INTERVIEW

Lémofil : "On a découvert que Paul Watson écrivait des poèmes, il est là le lien intime."

Publié le

17 juin 2025

Une voix. Celle de Paul Watson. Militant historique pour la cause marine, co-fondateur de Greenpeace. Une autre. Celle de l’artiste Lémofil, jeune et urgente, dont la spécialité est de mêler la poésie au rap. La fusion donne naissance à : "La folie des hommes", morceau orchestré par le label écoresponsable Mangroove Music à l’occasion de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan. Une partie des fonds récoltés grâce à ce projet sera reversée à Sea Shepherd France. Une ode à l’espoir et à la combativité de 3 minutes 53, portée fièrement par un poème intime de Paul Watson qu’il interprète en personne, articulé par la voix de Lémofil et complété par les sons des fonds marins, cétacés particulièrement, captés par le centre de bioacoustique de la Sorbonne. S-quive a rencontré Lémofil à Paris, il partage ses questionnements sur l’engagement, sa place en tant qu’artiste, et s’est livré sur ce morceau qu’il est incontestablement fier de transmettre.

Vous chantez : "Raconte-moi tout ce que tu as vu" en vous adressant à Paul Watson. Que vous a-t-il raconté ?

C’est via ses poèmes, ses textes, qu’il m’a d’abord raconté des choses, et c’est un privilège ! Pendant notre rencontre, il a été très à l'écoute, on a vraiment échangé sur lui, sur l’aspect littéraire de sa vie que je ne connaissais pas du tout. Il y a eu deux textes principaux sur lesquels on a un peu hésité mais, finalement, on est restés sur ce poème qui témoignait le mieux de ce qu’il avait vécu. C’était une vraie histoire autour de la chasse des cachalots.
Comment s’est passée votre rencontre et comment avez-vous co-créé cette œuvre ?

La rencontre, c’était sur une matinée. C'est un monument. En plus, il a cinquante ans de plus que moi. Donc forcément, c'est un peu particulier niveau légitimité, mais il a eu une facilité à se mettre dans la position d’écoute ! Il voyait qu'au début, je prenais des pincettes et il m'a dit : "Non, non, non, mais c'est toi l'expert dans ce domaine. Tu me dis et moi, je fais." La vérité, c'est qu'il n'y avait pas grand-chose à faire parce qu'il a déjà un charisme, une voix qui est déjà posée et très particulière. Mais à la base on a été contactés par le label Mangroove Music, qui met les artistes au service de l'écologie. Le projet, c’était d’avoir plusieurs artistes qui fassent chacun un titre sur l'océan. Donc, on nous a contactés pour ça, notamment parce que j'avais fait un titre : "Pétrole", qui parle justement de toutes ces angoisses que peut avoir notre génération, autour de l'effondrement climatique, j'ai écrit ce premier texte, et depuis, on m'appelle parfois pour des projets engagés.

"‘La folie des hommes’ représente davantage une jeunesse que ma parole à moi."


"La folie des hommes"
sort à l’occasion de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan, humainement et artistiquement, ça fait sens pour vous de participer à ces projets ?

Je ne me sentais pas trop légitime d'avoir une parole politique, mais il y a eu un déclic par le prisme de la vie intime. Tout le monde est légitime de parler, en fonction de ce que ça vient toucher chez soi. Quand on m'a contacté pour les océans, je ne me sentais pas spécialement à ma place. Je suis né à la campagne, loin de la mer. Ce n'est pas du tout un élément que je connais. Mais on a découvert que Paul Watson écrivait des poèmes, il est là le lien intime. Me mettre au service de sa parole, c’est cet aspect de transmission que je trouvais intéressant. Lui, est un pionnier, c'est à notre génération de reprendre le flambeau. C’était vraiment l’idée de mettre en avant sa parole.
C’est un des morceaux dont vous êtes le plus fier de par ce qu’il représente ?
C'est une bonne question ! Le morceau est très jeune, donc c'est dur d'avoir du recul pour l'instant. C'est peut-être un morceau qui est moins intime pour moi. Par contre, il y a quelque chose... de la forme de la responsabilité, je suis fier de porter ce message. Mais il y a presque quelque chose qui ne m'appartient plus. Ça permet de représenter une jeunesse, plus que ma parole à moi.

Lémofil ©Liswaya x Mentos France

Au terme des 3 minutes 53, on ressent une tristesse qui nourrit une certaine détermination à montrer du doigt et à changer les choses. Comment avez-vous trouvé ce fragile équilibre entre mélancolie et combativité ?
Ce sont des combats qui sont assez démoralisants parce qu'on se bat contre bien plus grands que nous. Ça peut être fatigant comme lutte. Moi-même, j'étais moins dedans par moment. La rencontre avec Paul Watson était ultra inspirante, de voir quelqu'un de 75 ans qui dit : "Je sors de prison mais en fait, j'étais content parce que ça a donné de la visibilité pour les baleines". Je crois que ça m'a redonné un souffle. Et j'ai eu envie que ce souffle se transmette aussi dans la chanson. Il y avait ce côté sombre mais on n’avait pas envie que ce soit plombant, on a voulu terminer sur une note d'espoir !
La note d’espoir est donnée à la fin par les baleines justement, présentes tout au long du morceau, mais pas seulement pour l’esthétique. Qu’est-ce qu’elles disent ?

Les scientifiques ont réussi à décoder certaines significations dans les chants de baleines, qui s'entendent dans le morceau ! On a reçu le poème et en parallèle, une banque de sons conçue par des chercheurs de la Sorbonne. Martin, le compositeur de mon projet, a fait un travail de construction de l'histoire avec ces sons. Au départ, on entend simplement leurs chants, comme si on introduisait un personnage. Puis, dans une phase plus sombre, apparaissent leurs pleurs. C'est déchirant. Et à la fin, une note d’espoir : le dernier chant signifie : "Je suis là, je suis encore là". Elles ont survécu finalement à tout ça, c'est l'espoir.

"Je pense qu’on peut embarquer les gens avec une histoire, même si on n'a pas vécu ce que Paul Watson a vécu, on a l'impression d'être sur le bateau avec lui."


C’était essentiel pour vous qu’il y ait un fil narratif aussi fort, et pourquoi pas quelque chose de plus métaphorique. Qu’est-ce ça vient changer exactement ?
Je pense qu’on peut embarquer les gens avec une histoire, même si on n'a pas vécu ce que Paul Watson a vécu, on a l'impression d'être sur le bateau avec lui. C’est ça qui permet de comprendre son état d'esprit. Si on restait très métaphorique, ça pourrait paraître plus déconnecté. Avec cette chanson, j’avais envie de sortir de cet aspect complexe, lointain, le but, c’était de s’ancrer dans la réalité.

Paul Watson ©Sea Shepherd France

Vous mêlez rap et poésie dans vos œuvres, entre autres. Cette rencontre avec la poésie a eu lieu pendant vos études, grâce à une professeure en prépa. Vous pouvez nous raconter ?
J'avais une prof de littérature en prépa, qui, comme peu de profs le font, marque une vie. Elle proposait en début de cours, de réciter un texte, peu importe lequel, on avait cinq minutes un peu libres avant de commencer deux heures à bûcher. Moi je n’étais pas très concerné par la prépa, c'est un peu devenu mon truc à moi de réciter les poèmes en début de cours ! Je prenais le temps d'aller fouiller des poèmes et de les réciter. Ça a complètement cassé le rapport que j'avais à la littérature qui était très scolaire et très obligatoire. Ça m’a réconcilié aussi, parce qu’avec la poésie, tu peux ouvrir un recueil au hasard, lire trois textes, et si un seul te touche, l’émotion est déjà là.

"L'émotion permet d'avoir moins de frontières générationnelles de compréhension, mais évidemment notre parole serait bien vaine sans les scientifiques et les militants pour mener les luttes, c’est eux qui devraient avoir la lumière."


Vous croyez en la capacité qu’a l’art d’éduquer ?
Ce qui est sûr, c'est que les scientifiques, les écologistes, nous alertent depuis des dizaines d'années. Ça a été quand même relayé par les médias traditionnels et malgré tout, pas grand-chose ne change. La lutte écologique, paradoxalement, peut paraître lointaine et complexe. Comme c'est scientifique, on se dit que ça ne nous appartient pas trop mais il faut rappeler aux gens que ça va nous toucher dans nos vies intimes. Personnellement, pour toucher les gens, je passe le canal émotionnel, j’essaie de toucher le cœur pour qu'ils essaient de comprendre… Je pense que l'émotion permet d'avoir moins de frontières générationnelles de compréhension, mais évidemment notre parole serait bien vaine sans les scientifiques et les militants pour mener les luttes, c’est eux qui devraient avoir la lumière. Les artistes peuvent servir ce lien entre les personnes qui ne se sentent pas concernées et les personnes qui sont en lutte. On essaie de mieux se comprendre et créer des ponts.

La folie des hommes


C’est un morceau inclassable : rap, poésie, sons des baleines, narration… C’est ça que vous aimez, les inclassables ?
J’étais bon en rap, mais pas trop. Je chantais bien, mais pas tant. J’ai essayé de faire un mélange de tout ça. Ce n’est pas réfléchi, ce n’est pas un choix vraiment, mais en même temps c’est très construit et sincère finalement. Ça réunit un peu mes trois points d’inspiration que sont : la poésie via ma prof qui m'a apporté une exigence dans l'écriture. L’importance d’arriver avec un propos. Si je prends la parole et que tout le monde m’écoute, il faut que j'aie quelque chose d'intéressant à dire. On est aussi baignés dans le rap. C'est le genre musical numéro un ! Il y a une combativité qui se retrouve dans ce genre. Et le côté refrain chanté amène une douceur, une légèreté qui permet d'élever les cœurs sur des sujets aussi lourds. Ça s’est plus inspiré de chansons françaises. Brel, Aznavour, Barbara. Eux, sont inspirés de la poésie. Il y en a plein qui ont repris des poèmes d'Aragon ou autres. Et le rap s'inspire de la chanson française.

"Mon rôle d'artiste, c’est ce rôle de pont."


Ce serait quelque chose d’envisageable pour vous l’activisme ? Ou même embarquer avec les équipes de Sea Shepherd, si vous le pouviez ?
J’y pense beaucoup en ce moment à cette idée de l’engagement, c’est un réel questionnement.
On se nourrit par ces rencontres, avec Paul Watson notamment ?
Oui, complètement. Mon rôle d'artiste, c’est ce rôle de pont. Je suis assez convaincu qu'il faut que je continue d'avancer dans l'industrie musicale de manière classique pour, dans le futur, pouvoir m'emparer de ces sujets. Il y a plein de sujets qui me tiennent à cœur et que j'ai envie de défendre. Est-ce que c'est trop tôt ? Peut-être. En même temps, ça me touche, j'en fais des chansons, ça parle aux gens. Je suis assez convaincu de ça ! Et il y a ma vie personnelle… Se sentir parfois inutile dans ce rôle de "juste" chanteur qui m'amène des dilemmes différents. La question du militantisme, c’est plus personnel mais toujours en jeu avec ma vie pro. Mais c'est une très bonne question, où se placer dans la lutte…

Paul x Lémofil ©Arnaud Huck
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