INTERVIEW

Rencontre avec Yoa : "Il n’y a que la musique qui compte."

Publié le

5 juin 2023

Artiste de 23 ans, Yoa commence à se faire une place sur la scène française avec sa musique enivrante et mélancolique. Sorti en novembre 2022, son EP Chansons tristes mêle pop dansante, électro et R’n’B. Elle y parle de solitude, d’amour et de santé mentale, des sujets intimes et universels dans lesquels la jeune génération trouvera du réconfort.

Yoa ©Lara denova

Le rendez-vous est fixé au Trouville (Saint-Mandé) aux alentours de 14h. Installée à la terrasse du café, Yoa demande au serveur un thé noir qu’elle prend le temps de se servir. Accessible et terre-à-terre, elle revient sur sa carrière musicale, sa santé mentale et le syndrome de la page blanche lors d’une conversation honnête et sans façon.

La santé mentale est un sujet important pour vous. Vous en parlez dans votre EP Chansons tristes avec "paroxétine" et "insomniaque 4 ever". Question plutôt banale mais qui a son importance : Comment ça va ?

C’est drôle parce qu’on me pose beaucoup cette question [rires] ! Ça va super bien, franchement, ça va super super bien ! C’était des mois intenses mais tellement agréables parce que c’était la concrétisation de plein de choses. Je n’ai jamais été aussi peu angoissée et aussi apaisée de ma vie.

Comment vous gérez votre anxiété avec votre métier ?

C’est une bonne question parce que moi-même je n’explique pas tellement comment ça se fait. J’ai l’impression que ce que je vis actuellement, ma sérénité et ma paix intérieure sont le résultat de toutes les années de travail mental que j’ai fait auparavant et que je continue de faire. Je vais toujours chez le psy, je médite quand je peux parce que ça aide pour gérer le stress et l’anxiété mais, à part ça, c’est vrai que moi-même, je n’explique pas tellement comment ça se fait que je suis beaucoup moins angoissée. C’est peut-être parce qu’en ce moment, je profite du fait que ça se passe bien pour moi et qu’il se passe de belles choses autour de moi. C’est vrai aussi que je suis moins confrontée à des situations de stress oppressantes. Je pense que ça peut être un mélange de ces différentes choses. Financièrement, tout va bien. La santé, ça va super bien. Le travail, ça va très bien. Donc c’est sûr que ça doit aider au fait que j’ai moins d’angoisse.

Vous commencez le piano à l’âge de 7 ans et vous baignez dans un univers artistique avec un père producteur de films. Est-ce que la musique était une évidence pour vous ?

Ça a toujours été une évidence mais j’ai préféré pendant très longtemps le théâtre à la musique. Pour moi, pendant très longtemps, la musique c’était un hobby et le théâtre c’était mon activité principale. L’envie de me professionnaliser dans la musique, c’est venu plus sur le tard. La pratique de la musique, je la trouvais plus introspective et thérapeutique que la pratique du théâtre où je me sentais plus travailler. J’ai toujours eu beaucoup de facilités avec la musique, donc j’avais du mal à éprouver le fait que ça puisse être du travail.

J’ai assisté à votre concert à la Maroquinerie en janvier dernier. Vous mélangez la performance, le théâtre et la musique. Finalement, faire du théâtre vous a aussi aidé à faire de la musique…

Grave ! C’est sûr que quand tu fais de la scène ou quand tu dois écrire des choses, si tu as lu beaucoup de théâtre avant ou si tu as fait un peu de théâtre avant, tu t’en sers. C’est vrai que ça m’aide inconsciemment même s’il y a des choses que je ne convoque pas forcément de manière consciente quand je suis sur scène. Je ne fais pas d’exercices de théâtre avant de monter sur scène, ce sont des choses qui sont devenues innées parce que je les ai beaucoup travaillées. J’ai fait du théâtre pendant 10 ans donc ça devient un peu des automatismes.

"La pop, c’est de la musique un peu mainstream qui est à l’orée de plein de genres différents."

Dans votre musique, vous mélangez les genres : pop dansante, électro ou encore R’n’B. Comment vous vous définissez en tant qu’artiste ?

Je ne sais pas ce que c’est "mon style". Je pense que le plus simple c’est de dire que c’est de la pop. C’est ce que j’écoute le plus, c’est ce qui m’a le plus influencé pendant que j’écrivais les chansons. Malheureusement aujourd’hui, surtout en France, la pop est un terme un peu bâtard, pas hyper bien vu, c’est un mot un peu fourre-tout. C’est de la musique un peu mainstream qui est à l’orée de plein de genres différents mais je pense que ce que je fais, c’est de la pop. Je n’ai pas de genre de musique rêvé. Je ne sais pas du tout si mon premier album sera comme Chansons tristes. Justement, je ne pense même pas. Ce que j’aime chez les chanteuses de pop, c’est qu’à chaque album, il y a une nouvelle direction artistique, une nouvelle image, ça explore des nouveaux genres, ce n’est jamais tout à fait pareil. Je fais la même chose dans ma manière de consommer de la musique et c’est pour ça que naturellement je dis que je fais de la pop.

Yoa ©Lara denova

Vous écoutiez quoi en étant adolescente ? Quels étaient les posters que vous aviez dans votre chambre ?

J’avais surtout des posters de films dans ma chambre mais dans mon adolescence, j’écoutais beaucoup de pop stars américaines. J’écoutais tout ce qui passait à la radio comme les compilations NRJ "Summer Hits", j’écoutais ça tout le temps ! Pour moi, c’était la quintessence de ce qui se faisait dans la musique. J’écoutais Rihanna, Beyoncé, Shakira, Lady Gaga, Lana Del Rey et j’écoutais pas mal de trucs français assez indé : Fauve, Odezenne, Soko et Christine and the Queens.

Quelle serait votre collaboration de rêve ?

Franchement, pour l’instant, je n’en ai pas. Je pense que je n’ai pas assez fini de me chercher, de me trouver ou de connaître mon identité musicale à moi. Peut-être qu’un jour je le saurais et je saurais plus précisément avec qui j’ai envie de travailler. Il y a des gens que j’admire de fou et avec qui, je pense que, ça serait cool de travailler. Je pense à James Blake, c’est le seul où je peux te dire un peu près que ça me plairait, sinon je ne sais pas, je suis trop concentrée sur ma musique à moi pour l’instant pour penser à ça.

Yoa ©Lara denova

Vos textes sont souvent très francs mais toujours avec une part de vulnérabilité. Est-ce que vous pensez que cette dualité et ces contradictions reflètent la personne que vous êtes ?

Oui, assez bien. En me construisant, en étant ado, j’ai eu plein de problèmes, surtout l’anorexie. C’est une maladie où tu mens beaucoup pour camoufler le fait que tu ne veux pas manger ou que tu dois quitter le repas un peu plus tôt pour faire tes petites affaires dans les toilettes… Je crois que je ne supporte plus du tout le mensonge, j’ai vraiment un gros problème avec ça parce que ça me trigger et ça me rappelle quand j’étais anorexique. Donc je ne sais pas si c’est être crue ou être franche mais j’aime bien juste dire la vérité, dire ce que je ressens. Et, forcément quand tu dis la vérité, tu es plus vulnérable parce que tu ne mens pas.

"Tout ce que je fais, je le co-fais, je co-produis, je co-réalise."

Vous créez votre musique avec une petite équipe : Tomasi et Alexis Delong à la production, Lola Dubas comme styliste, pour citer quelques personnes. Est-ce que c’est important pour vous de travailler avec des proches ?

C’est plus logique pour moi de travailler avec des proches, qui ont une expertise bien sûr et qui savent ce qu’ils font, parce que c’est mon cercle et que ça me fait gagner du temps. On sait déjà comment se parler, comment communiquer, comment gérer des conflits entre nous, comment gérer du stress. On a déjà un langage commun, c’est plus simple dans cette mesure-là parce qu’on ne s’embarrasse pas de formules qui ne servent à rien. C’est plus direct et ça fait gagner du temps sur un peu près tout. Après, ça dépend aussi de la relation que tu as avec tes proches. Moi je sais que ce sont des gens à qui je peux littéralement tout dire. Si ce qu’ils ou elles font ne me plaît pas, je vais leur dire. Je travaille aussi avec ces personnes-là parce que mon projet, c’est ma tête et mon prénom, même si je ne pense pas être particulièrement égocentrique, forcément ça parle de moi. J’ai besoin, moi aussi, de réfléchir à la partie artistique, je suis aussi tête pensante. Tout ce que je fais, je le co-fais, je co-produis, je co-réalise. Tous les vêtements, je les ai co-pensé avec Lola même si c’est sa patte et même si c’est elle qui les a réalisés. Il y a peu de personnes qui sont capables de mettre un peu leur égo de côté pour épouser l’égo de l’artiste qu’il et elle défend ou avec qui il et elle veut travailler. Et c’est vrai que les proches comprennent mieux ce genre de choses aussi.

Yoa ©Lara denova

Vous avez fait un live Instagram récemment pour parler du manque d’inspiration dans l’écriture de vos titres. Comment vous avez fait pour surmonter le syndrome de la page blanche ?

J’essaie d’écrire. Même s’il n’y a aucune chanson terminée qui sort, même si c’est pas du tout ma manière d’écrire habituelle, j’essaie quand même d’écrire. Même si je n’arrive pas à écrire un morceau fini de A à Z, j’ai quand même des bouts de choses depuis des mois qui s’accumulent et on verra plus tard ce que j’en fais. J’imagine que ça va se débloquer à un moment et je sens que ça commence à se débloquer. C’est vrai que le seul truc qui m’angoisse un peu en ce moment, c’est que j’ai beaucoup de mal à écrire. Mais encore une fois, ça ne m’angoisse pas tant que ça parce que la pression, c’est seulement moi qui me la mets. J’en parle beaucoup avec mes équipes et ils me laissent vraiment tranquille là-dessus. C’est pour ça que je ne suis pas tant stressée que ça. Là, je sens que c’est un peu en train de revenir. Hier soir, j’ai commencé à écrire un truc qui me plaisait vraiment beaucoup et que je vais essayer de terminer aujourd’hui.

En écoutant votre musique "insomniaque 4 ever", j’ai beaucoup pensé à l’époque de la fin du lycée avec une ambiance de bal promo mélancolique. Il y a des chansons qui nous rappellent forcément des périodes, des étapes de nos vies. Si vous deviez choisir une musique qui serait la bande originale de votre vie, ce serait laquelle ? Plutôt une chanson triste ou au contraire joyeuse ?

Je pense que j’irais plutôt vers une musique cinématographique mais ça dépend des moods. En ce moment, une musique qui m’aide à vivre et qui me fait du bien, c’est peut-être la bande originale d’un film La Favorite de Yórgos Lánthimos, sorti en 2019. Ce sont des chansons de l’époque victorienne, du Vivaldi. Pour l’instant, c’est ça mais je pense que si tu me reposais la question dans un mois, ça serait autre chose.

Votre dernier coup de cœur musical ?

[Prends son téléphone pour regarder son Spotify] Mon gros coup de cœur depuis un an, c’est une meuf qui s’appelle Eloi, qui est française et avec qui j’étais au collège d’ailleurs. C’est vraiment ouf ce qu’elle fait ! Il y a deux semaines, j’ai découvert un chanteur camerounais qui s’appelle Blick Bassy. Je faisais un co-plateau avec lui pour un festival, j’ai écouté tous les artistes du festival avant de venir et ça m’a beaucoup touché parce qu’il chante en Baasa, c’est la langue d’origine de ma maman. C’est très rare d’entendre des chansons en Baasa, surtout en Europe. Ça m’a chamboulé parce que, vraiment, il a une voix d’ange et ça m’a chamboulé aussi d’entendre du Baasa chanté de manière aussi jolie. Donc je dirais Blick Bassy et Eloi.

"Il faut juste chercher à faire de la bonne musique et le public viendra après."

Quel est le meilleur conseil que vous avez reçu ?

Le meilleur conseil que j’ai reçu, c’est qu’il y a que la musique qui compte. Aujourd’hui c’est facile pour un artiste de se perdre un peu, surtout pour un artiste indé, entre tout ce qu’il y a à gérer en même temps. Je pense que les labels en général ont trop tendance à penser que les réseaux sociaux ont une importance phénoménale dans le développement d’un artiste alors que trop pas. Il y a tellement d’artistes qui vont percer sur les réseaux sociaux mais qui ont du mal à faire décoller leur musique après, parce que justement, les gens te découvrent pour tes réseaux sociaux et pas pour ta musique. Donc je pense que l’un des meilleurs conseils que j’ai reçu, c’est qu’il y a que la musique qui compte, en vrai. Il faut juste chercher à faire de la bonne musique et le public viendra après. L’une des choses que j’ai le plus apprise au cours de ces derniers mois, c’est de respecter son instinct le plus possible. Je sais que, quand j’ai un choix à faire, quand je rencontre une nouvelle personne, souvent j’ai une petite voix au fond de ma tête qui me dit : "Fais gaffe", "Attention, je ne le sens pas". Ecouter cette petite voix, ça peut faire gagner énormément de temps, dans la vie en général, notamment dans tes choix artistiques. C’est important d’écouter son instinct et de se rappeler que, peu importe où on en est dans sa trajectoire artistique, on est plus avancé aujourd’hui qu’on l’était hier, qu’on le doit surtout à soi et que c’est important de s’écouter.

Yoa ©Lara denova

Vous faites une tournée de festivals dans toute la France. Est-ce que vous pouvez m’en dire plus sur vos projets à venir ?

Je ne suis pas du tout stressée, je suis très contente, j’ai hâte ! On joue un peu partout en France, on joue au Canada aussi. J’ai fait trois/quatre festivals l’année dernière, ce n’était pas vraiment des grosses scènes, et là, ça va être des scènes un peu plus importantes, on a des belles dates dans des gros festivals. J’ai hâte de voir à quoi ça va ressembler, j’ai hâte de voir sur le moment. J’ai super hâte de voir, je suis excitée quoi ! Je vais aussi essayer d’écrire entre-temps pour un album, donc je continue et j’aimerais bien essayer de ressortir de la musique dans pas trop longtemps.

Yoa fera une tournée d’été. Notamment, aux Francofolies de Montréal le 16 juin prochain, aux Francofolies de la Rochelle le 15 juillet prochain ou encore au Midi Festival de Hyères le 22 juillet prochain.

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