INTERVIEW
Publié le
7 octobre 2025
Comment un américain s’est-il retrouvé à la tête du jury d’un festival français, et qui plus est, lyonnais ? Du 30 septembre au 4 octobre dernier, le Festival international du court-métrage Filmoramax a accueilli l’acteur Holt McCallany (Fight Club, Mindhunter, Mission Impossible) à sa tête. Loin de jouer les invités de passage, l’acteur entretient depuis longtemps un lien fort avec le cinéma français. Rencontre.
Nous sommes à Lyon pour le festival Filmoramax. Que pensez-vous du cinéma français ?
Je suis un grand fan du cinéma français depuis très, très longtemps. Au départ, j’étais intéressé par la Nouvelle Vague et les vieux acteurs français comme Lino Ventura, Michel Piccoli, Jean Gabin, Belmondo ou encore Alain Delon. J’ai aussi beaucoup aimé les films de Melville, de Chabrol et de François Truffaut. Quand j’étais étudiant à Paris, j’ai fait trois écoles de théâtre : l’école Marcel Marceau, l’école Jacques Lecoq et l’école du cirque, mais je savais que j’allais être acteur de cinéma. D’ailleurs, j’ai toujours rêvé de travailler dans le cinéma français. Ce n’est pas évident pour un acteur américain, car les réalisateurs français ne pensent pas souvent à nous et la plupart des acteurs américains ne parlent pas français. Mais ces dernières années, j’ai commencé un peu à le faire. J’ai tourné dans un film de Yann Gozlan avec Pierre Niney, Gourou, qui sortira en janvier. C’était une très belle expérience, et je crois que ce sera un très bon film. Je suis ravi d’en faire partie et j’espère pouvoir travailler davantage en France dans les années à venir.
C'est la première fois qu'un acteur américain fait partie du jury de ce festival. Cela vous met-il un peu de pression ?
J’étais ravi d’être invité, d’abord parce que j’ai fait mes études à Paris, mais aussi parce que je n’ai pas beaucoup voyagé en France. C’est donc ma première fois à Lyon. Bien sûr, je vais au festival de Cannes, mais cette opportunité me permet vraiment de découvrir un peu plus la France.
"Pour un jeune cinéaste, recevoir un prix, même dans un petit festival, ça compte."
Les organisateurs du festival vous ont désignés pour présider cette édition. Quels critères prenez-vous en compte pour départager les films en compétition ?
Je prends en compte beaucoup de choses. Pour moi, tout commence avec le scénario. Quand je regarde un film, c’est l’histoire qui compte le plus, puis vient la réalisation, le jeu des acteurs, la cinématographie, l’impact émotionnel, le message du film. Qu’est-ce que le réalisateur veut dire ? Pourquoi a-t-il choisi ce sujet ? Pourquoi a-t-il estimé que ce film devait être fait ? Parce que faire un film, c’est une collaboration, même pour un court-métrage. Il faut des acteurs, un scénario, une équipe, beaucoup de monde. Donc, il faut d’abord une idée qui ait de la valeur. Ensuite, les questions de présentation : est-ce que c’était bien filmé ? Est-ce que c’est fait de manière professionnelle ? Est-ce que les acteurs interprètent bien leur rôle ? Tout cela entre en jeu. Comme j’ai déjà été président de jury dans un autre festival, je sais que c’est un travail collectif, le président ne décide pas seul. On regarde les films ensemble, on en discute et on prend des décisions avec beaucoup de réflexion. Parce que pour un jeune cinéaste, recevoir un prix, même dans un petit festival, ça compte, ça donne confiance, ça valorise et ça motive à continuer à faire d’autres films, peut-être un jour un long métrage. Pour les acteurs, c’est pareil. Donc je prends ce rôle très au sérieux.
Comment votre expérience d'acteur influence votre manière de juger les films ?
Mon expérience d’acteur influence tout ce que je fais dans la vie, surtout quand je regarde un film. Si le scénariste a écrit un bon scénario, que le réalisateur a bien travaillé, mais que les acteurs jouent mal, ça casse tout. Bien sûr, un film ne se résume pas seulement au jeu d’acteur, mais c’est un élément important. Avec mes 40 ans de carrière, je pense être capable de reconnaître un bon acteur d’un mauvais. Même si tout est réussi, le scénario, la réalisation, la cinématographie, sans de bons acteurs, le film ne fonctionne pas.
Filmoramax met à l’honneur de jeunes talents, mais aussi des réalisateurs et producteurs confirmés. Pensez-vous que ce festival pourra vous permettre de faire de nouvelles découvertes, devant comme derrière la caméra ?
Oui. J’ai toujours été attiré par les productions de jeunes cinéastes et les courts-métrages. Moi-même, j’ai toujours aimé en faire. Venir à Lyon, rencontrer des professionnels du cinéma, des jeunes réalisateurs, c’est une bonne manière de découvrir d’autres personnes, parce qu’on ne sait jamais avec qui on travaillera un jour. Un jeune cinéaste qui fait des courts-métrages aujourd’hui peut devenir un grand réalisateur demain. C’est ce qui rend cette expérience intéressante : faire des rencontres et découvrir une autre région de la France. J’ai déjà été président du jury d’un festival à Bruxelles il y a quelques années, et c’était une très belle expérience. Donc je suis très ouvert, on verra ce que ça donne.
"L’originalité, c’est très important, c’est ce qui fait toute la différence."
Vous êtes connu pour vos rôles dans Mindhunter, Fight Club ou encore Mission Impossible. Si vous pouviez revivre un rôle, lequel choisiriez-vous ?
Une fois, j’ai tourné un film avec Robert De Niro et Cuba Gooding Jr., qui s’appelle Les Chemins de la dignité. Il parlait de la ségrégation dans l’armée américaine dans les années 1950, juste après la Seconde guerre mondiale. Le président Truman avait alors aboli la ségrégation raciale dans les forces armées et mis fin à la séparation entre soldats noirs et blancs. Moi, j’y jouais un jeune raciste qui n’aimait pas le personnage de Cuba Gooding Jr. [dans le rôle de Carl Brashear], parce qu’il était un meilleur plongeur-scaphandrier que moi. À la fin, je recevais de Robert De Niro [dans le rôle de Billy Sunday] une médaille qui, en réalité, devait revenir à Carl Brashear. Mon plus grand regret dans ce projet, c’est qu’à la fin du film, j’avais eu une idée, je voulais donner cette médaille à Carl Brashear. C’était un petit geste qui allait en dire beaucoup. Mais je n’ai pas osé en parler au réalisateur, parce que je savais qu’il avait mille choses à gérer, et que ce moment, même très court, aurait pris plusieurs heures à tourner. Je regrette de ne pas avoir proposé cette idée depuis vingt-cinq ans. Après ça, je me suis dit que si j’ai une bonne idée, je la présenterai toujours au réalisateur. Je préfère qu’il me dise “non” ou “ce n’est pas une bonne idée”, plutôt que de ne jamais l’avoir proposée.
Qu'est-ce que vous évitez au cinéma ?
Le cliché. Le grand acteur anglais Laurence Olivier disait que le travail de l’acteur, c’est 90 % de préparation et 10 % d’inspiration. Quand tu travailles en amont, avant d’arriver sur le plateau, tu découvres des choses, parfois même des aspects auxquels le réalisateur n’avait pas pensé, parce que c’est toi qui incarnes le rôle. Un rôle, ce n’est que des mots sur une page avant que je devienne le personnage. En travaillant ainsi, avec beaucoup de préparation, on évite de reproduire ce qu’on a pu voir dans d’autres films ou chez d’autres acteurs dans des rôles similaires. Tu trouves ta propre version, et tu évites le cliché. L’originalité, c’est très important, c’est ce qui fait toute la différence.