INTERVIEW

Vincent Frerebeau, Président des Victoires de la Musique : "Le développement d’un artiste demande de la patience et du temps."

Publié le

7 février 2024

Depuis 39 ans les Victoires de la Musique sont le marqueur d’un temps fort de l’année. Immuable institution de l’industrie, de la culture et de l’esprit commun, ce moment semble reprendre un souffle nouveau depuis quelques années. Les évolutions de nos modes de vie avec les réseaux sociaux, l’ancrage du rap dans notre quotidien ou encore le succès des labels complètement indépendants. Tout cela conduit à revoir la manière de promouvoir, récompenser et honorer l’art le plus universel qu’il soit. Pour comprendre l’importance de l’évènement S-quive a rencontré Vincent Frerebeau, président des Victoires de la Musique cette année. Également à la tête du label Tôt ou Tard, qui a produit Vianney, Vincent Delerm, Shaka Ponk encore Thomas Fersen, il nous parle de sa volonté de rendre à cette soirée l’attention et l’affection qu’elle mérite ; en proposant un éclectisme de styles représentés, une démarche inclusive, un palmarès sans âge et qui s’inscrit dans l’ère du temps et de l’avenir. Nous avons échangé avec un homme, un passionné, un mélomane et un amoureux de la musique sincère…mais surtout de toute la musique !

Vincent Frerebeau, président des Victoires de la Musique

Si vous deviez vous présenter en quelques mots...

Je suis producteur indépendant dans le label Tôt ou Tard, qui fête ses 28 ans. Je développe aussi des spectacles avec Zouave. Cela fait maintenant 40 ans que je travaille dans la musique. Je commence à taper dans les vieux de la vieille comme on dit ! [Rires] Nous sommes une équipe de 41 personnes au total avec l’intégralité de nos appellations. Au niveau des artistes que nous accompagnons, il y a : Vianney, Shaka Ponk, Vincent Delerm, Yaël Naim, Adé, Mentissa, plus récemment par exemple.

Ce n’est pas la première fois que vous êtes président des Victoires. Quel est votre rôle ?

Il faut préciser, avant tout, que le président des Victoires de la Musique est celui de l’association. Les Victoires se découpent en trois parties : classique, variété et jazz. Mon rôle est d’animer l’ensemble de l’association, un conseil d’administration qui se compose d’une vingtaine de personnes, et qui, tout au long de l’année, s’occupent et animent ces trois temps. Je souhaitais y revenir parce que les Victoires sont un moment que j’aime énormément. C’est un temps de rassemblement des professionnels et des acteurs de cet art dans un même mouvement. Il regroupe énormément de communautés musicales différentes au même endroit, et j’aime être au milieu de cette effervescence aussi riche que diversifiée.

"C’était véritablement deux objectifs importants, pour moi, de retravailler la confiance, et d’atteindre un vrai équilibre de représentation de toute la musique."

Le palmarès de cette année est véritablement éclectique. C’était fondamental pour vous de revenir avec cette approche ?

J’avais le sentiment qu’il y avait un petit désamour de cet événement parce qu’on trouvait que c’était trop souvent les mêmes entreprises présentes dans le palmarès. Il était aussi reproché la possibilité d’influence de ces grandes boîtes sur le résultat du palmarès. Ce qui a terni en partie la confiance dans son ensemble. Il fallait remettre les choses à plat pour revenir à une cérémonie plus saine, en laquelle on retrouverait une pleine confiance. Voilà quel était mon objectif principal, qui pour l’instant, s’annonce bien. Pour ça, nous avons changé une règle dans la sélection des lauréats. La nouveauté est que le second tour de vote, pour définir le palmarès, est fait par un jury de 32 personnes qui travaillent, entre guillemets, "de plus loin" dans le secteur de la musique. J’entends par là, pour exemplifier, des personnes qui gèrent les plateformes de streaming (Deezer, Spotify), des journalistes spécialisés, des professionnels plus généralistes et grand public, des programmateurs de festival en province. Le but était vraiment de varier les identités, les savoirs et les compétences de ce jury pour avoir une réelle diversité dans la réflexion. Par ce choix, nous espérions impacter positivement et directement le palmarès. Cette nouvelle façon de faire me semble plus indiscutable, parce que plus juste, unanime et nullement influencée par qui ou quoi que ce soit. C’était véritablement deux objectifs importants, pour moi, de retravailler la confiance, et d’atteindre un vrai équilibre de représentation de toute la musique.

Au-delà de la diversité des styles, c’est le panel de génération qui est marquant cette année aux Victoires de la musique. C’est un hasard ou une orientation voulue ?

Je pense que pour retrouver la justesse que nous souhaitions, il fallait manifester "une absence de trou dans la raquette", si je puis dire ! C’est pourquoi, nous devions rééquilibrer tant les styles, que les origines, que les âges, que les intentions, etc… pour retrouver l’attention et l’amour que ce bel événement mérite réellement.

Une artiste se démarque un peu plus dans le palmarès avec ses 4 nominations. Un mot plus spécifiquement à propos de Zaho de Sagazan ?

Zaho de Sagazan c’est extraordinaire ! Les victoires, de temps en temps, mettent en avant un(e) artiste ; qui de par son univers, sa musicalité et l’ensemble de son art, prend une place complètement naturelle et logique à l’unanimité. Elle mérite complètement d’être à chaque endroit où elle. C’est une compositrice qui ne laisse pas indifférent, c’est ça qui est exceptionnel !

"On trouve Josman au milieu de Vianney, Zaho de Sagazan, Etienne Daho. C’est magnifique de voir ça ! Il est là pour son art et son album, et pas parce que c’est un rappeur."

Un autre artiste attire l’œil par son succès critique et public. Quelques mots sur Josman et son album qui a marqué la fin d’année 2023 ?

C’est une fierté d’avoir Josman ! Je trouve ça génial ! Parce que ça concrétise ce que je voulais, et que nous voulions, apporter aux Victoires : mélanger les genres, les rencontres, les musiques pour faire de cet art ce qu’il est. C’est-à-dire quelque chose sans barrière, sans limite et sans catégories. Avec l’exemple de Josman, on trouve ce rappeur au milieu de Vianney, Zaho de Sagazan, Etienne Daho. C’est magnifique de voir ça ! Il est là pour son art et son album, et pas parce que c’est un rappeur. C’est ça la musique : elle peut être partout ! Et au sein des Victoires de la Musique, c’est en laissant la possibilité à tous les artistes d’être présents dans toutes les catégories, qu’on rend honneur à cet art et cette industrie.

Ce qui caractérise l’événement, c’est toujours les paris live et leur mise en scène. Un mot à ce sujet ? Pourquoi c’est important pour les artistes peut-être plus particulièrement ce jour-là ?

Déjà, c’est une règle lorsqu’on vient à la cérémonie. À côté de ça, les Victoires, pour l’industrie musicale, et surtout les artistes, ont une place particulière. D’une part, c’est un honneur quand on y est nommé et invité à y participer. D’autre part, c’est une mise en lumière unique. Car, lorsqu’on regarde les palmarès des éditions précédentes, on constate que de nombreux artistes majeurs ont été mis en lumière durant cet événement. Donc, on sait que l’impact est notable lorsqu’on ne manque pas le tournant. Nous faisons attention à maintenir les lives comme une sorte de "sanctuaire". Parce que les Victoires de la Musique doivent rester ce symbole de la musique dans le cœur et l’esprit commun.

"Le développement d’un artiste, encore plus aujourd’hui qu’hier, demande de la patience et du temps."

En 2017, vous avez dit au média Libération : "La musique doit rester une aventure artisanale". C’est un sentiment qu’aujourd’hui beaucoup d’artistes que je rencontre partage. Pourquoi selon vous ces mots résonnent plus que jamais ?

Parce que, je pense, que le développement d’artistes, encore plus aujourd’hui qu’hier, demande de la patience et du temps. En plus de ça, l’artisanat entre un label et ses artistes est la meilleure relation qui peut exister. C’est une relation d’être humain à être humain. Aujourd’hui la pression de l’industrie est incompatible avec le développement d’un artiste. Parce qu’on cherche la rentabilité à court terme. Sauf que, comme je dis, c’est un travail de fond, donc sur la durée. J’ai travaillé dans un très gros label, ce qui m’a permis des choses sincèrement incroyables. J’y ai appris mon métier. C’était une période géniale, mais j’ai dû, à un moment, partir pour une question de santé mentale. Il fallait que je me retrouve, alors j’ai tout recommencé depuis le départ. Nous étions quatre, et maintenant nous sommes 40 personnes.

Vous êtes également à la tête du label "Tôt ou Tard". Comment on travaille quand on est indépendant par rapport à un gros label ?

J’y ai gagné une liberté ! Mais elle est conditionnelle. J’ai recommencé dans les années 2000, avec le numérique qui arrive ; qui a créé une pagaille et une grande incertitude palpable. Mais, être décisionnaire donne le sentiment et la certitude d’être acteur. Et lorsqu’on arrive au but qu’on s’est fixé, qu’on l’a fait à sa façon, ça n’a pas de prix !

Vous êtes un amoureux de la chanson française. Votre Top 3 ?

C’est difficile pour moi de te répondre à cette question. Mais j’aime bien ton expression de "phare dans la nuit", je vais partir de cette idée pour te citer plutôt trois périodes. La première, c’est la vague qu’il y a eu avec Jacques Higelin. C’est de lui que vient le nom du label "Tôt ou tard". J’aimais l’immense liberté de cet homme. C’est lui qui m’a conduit vers ma façon de travailler aujourd’hui. Il a été le premier français à me faire dire : "On peut faire cette musique en France". A l’instar d’un Bernard Lavilliers, par exemple. Il a amené, avec lui, une qualité exceptionnelle et toute la vague rock, punk, pop anglais dans notre pays. Ensuite, il y a la génération, celle avec laquelle je me suis lancé avec mon entreprise, qui vient de Thomas Fersen, des Têtes Raides. Comme tu l’as dit, si joliment, ce sont deux phares dans la nuit. Enfin, un dernier mouvement, que je vais mélanger, est celui de Vianney et Vincent Delerm. J’ai une passion pour ces artistes parce qu’ils écrivent vrai. Ils ont une écriture qui va directement au cœur humain. C’est fantastique !

De nouveaux projets à venir chez Tôt ou tard ?

Nous avons la joie, la chance et l’honneur de signer à nouveau avec Thomas Fersen. Il y a le magnifique album de Noé Preszow qui arrive le 16 février.

C’est quoi la musique pour vous ?

J’ai répondu à une question similaire il y a peu. On m’a demandé de définir la beauté, mais pour moi, c’est la même chose tout ça. Avant de répondre plus précisément, je vais démarrer par l’évidence : c’est ma vie, pour commencer, de par mon travail, ma passion et parce que je suis musicien également. Puis, la belle musique, c’est la sincérité. Ce que j’aime dans cette définition c’est qu’elle s’applique à n’importe quel style.

Rendez-vous sur France TV pour les Victoires de la Musique le 9 février prochain.

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