INTERVIEW
Publié le
25 juin 2024
Forte de sa plume et de ses textes introspectifs, Eesah Yasuke n’a pas peur de dire les choses. Avec PS : j’écris l’album, sorti le 17 mai dernier, l’artiste émergente revient avec 4 titres aux influences diverses qui annoncent son prochain projet. Originaire de Roubaix, la rappeuse, chanteuse et compositrice au parcours de vie, loin d’être linéaire, sera à la Maroquinerie le 19 décembre prochain.
Le rendez-vous est fixé dans un café (Paris Xe) aux alentours de 15h. Eesah Yasuke commande un allongé avant de s’installer pour l’interview. Passionnée et passionnante, elle prend le temps de répondre aux questions et de développer ses réponses. Avec franc-parler et optimisme, elle revient sur les artistes qui l’inspirent au quotidien, l’importance du processus d’écriture dans sa musique et sa collaboration de rêve.
Votre nouvel EP PS : j’écris l’album est sorti le 17 mai dernier, c’est un avant-goût de votre album qui est en cours d’écriture. A quoi doit-on s’attendre pour ce nouveau projet ? Qu’est-ce que vous avez décidé d’y raconter ?
Mon parcours de vie, je dirais. Dans ce que j’écris, comme dans tout ce qui se produit en ce moment, ce sont des morceaux qui n’ont jamais été autant intimes. Je pense qu’on va rentrer davantage dans ma vie, très clairement, et ça peut être surprenant dans les directions artistiques. Je mets en avant pas mal de mes influences artistiques dans l’album qui se prépare, et ça se ressent. J’assume tout. J’assume tout, la folie, tout. Ça risque d’être surprenant par moment, mais c’est moi.
Dans votre musique, vous transcendez les genres : rap, amapiano, néo-soul, gospel et électro. Vous êtes aussi à la fois rappeuse, chanteuse et compositrice. Comment vous vous définissez en tant qu’artiste ?
C’est le genre de questions que les artistes n’aiment pas ! [Rires] Comment on se définit ? C’est très particulier, je ne sais pas comment je me définis, mais je dirais authentique en tout cas. Je pense que je suis toujours fidèle à moi-même dans le propos. Je dis tout ce que j’ai envie de dire, j’ai cette liberté d’expression, j’aborde tous les sujets que j’ai envie d’aborder et je ne m’autorise pas de limites. Je pense que je me qualifierais comme ça.
Quelles sont vos influences musicales ? Les artistes qui vous inspirent dans la musique ?
Tu as 4 heures devant toi ? [Rires] Il y en a beaucoup et ils sont très variés. Lana Del Rey est incroyable, ça fait longtemps que je suis tombée in love de tout ce qu’elle peut proposer. Frank Ocean, c’est très récent, j’ai commencé à l’écouter depuis seulement 3 mois, depuis que j’ai commencé à peindre. Je ne me le suis pas pris à la même période que tout le monde mais il m’inspire beaucoup avec ce qui se passe en ce moment. J’écoute aussi Josman, beaucoup de rap ivoirien, Didi B et Suspect95 pour les connaisseurs. Les musiques africaines diverses et variées en général, j’ai grandi avec la rumba congolaise, avec le coupé-décalé, avec toutes ces influences-là. Le soul, c’est arrivé après avec Aṣa notamment, Keziah Jones, Patrice, Lauryn Hill évidemment, c’est même elle qui m’a donné envie de chanter. Disiz, aussi, m’a toujours accompagné dans mon parcours de vie. On va s’arrêter là mais il y en aurait encore beaucoup à dire.
"Quand tu livres ton œuvre, elle ne t’appartient plus."
Votre plume est centrale dans votre musique, vous n’avez pas peur de dire les choses dans des textes à la fois introspectifs et incisifs. Quel est le processus d’écriture derrière vos titres ?
Ça dépend, j’ai divers processus créatifs. Le dernier en date que j’ai débloqué, c’est la peinture, justement parce que j’étais bloquée. Ça arrive souvent, bien plus qu’on ne le croit d’ailleurs, et on a tendance à paniquer en tant qu’artiste dès qu’on n’a plus d’inspiration – c’est marrant comme on se sent dépossédés de quelque chose quand ça arrive. Ça commençait à me faire paniquer parce qu’il y avait quand même l’échéance de l’album qui arrivait, même si on ne me met pas de pression, pour autant, c’était quand même le cas. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse autre chose dans la création parce que la composition ne fonctionnait plus, ça ne débloquait pas l’écriture. J’ai commencé à peindre comme ça, ça me détendait énormément et ça me permettait d’être face à moi-même, c’est comme ça que j’ai réécris. Après, parfois c’est l’écriture qui vient en amont de la prod, parfois c’est le fait de composer qui m’amène à un sujet, parfois même, c’est un poème que je vais adapter en chanson, ça dépend. Je jongle entre tout ça, je mélange les arts.
Le visuel a aussi une place importante dans votre musique. Je pense notamment au clip de "Prophétie" ou encore les clips de "STARTING-BLOCKS" et "Les vivants qui s’enterrent" qui se font écho. Comment réfléchissez-vous à l’univers visuel pour représenter ce que vous souhaitez transmettre avec vos textes ?
Je bosse beaucoup avec ma directrice artistique, Léa Martineau, qui est aussi ma manageuse. Elle me suit en tant qu’artiste depuis toujours. Ce qui fait qu’elle me connaît très bien, c’est même la personne qui me connaît le plus ! Elle sait mettre en images ce que je mets en mots. On se comprend et on peut aussi se parler franchement. C’est moins le cas dans l'album, mais dans tout ce que j’ai fait jusqu’à aujourd’hui, c’est beaucoup métaphorique, il y a des choses qui sont dites à moitié, je me cache toujours un peu, là je me cache beaucoup moins, et elle arrive à mettre en images ce que j’ai voulu dire dans le sous-texte.
Qu’est-ce que vous aimeriez que les gens ressentent en écoutant votre musique ?
Est-ce qu’il y a un commandement ? Il n’y en a pas. Je pense que de toute façon quand tu livres ton œuvre, elle ne t’appartient plus, plus seulement en tout cas. Elle appartient aux autres, ils se l’approprient et ils ressentent ce qu’ils ont envie de ressentir. Je ne peux pas leur dire : "Il faudrait que tu ressentes ça". Je n’ai pas d’attentes, j’ai livré ce que j’avais à livrer, j’ai donné ce que j’avais à donner, je suis allée jusqu’où bout. J’essaie vraiment de toujours donner tout ce que j’ai, dans chacune de mes œuvres, et après c’est à chacun de s’en emparer, ou pas d’ailleurs.
"La scène, c’est chez toi. Tu y es en chaussons là-bas et quelque part, le public, c’est ton invité. On vient pleurer, on vient rire ensemble, on vient crier, on vient se défouler."
Vous avez fait des performances lives remarquées et les premières parties de Josman, MC Solaar ou encore Booba. Comment appréhendez-vous la scène et le fait d’interpréter vos textes devant un public ?
Je n’appréhende pas du tout la scène, pour moi, c’est de l’amusement ! [Rires] On s’amuse beaucoup, il y a de la danse, ce côté-là que je voulais ramener depuis longtemps. Depuis un an maintenant, je tourne avec un danseur sur scène, et un DJ évidemment. Les premiers temps, c’était compliqué pour moi de passer du studio au live, c’était assez particulier d’inviter les gens dans mon intimité. Les choses ont commencé à se débloquer parce que je fais beaucoup de coaching. Et puis, c’est aussi les barreaux de l’esprit que tu scies quand tu te dis que, la scène, c’est chez toi. Tu y es en chaussons là-bas et quelque part, le public, c’est ton invité. On vient pleurer, on vient rire ensemble, on vient crier, on vient se défouler. Il y a tout ça, donc en fait, j’ai souvent hâte avant une scène. Aujourd’hui, aborder mon intime, ce n’est plus tabou comme ça pouvait l’être. Je pense même que personnellement ça a débloqué beaucoup de choses, ça m’a fait travailler sur plein de choses, c’est que du bonus en vérité.
Votre dernier coup de cœur musical ?
Ces derniers temps, j’écoute énormément Reÿn, et d’ailleurs on a collaboré dernièrement. C’est marrant, on s’est retrouvées en studio il y a deux semaines, et Reÿn, c’est quelqu’un qui parle beaucoup d’amour. J’écoute très peu de chansons d’amour, à part Frank Ocean j’avoue, mais sinon très peu, et surtout, j’ai tendance à avoir la plume assez pudique. Ce qui fait que je n’avais encore abordé l’amour jusque-là, et elle m’a offert ce truc-là justement dans cette collaboration. Et c’est vraiment quelqu’un que j’écoute tout le temps, ces streams, c’est moi. Je l’écoute quotidiennement et je trouve qu’elle a un truc de fou dans sa voix. Je conseille "Comment t’as osé", c’est l’une de mes chansons préférées, je l’avais découverte en piano-voix en live, c’est incroyable !
L’artiste avec qui vous rêveriez de collaborer ?
Un seul ? C’est méchant parce que j’en ai beaucoup quand même ! [Rires] Lauryn Hill ce serait vraiment incroyable mais je dirais aussi Nekfeu. Pour ses textes, pour son timbre de voix, pour son engagement, pour tout ce qu’il a pu délivrer. J’aimerais bien collaborer avec lui, ou même, simplement avoir une discussion avec lui. Je sais qu’on referait le monde toute une nuit, enfin je pense – je me projette de fou, alors que je ne le connais pas, ni d’Eve, ni d’Adam ! [Rires] Je n’en sais rien, mais pour ce qu’il peut délivrer dans ses textes, j’imagine qu’on s’entendrait bien. Une collaboration, ça serait magnifique, je pense que ça serait beau.
"Je pense que tout ce que je vis est une prophétie, ça fait partie de quelque chose qui est écrit."
Qu’est-ce qu’il faut esquiver dans la musique d’après vous ?
Il faut esquiver la pression, et ce n’est pas forcément simple, et aussi ce qu’on aimerait plaquer sur toi en tant qu’artiste. Il faut esquiver tout ça et rester focus sur l’authenticité et sur ce que tu es toi. Ça dépend de la force de caractère de chacun après, mais ça se passe bien quand tu sais imposer qui tu es. C’est important de ne pas se perdre, de rester fidèle à ses convictions. Même s’il y a un peu plus de lumière, un peu plus d’argent aussi, restons concentrés parce que c'est important.
Vous m’avez l’air d’être d’un tempérament assez posé et réfléchi. Etes-vous sereine pour la suite de votre carrière ? Comment si c’était la suite logique de la prophétie ?
[Rires] Je pense que tout ce que je vis est une prophétie, ça fait partie de quelque chose qui est écrit. Pour moi, je suis croyante, je crois à ces choses-là, et vu la manière dont je suis rentrée dans la musique, c’est sûr que je suis à ma place. Je n’aurais jamais imaginé être un jour artiste, je n’y avais pas pensé, ça s’est vraiment imposé à moi parce que j’avais besoin de m’exprimer. La manière dont les choses se sont déroulées très rapidement par la suite, alors que je n’étais absolument pas attendue ni connue de personne, pour moi, ce sont des signes. La suite, ce sont des choses qui prennent du temps, la consécration, la reconnaissance du grand public… Il faut être patient, rester focus sur ce qui se passe autour de soi et éviter de jeter un œil sur le succès des autres. On ne connaît pas le parcours des gens, chacun à le sien, on ne connaît pas les épreuves. J’ai envie de dire, il faut se féliciter de la réussite de l’autre, ce n’est pas parce que l’autre réussit que ça éclipse la tienne, pas du tout. Comme quand tu fais chauffer du maïs dans le micro-onde pour faire des pop-corn, il y en a qui pop plus vite que d’autres. Chacun a son timing en fait, il faut l’accepter. Ça vient quand ça vient. Il faut juste rester focus, travailler et s’entourer des bonnes personnes. C’est important, autant dans le milieu professionnel que dans l’entourage, ce sont des petits boosters que le public ne voit pas forcément mais qui sont ô combien importants.
Eesah Yasuke sera à La Maroquinerie le 19 décembre prochain.