INTERVIEW

Anja Verderosa : "J’ai envie d’incarner tous les personnages possibles et inimaginables."

Publié le

13 août 2025

L’actrice Anja Verderosa pousse tout juste les portes du cinéma français, comme celles de la pièce où l’interview va débuter. Sourire aux lèvres, elle demande si elle est seule pour l’exercice. Oui, elle le sera. D’ordinaire, Félix Lefebvre, découvert dans Été 85 de François Ozon, est à ses côtés. Ensemble, ils se donnent la réplique dans L’Épreuve du feu, premier long-métrage d’Aurélien Peyre, en salle aujourd’hui. Premier grand rôle pour Anja Verderosa, et épreuve du feu personnelle, sans aucun doute. Être seule en interview n’est pas encore une habitude, "encore" est à souligner, tant elle s’est révélée sur le tournage de ce film qui, dans un huis clos à ciel ouvert, dépeint les rapports de classe et le mal social qui en découle. L’histoire d’amour entre Hugo et Queen — respectivement Félix Lefebvre et Anja Verderosa — va souffrir de l’influence et de la violence du groupe. L’actrice incarne un personnage qui ne rentre pas dans les cases, dans un monde qui déteste ça, en évitant les pièges de son rôle et avec une sensibilité diffuse. Anja Verderosa raconte ses épreuves du feu, comment elle est arrivée ici et pourquoi elle en est infiniment heureuse. Rencontre avec celle qui perce l’écran.

C’est votre premier grand rôle, vos premières émotions fortes à l’écran. Qu’est-ce que ça fait ?
Sincèrement, c’est fou ! C’est fou de se dire que c’est arrivé, que c’est réel, et que je rentre dans le milieu dans lequel j’ai toujours rêvé d’être. Depuis toute petite, j’ai tout fait pour, on m’a aidée aussi dans ce sens, je me dis que j’ai bien fait de ne pas lâcher.

Il y a eu beaucoup de moments où vous aviez envie de lâcher ?
Ce n’est pas facile de rentrer dans ce milieu, il y en a eu oui. Le temps passe et tu te rends compte que c’est hyper dur de trouver des castings où tu corresponds. Moi, j’ai un profil lambda, je suis une femme de 25 ans, caucasienne… et puis je n’avais pas d’agent, et je n’arrivais pas à en trouver.

Comment est-ce que vous avez été repérée pour ce rôle ?
Je suis tombée sur le compte Instagram de Bruno Lévy, qui a produit les films de Cédric Klapisch. J’adore ses films, je me suis dit que ce serait intéressant de le suivre pour avoir les news. Il m’a suivie en retour et c’est lui qui m’a proposé le casting. Pas pour Queen au début, c’était pour Colombe. J’ai changé physiquement entre-temps, j’avais un carré noir par exemple, 8 mois plus tard, mes cheveux ont poussé et j’étais blonde. À ce moment-là, je correspondais sûrement plus à Queen alors il m’a demandé si j’étais intéressée pour passer sur le premier rôle. Je n’y croyais pas, je pensais qu’il me proposait ça comme ça, que ça n’arriverait jamais. In fine, merci Bruno !

"J’appréhendais de me sentir à l’écart, d’avoir l’impression que le personnage devienne réalité…"

Vous n’avez pas du tout douté quand on vous a proposé le rôle ?
Ah non j’étais tellement heureuse ! La question se trouvait plus au niveau de ma légitimité. J’ai fait du théâtre toute ma vie, certes, mais je n’avais jamais tourné. Là, c’est une première pour un aussi grand rôle… Donc comment peuvent-ils savoir que ça va le faire ? Peut-être que je ne vais pas leur plaire, que même dans le travail, ils seront déçus. Finalement, pas du tout, mais ce sont des doutes que tu portes toujours.

Le mot qui précède souvent votre nom dans la presse, c’est "révélation". Vous, vous avez eu le sentiment intime, personnel, de vous être révélée à l’écran ? Que c’était juste, réussi ?
Ce sentiment je l’ai eu après le tournage, quand ça s’est terminé, ma mère m’a demandé si je ne m’étais pas trompée, si je voulais faire ça toute ma vie. Je lui ai répondu : "Oui, plus que jamais ! J’ai envie d’être actrice toute ma vie, pour toujours, et d’incarner tous les personnages possibles et inimaginables". À la fin, j’étais fière parce que j’avais réussi à ne pas me juger. Je me suis toujours sentie mal dans mon corps, ronde, tout ce que tu veux, j’avais peur de ça, peur d’y penser, mais non. Je n’ai aucun regret, ça m’a même fait énormément de bien.

L'Epreuve du feu ©Move Movie

L’équipe est jeune, pendant l’avant-première à Châtelet, quand vous descendiez les marches tous ensemble on vous voyait presque comme une bande de copains plus qu’une bande d’acteurs. À quel point l’ambiance sur le tournage a compté dans ce que vous avez donné au film ?

Je suis d’accord ! Tout le monde est bienveillant, on a créé un groupe où c’est qu’amour, rigolade… C’était génial dès le début. J’avais peur avant de rencontrer les acteurs qui allaient jouer Paul et Colombe — donc Victor Bonnel et Suzanne Jouannet — parce que c’étaient les deux personnages les plus durs avec le mien. Si je ne m’entendais pas particulièrement avec les comédiens, j’appréhendais de me sentir à l’écart, d’avoir l’impression que le personnage devienne réalité… Dès que je les ai rencontrés, j’ai su que ça allait tellement bien se passer ! Victor, c’est un nounours, Suzanne est tellement douce, tellement gentille… Je me souviens qu’après chaque scène qu’on tournait, Victor Bonnel venait me voir pour me dire : "T’es incroyable, c’est super, tu joues trop bien, je suis tellement content de jouer avec toi." Ça m’a donné confiance, j’avais ma place, je pouvais dire ce que je voulais sans jugement. C’était magique, ça a tellement compté.

Il y a une justesse dans votre interprétation, un équilibre subtil entre amour, empathie et la manière dont votre personnage répond – ou non – à la dureté du regard des autres. Comment est-ce que vous vous êtes préparée à tenir ce fil ?
Je suis vraiment ultra-sensible, et j’ai pas du tout de mal à ressentir les émotions des autres, en tout cas à m’en rapprocher. Ça aide pour se mettre à la place d’un personnage qui vit des choses pas cool. J’ai pensé que dans sa situation, j’aurais été dans le même état, si ce n’est pire. Donc honnêtement ce n’était pas si compliqué, d’autant plus qu’Aurélien Peyre m’avait très bien amené les scènes, bien détaillé, c’était un échange permanent, il s’interrogeait sur comment, moi, j’aurais pu vivre telle ou telle situation. Finalement, ce qu’il a écrit et la manière dont il l’a écrit, je trouvais ça juste. Je me retrouve pas mal dans ce que le personnage de Queen peut ressentir.

"Quand tu es une femme, tu te fais juger tout le temps."

Il y a des situations dans le film que vous avez vécues de près ou de loin ? Le jugement, comment recevoir le regard des autres, l’isolement à certains moments…
Oui bien sûr, déjà, quand tu es une femme, tu te fais juger tout le temps. Quand tu es jeune parce qu’on ne te prend pas au sérieux, ensuite, quand tu prends soin de toi, que tu t’habilles un peu court, que tu te maquilles… Moi-même, j’exprimais ma féminité, je me maquillais, et j’étais jugée pour ça. En tout cas, je l’ai beaucoup interprété comme ça — peut-être que ce n’était pas tout le temps le cas. Et, sans spoiler évidemment, il y a cette scène où elle est dans l’attente, où elle appelle, elle appelle… Je me suis tellement reconnue dedans, à chaque fois que je la vois, elle me brise le cœur. Ce sont des situations où tu te remets personnellement en question, où tu passes des journées pourries et tristes et où tu finis par t’excuser. Je l’ai ressenti un paquet de fois. Quand tu regardes le film, tu te dis que oui, il y a beaucoup de situations qui font mal au cœur auxquelles on peut s’identifier…

L'Epreuve du feu ©Move Movie

Qu’est-ce qu’il faut savoir esquiver dans le regard des autres ?
Le jugement et les comportements malveillants. C’est un ensemble. Éviter de modifier qui on est pour plaire aux autres, déjà parce que c’est une perte de temps, et se dire que ces personnes ne sont que de passage, qu’elles ne comptent pas. D’ailleurs, même s’ils comptent, il y a des moments où tu n’es pas obligé de prendre les remarques, ça peut briser ta confiance, ton élan, je trouve ça dommage.

"L’Épreuve du feu", en salle aujourd’hui.

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