INTERVIEW

Usky : "Avec 'Noura', j'ai écrit la bande originale de ma vie."

Publié le

3 mai 2025

Artiste aux nombreuses facettes, Usky vient de sortir son nouvel album, Noura, le 25 avril dernier. Au cours d’une conversation honnête, il revient sur son projet le plus abouti et la bande originale de sa vie.

Usky ©Léa Costa

Le rendez-vous est fixé dans le XVIème arrondissement parisien, aux alentours de 14h. Après un shooting photo au côté d’un chien éponyme, Usky se pose en terrasse et commande un expresso. Le rappeur, au tempérament de feu semblable à la réactivité d’un chien-loup, s’est confié sur son nouvel opus, ses références musicales étant adolescent et la dualité qu’il entretient en tant qu’artiste.

Vous avez plusieurs cordes à votre arc, à la fois la musique et le cinéma, comment vous présentez-vous à ceux qui ne vous connaissent pas ?

Je dis que je suis artiste, tout simplement. Pour moi, l'art peut prendre plusieurs formes. La musique, c'est mon truc principal, mais je ne compte pas me limiter à ça. Si j'aime bien quelque chose, je vais le faire.

Vous écoutiez de la chanson française et du rap avec votre père quand vous étiez jeune. Quelles étaient vos références musicales adolescent ? Les albums qui vous ont marqué ou les posters que vous aviez dans votre chambre ?

C'était NTM, 113, Booba aussi beaucoup. En chanson française, c'était Francis Cabrel, Alain Bashung, tous ces classiques-là. Je suis passé un peu à côté d’Aznavour, je me suis refait sa discographie récemment avec la sortie du film. C’était ça, mes références, mais l’album qui a marqué mon adolescence, c’est Les Princes de la ville de 113. C'est vraiment un truc qui m'a percuté de plein fouet. Je m’en rappelle à l’époque, c’est le premier album que mon père avait acheté, il y avait un mec qui lui avait revendu à la sortie du magasin. Je l’ai écouté, et on s’est pris une claque monumentale.

"La signature chez 92i, je l’ai prise comme un départ."

Vous vous faites connaître avec un freestyle sur l’émission "Planète Rap" sur Skyrock. Par la suite, vous signez en Major, avant de créer votre propre label indépendant "Porte Dorée Publishing", puis d’être signé chez le label 92i de Booba. Ce sont deux expériences très différentes : être signé en maison de disque et créer la sienne, et vous avez connu les deux. Qu’est-ce que vous avez retenu de votre parcours ?

Pour moi, 92i est la première maison de disque avec laquelle je signe. Ma première expérience en Major a duré trois mois, le boss s’était barré, c’était compliqué. A la suite de ça, j’ai monté un label en indé sur lequel j’ai sorti plusieurs projets pour essayer de me faire remarquer, de faire ma place et me battre, et finalement signer derrière avec le label 92i. Là, les choses sont devenues beaucoup plus concrètes. Quand tu signes en label, c’est beaucoup plus structuré, c’est plus professionnel. Avant, l’expérience en indé que j’ai connue, c’était la débrouillardise. Mais c’est là aussi où j’ai fait mes armes, où j’ai charbonné. Je suis très content d’avoir connu aussi cette période-là, avant d’avoir connu l’époque 92i. C’est ce qui fait mon parcours, et j’ai gardé cette mentalité. Même en étant signé dans le label, ça me permet de toujours être dans l’urgence et de ne pas m’asseoir sur des acquis. La signature chez 92i, je l’ai prise comme un départ. Je me suis remis à zéro, on fait comme si là, je commençais le rap.

Usky ©Léa Costa

Vous avez sorti un nouvel album Noura le 25 avril dernier. Quel est le morceau qui vous représente le mieux dans votre projet d'après vous ?

Je dirais l'intro d’"Anakin" parce qu'elle est crue et brute. Je la trouve honnête. Je l'ai fait comme dans "8 Mile", quand Eminem fait le dernier battle et qu'il s'auto-clash presque, et que le mec en face n'a plus rien à dire. Je l'ai fait dans cet esprit-là. "Anakin" me définit vraiment bien.

"‘Noura’ traduit une revanche sociale et un sentiment d'urgence aussi."

Il y a une évolution dans votre style musical depuis vos débuts, que ce soit entre la trilogie Porte Dorée, votre album Rétina (2023) ou Anhédonie, sorti l’année dernière (2024). Vos projets reflètent le moment de votre vie dans lequel vous êtes. Quelle est la direction artistique de votre nouvel album ?

Cet album a été fait en trois parties. Il y a une partie qui a été axée sur l’après Anhédonie, où c’était un peu rude et où on a fait pas mal de sons au studio. Après, on est partis en Indonésie pour faire le projet. Puis, il y a eu le retour, où après la tournée, j’ai rajouté une touche plus personnelle en écrivant "Noura", "God Bless", "Anakin". Ce projet reflète la vie d’un mec de 30 ans qui habite à Paris. Il traduit une revanche sociale sur beaucoup de choses, et un sentiment d'urgence aussi. Le temps passe, il faut faire les choses. Il y a beaucoup l’idée de s’en sortir dans mon projet, et même dans ce que je suis. C’est un ADN très Hip-Hop à la base, même si je mets beaucoup de mélo et que je chante beaucoup, je trouve que j’ai su conserver ce truc-là. C’est dans le sentiment d’urgence que je trouve mon inspiration. Quand je suis au pied du mur, c’est là où je me sens challengé, et c’est là où je sors les meilleurs trucs. Et ce sentiment d’urgence, tu l’as toujours quand tu es artiste. Parce qu’être artiste, ça peut être beau, mais à la fois très dur. Vivre de son art, aujourd’hui, c’est un exploit. Tu es obligé d’y mettre de l’exigence. Oui, il y a la vie d’artiste, c’est bien, mais à un moment donné, ça se travaille. Les meilleurs peintres ne s’improvisent pas. Les mecs qui écrivent des livres, ils raturent, ils recommencent. Je suis fier de ça, parce que dans un monde qui se digitalise de plus en plus, finalement, prendre le temps d’écrire, se prendre la tête sur des textes, raturer, recommencer, je trouve ça très honorable.

Usky ©Léa Costa

Il y a une certaine dualité dans votre personnage entre la poésie et les codes du rap, comment naviguez-vous entre tout ça pour créer votre identité ?

Pour moi, le rap d’aujourd'hui, est pluriel. Le rap, ça ne veut pas forcément dire être violent et dans des clichés qu’on lui a souvent prêtés, entre guillemets. Et moi, je suis juste moi-même. Je suis un mélange d’amour, de rage, de plein de choses. J’essaie juste d’être le plus honnête possible sur la réalité que je suis en train de vivre au moment où je fais le projet. Plus les années passent, plus j’essaie de me rapprocher de ça. Quand je dis dans l’album : "Je trouve pas ma place, je la crée", c’est exactement ça. Je pense que de toute façon qu’il n'y a pas de place attitrée pour moi, je suis obligé de la créer parce que je suis un mélange de trop plein de beaucoup de trucs. Ce n’est pas évident au premier regard, il y a une différence entre ma musique et mon physique, et je trouve qu’il y a une dualité intéressante justement. Ça met plus de temps pour que les gens arrivent à me percevoir, et si c’est trop direct, ça me saoule. Un artiste qui fait toujours la même chose, je m’en fous total. J’aime bien le contraste, j’aime bien la diversité, j’aime bien la dualité. Donc je l'entretiens, je l'anime, je la travaille même.

"Avec les tatouages, j’écris mon histoire sur mon corps."

Pourquoi Usky en nom de scène ?

Usky, je ne l'ai pas choisi. Ce sont des mecs de Montreuil avec qui j’avais signé dans le 93 à la base, qui disaient toujours : "Toi, t’es un chien-loup, t’es un Husky. En plus avec les yeux bleus. T’es toujours motivé, tu pousses les gens vers l’avant". C’est comme ça que c’est venu, et c’est resté. On a enlevé le H aussi pour le nom d’artiste.

Comment abordez-vous le processus créatif dans votre musique ?

Je travaille qu’à partir de loops, sans les batteries. Je reçois des loops qui m’inspirent, j’écris pendant des heures, et je vais en studio. Parfois, je le fais direct en studio mais c’est de plus en plus rare, j’ai remarqué que mes textes sont vraiment mieux quand je prends vraiment le temps de les bosser avant. Et quand je me sens prêt, je booke une session studio et je ramène un producteur avec moi. On fait les drums, et on fait le tout. Je le bosse vraiment comme ça.

Le visuel a une place importante dans votre musique, vous essayez de créer des images fortes avec une identité marquée. Quelles sont vos inspirations cinématographiques pour vos clips et vos images ? Comment arrivez-vous à allier le son et l’image ?

Je trouve que ma musique est très cinématographique. Tu peux prendre plein de scènes de films et coller mes sons dessus et ça marche de fou. Je m’inspire beaucoup du ciné, de ce que je vois. Le cinéma, c’est encore une fois via mon père qui était très branché là-dedans. Il y a beaucoup de films que je regarde qui me donnent des idées de punchlines. Je travaille beaucoup comme ça. Par exemple, je suis totalement fan de l’univers Batman. Je m’en rappelle à l'époque où la série The Penguin est sortie, j’avais fait la punchline sur le feat avec Green Montana : "Je fais tout ça pour ma mère mais elle sera partie avant que j'y arrive". Pour moi, c’était la punchline de la série. Je l’ai écrite quand j’ai regardé cette série, je l’ai trouvée trop forte et elle collait de fou avec la vie que j’avais à ce moment.

Usky ©Léa Costa

La mode prend aussi une part importante dans votre imagerie. Quel est votre rapport au style et aux vêtements ? Est-ce que vos tatouages sont aussi un moyen d’expression pour vous ?

La mode, les vêtements, j’aime beaucoup. Je suis très branché veste, c’est ma pièce préférée dans la mode. Je ne suis pas forcément accro aux grandes marques. Je sais reconnaître une belle pièce. J'aime ce qui est beau, en mon sens du beau. Je vais en fripes, je cherche des pièces, je me renseigne beaucoup sur les choses. Dans la mode, je dirais que je suis curieux. Ça n’occupe pas une place à 90% dans ma vie, mais je lui accorde une certaine importance. Comme les tatouages, j’écris mon histoire sur mon corps. J’ai beaucoup repris l’histoire berbère de ma grand-mère, en Tunisie, qui avait des tatouages partout. C’est venu de là, surtout, j’étais familiarisé avec ça. Petit, je voyais ma grand-mère comme un personnage de film. Et je veux porter ma culture et mon histoire aussi. Et mon rapport à la mode vient peut-être aussi un peu de ma mère. Quand j’étais petit, je vivais avec elle, on n’avait pas d’argent mais on sortait toujours bien habillés. C’est un peu notre mentalité, même si tu n’as pas, il faut que les gens voient, il faut présenter, c’est important.

"Je pense que j'ai un truc qui brûle en moi et qui ne veut pas s'éteindre."

Vous avez fait de nombreuses collaborations : Booba, SDM, Green Montana… Comment abordez-vous la collaboration avec d’autres artistes pour conserver votre univers tout en se mélangeant aux leurs ?

Je bosse le morceau en amont la plupart du temps. Il y a des choses qui peuvent se faire en studio mais j'aime moins. Maintenant, au fur et à mesure des années d’expérience que j’ai, j’arrive à visualiser les choses. C’est toujours bien une connexion avec l’artiste au studio, quand elle se fait, c’est lourd. Maintenant, je préfère faire des morceaux et dire : "Je verrais bien SDM là-dessus" et lui proposer. C’est ce que j’ai fait sur tous les feats. "Bégnini" sur l’album de Booba, c’est lui qui a eu la vision. Il m’a dit : "Franchement, il faudrait qu’on le mette sur mon album et que je pose un couplet". C’est lui qui a eu la vision, il faut le dire. SDM, Green Montana, je leur ai proposé des collaborations.

Usky ©Léa Costa

Dans votre interview "Trou Story" de Konbini, vous avez dit : "Les avis changent comme les saisons". Quel est le meilleur conseil qu’on vous ai donné et qui vous a suivi à travers les saisons ?

C'est fou que tu me parles de cette phrase parce que je réécoutais un de mes premiers sons de rap que j’avais fait. À l'époque, je rappais, j'étais très rimes un peu techniques et il y avait déjà cette phrase. C'est fou. [Rires] Je n'ai pas vraiment de conseil qui m'a suivi, au-delà d’un conseil et de manière plus globale, c’est une philosophie. C’est vraiment le feu que j’ai en moi. C’est un truc que j’ai hérité de ma mère, j’ai toujours une forme de rage en moi mais elle n’est pas négative, je l’ai tournée en positif pour faire des choses. Je pense que j'ai un truc qui brûle et qui ne veut pas s'éteindre. En tout cas, je crois qu'il n'est pas près de s'éteindre, j’ai l’impression que ça va continuer longtemps. J’ai envie de faire des choses, j’ai envie de créer des choses et j’ai envie de le faire. Donc ce n'est pas un conseil particulier, c’est cette flamme, qui évolue.

Un album qui serait la bande originale de votre vie ?

Noura, tout simplement. Je crée les bandes originales de ma vie, en fait. À chaque projet, je rajoute une pierre. À l'heure où je te parle, on est en avril 2025, l'album vient de sortir, et pour moi, la BO de ma vie, c’est Noura.

"Noura", Usky, disponible partout.

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