INTERVIEW
Un jour ensoleillé de mai, une terrasse, un burger à la viande « bien cuite » et une discussion avec une jeune artiste ambitieuse. Celle qui s’est faite connaître très tôt dans l’émission « The Voice Kids » s’est confiée sur ses blessures du passé, ses rêves et surtout, sur son EP à venir. Sur TRAMPOLINE, Satine se chante sur des prods colorées, renouant avec le côté enfantin qu’elle a longtemps voulu faire taire. De la malice, de la nostalgie, un cœur brisé et réparé… Entrez dans le monde singulier et plein de fantaisie de la jeune artiste.
Vous allez bientôt sortir un EP : TRAMPOLINE, que ressentez-vous ?
J'ai trop hâte ! Le projet dort sur un disque dur depuis longtemps. Ça va faire un an et demi ou deux qu'on a commencé. Je veux absolument que ça sorte, parce que je suis fière de ce que j’ai fait, et j’ai envie de le montrer au grand public. Avec l'impatience que j'ai, j'aurais tout sorti d'un coup mais ça n’aurait pas été stratégique au niveau de la promo. Il y a quelques morceaux qui sont déjà sortis de cet arc-là : "C’est toi", "Nique le champagne", "L’idée de toi", "Ohoui!" et "Le monde est à nous".
Du haut de vos 20 ans, on a l’impression que vous avez vécu 1000 vies (The Voice, concerts, tournées, vidéos YouTube…). Est-ce que c’est compliqué à gérer ?
Oui, j’ai eu la chance de faire énormément de choses. Il y a eu un moment de breaking point vers 16 ans et j'ai dit à tout le monde : "Foutez-moi tous la paix". Pendant un an, je me suis isolée, j'ai tout stoppé. Je me suis retrouvée à me reposer sur moi-même, à réfléchir et un an et demi plus tard, j'ai fait mon come-back en me disant que je voulais faire uniquement de la musique. Je suis très reconnaissante d'avoir fait tout ce que j'ai fait auparavant, mais ça ne m'intéresse plus. Je me suis beaucoup perdue dans ce que j’étais, ce que je voulais faire et dans la communauté que j’avais. C'était dur et long de prendre le virage mais dès que je l'ai fait, ça a été libérateur. J’étais dans un cercle vicieux parce que je devais satisfaire les gens avec qui je travaillais, sans que ça ne me corresponde. J’avais un public plutôt enfantin, et non pas que ça ne me plaise pas, mais je voulais évoluer et les personnes au-dessus de moi ne voulaient pas puisque cela générait de l’argent. Malgré tout, je me suis retrouvée à prendre les décisions moi-même. J’ai su dire non, j'ai su envoyer balader tout le monde et je m’en suis très bien sortie. Je suis très fière mais toujours reconnaissante de ce que j’ai pu faire avant.
Sur TikTok, vous avez posté une vidéo où vous expliquez que vous avez écrit le titre "Ohoui!" pendant une période joyeuse de votre vie. Maintenant que vous en faites la promotion, vous dites que vous allez moins bien… Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est un peu les hauts et les bas de la vie. Je suis quelqu'un de très intense donc quand ça va bien, ça va très bien mais quand ça ne va pas, rien ne va plus, je m’enferme dans un vortex et tout devient assez brouillon. Je m'en sors toujours, il n’y a rien de dramatique, mais je suis souvent ma propre ennemie sur plein de choses. J'ai d’ailleurs fait un son qui s'appelle "Ennemie" et qui parle de ça. Mais je le vis bien, et je dois faire avec. C’est ce côté très intense de mon tempérament qui fait ma personnalité aussi.
"Quand j'étais plus jeune, je rêvais de faire des vidéos YouTube, de la musique, d'être médiatisée puis quand ça m'est tombé dessus, c’était un peu la désillusion."
La santé mentale est un sujet que vous abordez ouvertement sur vos réseaux sociaux ou encore dans le livre que vous avez sorti… La musique, c’est quelque chose qui vous aide au quotidien ? Une manière de poser des mots sur ce que vous ressentez ?
J'ai un PDF qui s'appelle "Shit Diaries" sur mon disque dur que j'entretiens depuis 2018. J'écris tous les jours, dès que j'ai un peu le temps. J'écris les choses les plus "randoms", ou les choses les plus profondes du monde. Souvent les paroles de mes chansons sont le reflet de ce PDF et parfois je l'ouvre pour m’en inspirer. Selon les périodes, il y a des moments où ce PDF est un chaos total et d’autres où c'est hyper joyeux et tout va bien, mais je l'écris quand même. Quand j’écris mes chansons, le jeu de trouver des rimes me permet de déculpabiliser du fait que des fois je dis des "dingueries" dedans. Je suis quelqu'un qui cogite beaucoup et écrire me permet de concrétiser mes pensées.
Qu’est-ce que vous aimeriez dire à la Satine d’il y a 8 ans sur le plateau de "The Voice Kids" ?
Je pense que je lui dirais qu'il ne faut pas être complètement plongée dans tous les projets qu'on a. Il faut aussi prendre du temps pour sa petite vie privée. C'est compliqué de se construire sainement dans un milieu de show business. Je me souviens qu'à chaque que fois je partais de Paris pour rentrer chez moi à Bordeaux, je pleurais en me disant : "Je ne reviendrai jamais… Jamais je ne revivrais un truc aussi intense." Malgré tout, je pense que j'aurais mérité d'avoir un peu plus le droit de me recentrer sur moi-même. Il y a un paradoxe dans le fait que quand j'étais plus jeune, je rêvais de faire des vidéos YouTube, de la musique, d'être médiatisée puis quand ça m'est tombé dessus, c’était un peu la désillusion. Je me disais : "Ah mais, en fait, attends, c’est peut-être limite plus le rêve de mes amis au collège que mon rêve à moi". Ce qui rendait tout ça un peu amère, c'était que je vivais mon rêve, j'étais persuadée de vouloir vivre ça, j’étais dedans et puis parfois je rentrais chez moi et l'ascenseur émotionnel était énorme. Un jour je suis sur scène ou sur des plateaux télé ou avec des youtubeurs comme McFly et Carlito ou Squeezie, puis je rentre chez moi dans ma campagne un peu paumée et je me retrouve seule. Au collège, c'était dur, je n’avais pas d’amis, j'étais un petit peu la fille bizarre. Je dirais que c'est ce côté-là que j'ai mal vécu même si je reste reconnaissante de tout. C'était beaucoup d'un coup. C'était trop et trop jeune. Mais je lui dirais quand même : "Ça va aller".
Depuis petite, vous n’avez jamais arrêté de faire de la musique, vous vous voyez en faire toute votre vie ?
Je suis née dans une famille de musiciens. Mon père est pianiste, ma mère est chanteuse et les deux sont dans le jazz. J'ai grandi avec ça, avec cette passion et une oreille presque faite pour ça. Ma chambre était juste à côté du studio de répétition de ma mère et je l'entendais tout le temps chanter. J’ai toujours baigné dans la musique, très forte, 24 heures sur 24 à la maison, avec mon père qui fait des prods et qui enchaîne 10 kicks d'affilée pour savoir quel est le meilleur.
Vous avez une esthétique différente aujourd’hui. Vos covers de single sont très colorées. On a l’impression que vous voulez revenir en enfance, tout en cassant cette image de petite fille, c’est assez contradictoire, pouvez-vous nous en dire plus ?
Exactement. Je suis passée par plusieurs phases dans ma réflexion de direction artistique. Je suis trop excitée à l’idée de faire plein de choses mais je n’arrive pas à me canaliser. Au début, je faisais ma crise d’adolescence en disant : "Je ne veux plus jamais qu’on me lie au yodel de The Voice, à la chanson du Hand Spiner, à tout ça". Puis, j’ai grandi et je me suis rendu compte que ça n’était pas une fin en soi et qu’il fallait que j’en sois fière. J’ai compris que si j’en avais autant honte, c’était à cause du harcèlement au collège. J’ai réfléchi, grandi et j’ai accepté. Selon moi, si je n’acceptais pas cette partie de mon parcours, toute ma vie allait être un mensonge. Ensuite, j’en ai beaucoup parlé sur mes réseaux sociaux et je me suis dit : "Ok, maintenant que j’ai tout debunké auprès de mon public, on peut passer à autre chose". On tourne la page mais on n’efface pas les pages. D’où la pochette au style enfantin, très colorée, parce que c’est ce que je suis aussi, une joueuse de jeux vidéo, fan de dessins animés, de Gumball… Je ne briserai jamais le lien avec ce que j’ai vécu. Je suis quelqu’un de coloré, de solaire et ça me tenait à cœur de le mettre dans la direction artistique. J’aime le paradoxe de cette pochette très colorée et plastique et de ma tête très sérieuse dessus. D’ailleurs, l’EP commence par un son intitulé "Le Piège", qui parle de ce sujet, de l’acceptation… J’ai essayé de l’écrire comme si c’était le "moi" de 12 ans qui parlait.
La France vous a connue avec "The Voice Kids" et sur YouTube, un vrai rayon de soleil, vous ne semblez pas avoir perdu cette malice…
Jamais [Rires]. C’est ce que je suis et j’en suis fière, je ne veux pas nier ça. Même quand j’étais enfant, j’étais un peu à côté de la plaque, à faire plein de blagues et à avoir toutes les références d’internet. On m’a beaucoup dit que mon style était décalé, j’avais des t-shirts Adventure Time et des Dr. Martens avec le personnage BMO du même univers dessus. Je défendais ça, ça me ressemblait, c’était quelque chose que j’aimais, et je ne comprenais pas à l’époque pourquoi socialement, j’avais un décalage avec les autres enfants de mon âge. Encore aujourd’hui, j’ai des moments de "zoomies", je suis très extravertie et on le lie beaucoup à l’enfance mais je trouve que c’est juste moi.
"J’adore le contraste d’un projet hyper coloré aux premiers abords mais avec un fond hyper glauque."
Certaines de vos chansons abordent des thèmes profonds mais les prods auxquelles vous les associez sont souvent très solaire… Même si les paroles peuvent être tristes, on a l’impression que vous essayez toujours de rendre les choses joyeuses ?
J’adore le contraste d’un projet hyper coloré aux premiers abords mais avec un fond hyper glauque. Je suis fan de films d’horreurs et de réalisateurs comme Ari Aster. J’ai été une enfant d’internet et malheureusement j’ai eu accès à des données assez gores très jeune. J’ai toujours eu cette curiosité morbide et j’ai toujours aimé les œuvres comme Don’t Hug Me I’m Scared qui sont très colorées mais ont un sous-texte abominable. J’essaie de retranscrire ça en chanson parce que je trouve que ça n’a pas beaucoup été fait. Je trouve ça assez marrant à écouter et d’un côté je trouve que c’est un peu une sorte de troll.
Quelles sont vos inspirations pour créer ?
C’est ce fameux PDF : "Shit Diaries". Sinon, j’essaie de me fixer un cadre avec un concept ou même de me mettre des contraintes quand j’écris. J’ai l’impression d’avoir beaucoup évolué en écriture en l’espace d’un an et d’être passée d’écrire ce qui me passe par la tête à beaucoup plus réfléchir et ça se ressent.
J’ai lu que votre rêve serait de créer votre propre comédie musicale, est-ce toujours d’actualité ?
C’est un peu un rêve d’enfant. Je suis fan de comédies musicales, à chaque fois que je suis allée à New York, je tannais les gens avec qui j’étais pour aller en voir. J’aime ce côté Broadway, jazzy. Je me suis toujours dit que le "Boss Final" de ma vie, quand j’aurai percé, que les gens écouteront mes chansons et que je serai plus vieille, serait de créer ma comédie musicale. Mon plan, c’est de réaliser un film avec mes chansons, qui exploserait, Oscars, Grammys… Ensuite, je sors l’album puis je pars en tournée et c’est moi qui joue le personnage principal. J’aime ce que détestent les gens dans ce genre : le côté kitsch, le fait que personne ne chante au milieu d’une phrase dans la vraie vie. Mais j’ai encore toute ma vie à vivre avant de faire ça.
Vous avez fait plusieurs dates aux quatre coins de la France, vous serez à La Maroquinerie le 12 juin prochain, vous avez hâte ?
Oui ! D’ailleurs, le 6 juin, je fais la première partie de The Living Tombstone et c’est fou parce que ce groupe n’est pas hyper mainstream mais c’est ce que j’ai écouté durant tout mon collège. Ils créent des musiques basées sur des creepypastas d’internet ou de jeux vidéo. J’ai trop hâte ! La Maroquinerie va être géniale, on prépare plein de petites choses. En plus, c’est la date parisienne, je trouve que ça concrétise quelque chose. C’est là où j’habite, il y aura tous mes amis, peut-être même ma famille.
Qu’est-ce que vous esquivez dans votre quotidien ou encore dans le monde de la musique ?
J’esquive les problèmes parce que le monde de la musique, c’est beaucoup d’âmes torturées qui se rencontrent, c’est souvent source de conflits et je ne veux pas faire partie de ça, j’essaie d’être neutre médiatiquement, pour rester une personnalité légère mais un peu "deep", tout ce que je suis dans la vie. Je fais de la musique toute seule dans mon coin, dans mon appart, je joue aux jeux vidéo, je fais du montage et c’est bien comme ça ! Sinon, dans mon quotidien j’esquive mes exs. [Rires]
Satine sera en concert à La Maroquinerie le 12 juin prochain.