ma vie. Elles me touchaient avec leurs œuvres et m’ont permis d’évoluer en tant que femme. Je pense au film Les Chatouilles d’Andrea Bescond ou à Woman d’Anastasia Mikova et Yann Arthus-Bertrand. J’ai souhaité les célébrer et les mettre en avant puisqu’il n’y a que 32% de femmes réalisatrices…

"Cette série était une manière de me réparer et de m’engager auprès d’autres femmes."

On entend beaucoup le terme "sororité". Que signifie-t-il pour vous ?

C’est un lien invisible présent depuis toujours mais qui s’est perdu les dernières années car nous vivons dans un milieu patriarcal. On a tout fait pour que les femmes soient des rivales alors qu’au fond on a toutes la même problématique. Nous sommes connectées de par l’histoire des femmes à travers les siècles. Il suffit que je commence à parler pour que les femmes se confient. Avant de commencer la séance photo, ici c’était un confessionnal ! Elles se livraient sur ce qu’elles pouvaient vivre.

Pour ses détracteur(ice)s, qu’avez-vous à dire à celles et ceux qui pense qu’il n’existe pas vraiment, d’autant plus dans un milieu artistique très concurrentiel ?

Oui nous sommes dans un monde patriarcal qui essaie de nous braquer les unes contre les autres mais depuis le mouvement MeToo, j’ai quand même l’impression que c’est de moins en moins le cas. On a toutes intérêt à être soudées pour faire bouger les lois. On est plus puissantes, ensemble.

Victoria Dauberville ©Sylvie Castioni

Vous êtes une artiste militante dans la défense des droits de la femme mais aussi dans la célébration de son corps. On se souvient, entre autres, de l’exposition "Amazones" en 2023. Que représente le corps de la femme pour vous ?

Les femmes sont en train de se réapproprier leurs corps. Pendant longtemps, leurs corps ne leur appartenaient pas. On l’a toujours contrôlé, même dans l’art… Le corps des femmes a aussi été très sexualisé. Quand je photographie une femme, je vais capter des forces invisibles, son histoire, sa vulnérabilité, ses combats…

Une partie des recettes reviendra à la Fondation des femmes. C’était important de porter un projet artistique mais aussi d’apporter financièrement au développement des aides aux femmes pour vous…

Oui beaucoup de femmes sont ambassadrices de la Fondation des femmes et interviennent dans ce cadre. Elle est très présente. A la suite de ce procès, j’ai voulu faire quelque chose car pendant des années, je n’ai pas vu ce qui se passait. J’étais moi-même en amnésie et je pense qu’il y avait une grosse culpabilité de ma part. Pendant des années, j’ai culpabilisé de ne pas avoir vu plus tôt... Pour moi, cette série était une manière de me réparer et de m’engager auprès d’autres femmes avec un soutien extérieur financier.

Qu’esquivez-vous dans la photographie ?

La vulgarité, l’hyper sexualisation, les images trop attendues ou dans les normes. J’aime travailler avec l’invisible. On ressent l’imaginaire, l’inconscient… J’aime ressentir plutôt que regarder.

Que peut-on vous souhaiter ?

De continuer à faire ces projets qui me nourrissent et qui, j’espère, font réfléchir.

L’exposition "Marianne(s)" de Sylvie Castioni, du 17 au 27 avril prochain, à la Art Girls Gallery, à Versailles

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