INTERVIEW

Flore Benguigui : "J’avais besoin de faire une scission très nette avec le monde dans lequel j’étais avant."

Publié le

5 décembre 2025

Engagée, audacieuse et libre. C’est dans les locaux d’Universal Music que l’auteure-compositeure-interprète Flore Benguigui s’est confiée sur la sortie, aujourd’hui, d’un bel objet. Un 45 tours incluant deux covers aux sonorités jazzy : "More Understanding Than A Man" (Margo Guryan), et “Dis, quand reviendras-tu ?" (Barbara). Des morceaux écrits par des femmes aux personnalités humaines et artistiques puissantes, sur lesquels l’artiste a souhaité ajouter sa touche émotionnelle et créative, entourée de musiciens et musiciennes qui l’ont enregistré en live lors d’une session studio. Pour S-quive, Flore raconte ce projet qui réaccorde le temps à la beauté de l’instant, son action pour valoriser la place des femmes dans l’industrie musicale et son amour inconditionnel pour le jazz.

Flore Benguigui ©Emma Birski

Flore, si vous deviez vous présenter en quelques mots…

Je m’appelle Flore, j’ai 33 ans, je suis chanteuse-autrice-compositrice et j’ai un podcast qui s’appelle : "Cherchez la femme". Je suis aussi très active pour promouvoir la place des femmes dans la musique.

Le 5 décembre prochain, vous dévoilerez un 45 tours, comprenant votre dernier single très jazzy "More Understanding than a Man", de Margo Guryan, et un titre de Barbara : "Dis, quand reviendras-tu ?". Que représente le vinyle pour vous ?

Le vinyle, c’est quelque chose déjà ! Mais le 45 tours, pour moi, c’est peut-être l’objet anti commercial ! [Rires] Qui fait des 45 tours aujourd’hui ?! Mais justement, j’aime ce côté objet. Encore aujourd’hui, j’ai une façon old school d’écouter de la musique. Pour moi, c’est important d’écouter des albums dans leur entièreté, d’aller chez des disquaires. J’étais, ce matin encore, aux Balades Sonores, qui est un disquaire dans le XVIIIe. Il y a vraiment une véritable sélection. De même, j’ai travaillé pour une émission sur FIP, il y a peu, autour de ce travail de curation musicale, d’écoute, de recherche… C’est quelque chose qui m’a toujours intéressé. Aujourd’hui, à l’heure des plateformes et des playlists, produire un 45 tours, c’est presque un acte de résistance ! [Rires] Quand je suis chez moi, je ne mets pas de musique avec mon téléphone, je vais chercher mes disques… J’aime l’écoute active qui se perd un peu aujourd’hui. Faire de la musique en physique, c’est aussi une façon de soutenir la musique.  

Cela rejoint cette idée du rapport au temps que l’on prend pour cette expérience…

Quand on est artiste, on se rend compte du travail que c’est de faire des albums. Faire un disque, c’est long à réaliser et à écouter aussi. C’est quelque chose qui a été pensé : quel morceau, à quel endroit… ? C’est un travail colossal et les gens qui font l’effort d’écouter un album dans son entièreté, c’est hyper touchant et gratifiant. On met beaucoup de soi dedans.

"On a aussi enregistré en live en studio, ce qui se fait assez rarement aujourd’hui et qui amène cette magie de l’instant."

Vous le réalisez avec un collectif de musicien(s) et musicienne(s), The Sensible Notes. C’était important pour vous de faire ce retour, entourée ?

Oui et j’ai toujours vu la musique comme ça, comme quelque chose qui se partage, que ce soit entre musiciens, musiciennes mais aussi avec le public. C’est vraiment quelque chose de vivant. Quand tu fais de la musique seule avec ton ordinateur ou un seul instrument, tu perds cet échange. En tout cas, moi, ça ne m’intéresse pas et je n’aurais peut-être pas les épaules pour le faire. C’était important, pour moi, de revenir avec un projet soit avec des gens que je connais très bien ou en qui j’ai une confiance absolue. J’avais besoin de faire une scission très nette avec le monde dans lequel j’étais avant. Je suis accompagnée de trois musiciens très bienveillants avec qui je joue depuis que j’ai 15 ans, qui m’ont appris la musique et le jazz surtout. Je n’avais jamais arrêté de jouer avec eux parce qu’on avait une résidence dans un club de jazz, le Baiser Salé, depuis 2011. Entre les tournées de L’Impératrice, je slalomais avec cinq dates par an. C’est une petite salle, ça a toujours été très fun et une vraie récré, par rapport aux concerts avec L’Impératrice où il y avait beaucoup de pression sur de grosses scènes. Je voulais agrandir le cercle avec des femmes pour préserver au maximum cette safe place ! Il y en a d’ailleurs à la technique, qui est souvent un poste occupé par les hommes, au mastering, aux arrangements, et j’ai constitué une section cuivre de quatre femmes (une tromboniste, une clarinettiste, une trompettiste et une saxophoniste). A la réalisation, c’est un homme mais c’est mon amoureux dans la vie donc ça ne compte pas ! Je voulais un album qui respire la joie et la liberté.

Flore Benguigui & The Sensible Notes ©Emma Birski

Vous y interprétez une chanson puissante de Barbara, "Dis, quand reviendras-tu ?". Elle se termine par ces mots : "Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère, que tout le temps perdu ne se rattrape plus". Ça peut évoquer beaucoup de choses ou d’expériences de vie à beaucoup de monde. Que représentent cette artiste et ce texte pour vous ?

Sur ce 45 tours, je voulais commencer avec deux morceaux écrits par des femmes, parce que c’est assez rare dans le jazz, avec de très fortes personnalités humaines et artistiques. Celui de Barbara, je l’ai énormément écouté, il a été beaucoup repris. Cette chanson est très actuelle, il y a un peu ce côté "femme éplorée" qui attend son mari, ce qu’on pourrait penser old school, mais elle ne dit pas tout à fait cela dans la chanson… Elle dit aussi à cet homme, si tu ne reviens pas "j’irai me réchauffer à un autre au soleil". Je trouve ça super parce que ce morceau date des années 1960 mais elle avoue ses failles, ce qui est moderne. C’est hyper bien écrit et il y a peu de morceaux de cette période qui me touche autant en français.

"J’essaie d’esquiver toutes les injonctions liées à mon genre."

Quelle empreinte avez-vous souhaité lui donner ?

On a choisi de le ralentir et d’en faire une balade. Il est plus jazz, on lui a rajouté du synthétiseur qui habille et donne ce côté un peu fantomatique et aquatique ; qui est aussi présent sur le morceau "More Understanding than a Man". Cela amène une certaine singularité au titre car c’est rare de mélanger des anciens instruments et le synthé.

Côté imagerie, vous regardez en l’air, les cheveux bleus au milieu de gens heureux. Cela projette toujours la DA audacieuse que vous avez eu ?

Toutes les personnes sur le 45 tours sont les personnes présentes sur le disque, à part peut-être ce bébé qui est adorable ! Pour moi, c’était une façon de montrer ce projet collectif, je n’aurais pas pu faire quoi que ce soir seule. Côté DA, j’ai toujours tenté des choses capillairement ! [Rires] C’est une perruquière géniale qui a fait cette création spécialement pour moi. La styliste a aussi ajouté sa touche avec un mélange très années 1920 avec la vaguelette de cheveux et ce côté un peu plus fou, c’était aussi l’idée de mélanger les époques, tout comme les instruments et les références visuelles. On ne voulait pas trop montrer aussi à quelle époque on pouvait être, on le voit aux vêtements assez modernes. On a aussi enregistré en live en studio, (ndlr, tous en même temps dans la même pièce et en une fois), ce qui se fait assez rarement aujourd’hui. Il y a cette magie de l’instant qui était géniale, avec des moments qui n’étaient pas prévus. Cela fige l’instant et rend le morceau si singulier.

Qu’est-ce que vous esquivez dans la musique ?

Olala beaucoup de choses ! [Rires] J’essaie d’esquiver toutes les injonctions liées à mon genre. Être une femme dans la musique n’est pas simple. Heureusement, ça va un peu mieux maintenant. Il y a une prise de conscience et pas mal de personnes qui se battent pour que ce soit plus simple pour les femmes dans ce secteur. Il faut toujours dire que c’est toujours très compliqué pour les femmes racisées, en situation de handicap, les minorités de genre… C’est bizarre de dire cela car j’esquive et je m’y confronte aussi. C’est un sujet sur lequel je travaille beaucoup. J’ai un collectif avec qui je fais des podcasts sur le sujet, j’organise des soirées, des tables rondes… Ce que j’esquive, c’est surtout l’industrie. Cela m’a toujours fait un peu peur, j’étais assez en retrait, même au sein de L’impératrice. J’avais du mal avec ce qui n’est pas de la musique : les réseaux sociaux ou les mondanités.

"Dis, quand reviendras-tu ?" Flore Benguigui, disponible partout.

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