INTERVIEW
Publié le
7 juillet 2021
De Madonna aux Rolling Stones, des stars de la NBA à l’ex président sud-africain Nelson Mandela, le designer français Jeff Hamilton a réalisé des blousons iconiques pour les personnalités les plus sulfureuses et convoitées de l’époque. Depuis le lancement de son label éponyme en 1986, il a dépoussiéré l’univers du cuir avec des créations streetwear intemporelles imprégnées de la culture américaine, attachée au basketball et à la musique hip-hop. Un véritable héritage qui séduit les artistes de la nouvelle génération, à l’image des chanteurs Drake ou The Weeknd qui présentait une collection capsule lors de sa prestation au Super Bowl 2021.
Vous avez grandi en France, à Paris. Racontez-moi votre départ pour les Etats-Unis ?
J’ai toujours eu la motivation de réaliser le rêve américain. J’aimais le basketball, la culture et la musique… La seule façon pour moi d’être ambitieux et de réussir, c’était de partir aux États-Unis. Vers 23 ans, j’ai décidé de prendre des risques et de déménager en 1980. Je suis arrivé aux États-Unis avec 6000 dollars, une femme et deux enfants et les débuts étaient difficiles. J’ai trouvé différents jobs au début en travaillant comme grossiste pour payer mes factures. J’ai commencé à rencontrer des gens et à me faire des contacts. Je n’avais aucune formation de designer. En 1982, j’avais un petit bureau à Downtown à Los Angeles où j’ai rencontré Georges Marciano et nous sommes devenus amis. Il n’avait pas encore démarré Guess Jeans. Lorsque lui et son frère ont lancé la marque, ils souhaitaient que je gère leur ligne masculine mais je n’étais pas intéressé. En 1983, comme je connaissais le concept des licences, je leur ai proposé de prendre la Licence Guess Jeans pourHomme. A ce moment-là, lorsque j’ai le contrat dans la main, je ne sais même pas qu’il faut un patronage pour créer un vêtement ! En ouvrant mon dressing, les idées sont venues, j’ai trouvé des patronniers et des personnes compétentes et tout est devenu plus ou moins magique. Tout s’est développé, pièce après pièce.J’ai commencé avec très peu de capital, environs 22 000 dollars, puis la première année, je faisais déjà 15 000$/mois, six mois plus tard, j’étais autour de 600 000 $/mois... Je ne parlais pratiquement pas l’anglais. Enfin, je n’étais pas aussi à l’aise avec cette langue qu’aujourd’hui j’imagine ! Et c’est comme cela que mon affaire a démarré.
"Au début, je suis devenu designer par nécessité, pas par choix."
Aujourd’hui, vous êtes un designer légendaire… Le souhait de devenir designer s’est imposé depuis toujours ?
J’ai toujours eu un esprit artistique. Quand j’étais gamin, en France ou au Maroc, je faisais des peintures. J’ai toujours eu du goût, je m’habillais bien. Mais au début, je suis devenu designer par nécessité, pas par choix. J’ai trouvé ma voie et je suis aussi passionné par l’art. Je suis surtout passionné par ce que je fais.
Vos bombers en cuir ont été portés par des champions iconiques de NBA, notamment Michael Jordan… A ce qui paraît, c’est un autre champion de basket, nommé Magic Johnson, qui vous a présenté…
Quand j’ai quitté Guess Jeans, en 1986, j’ai lancé ma marque "Jeff Hamilton" car tout le monde me connaissait sous ce nom. A l’époque, je souhaitais un nom qui sonnait "américain" et pas français pour ma société. Je ne voulais pas que ce soit cliché. J’étais aussi très bronzé, avec de longs cheveux, et beaucoup de gens disaient que je ressemblais à l’acteur américain Georges Hamilton. La transition naturelle était d’appeler ma marque avec mon propre nom. J’ai commencé avec une marque de vêtements assez Lifestyle. J’avais aussi cette passion pour les Harley-Davidson et j’ai souhaité créer des blousons que pour moi mais je ne savais pas comment les produire car c’était difficile à réaliser. Dans les années 1980 j’étais entouré de nombreuses célébrités du rock de l’époque comme Billy Idol, Whitesnake… et ils ont souhaité m’acheter des blousons. Avec l’engouement, les magasins ont commencé à acheter. C’est à partir de là qu’un de mes blousons est apparu dans le premier clip de Madonna : "Borderline".
Après tout ça, j’ai fait des blousons pour Georges Michael, Michael Jackson… J’avais acheté une maison à Beverly Hills que je louais à Jermaine Jackson, le frère de Michael. C’est comme cela que je suis devenu ami avec toute la famille. Je créais des blousons pour eux. En même temps, je suis devenu ami avec des joueurs de basketball. Un joueur de basket m’a présenté à Magic Johnson, qui m’a présenté ensuite à Michael Jordan et tout s’est enchaîné : New Kids on the Block, Nelson Mandela… Toutes les légendes de la comédie américaine voulaient des blousons. C’était vraiment magique et j’ai continué à designer et à me lancer dans le sport, j’ai pris toutes les licences pour le football américain (NFL),le basketball (NBA), le hockey, le baseball et la société a beaucoup grandi. En 1996, c’est la première fois que j’ai fait un blouson pour Michael Jordan et Scottie Pippen. J’étais présent avec eux dans les vestiaires. Dès le lendemain, le téléphone a commencé à sonner et tout le monde voulait ces blousons.
"L’inspiration c’est un processus continu et naturel, je n’ai pas besoin de m’assoir, de penser et d’être avec un fusain au milieu de la nuit !"
C’est ce qu’on peut appeler un véritable "American Dream" ou un rêve d’enfant ?
C’était un peu les deux. Je n’aurais jamais imaginé pouvoir réussir aux États-Unis comme ça. Mais plus que l’argent ou la célérité, c’est surtout la passion de ce que je fais et le fait de laisser un véritable héritage. Ce sont des choses qui me tiennent à cœur.
Muhammad Ali, Mike Tyson, Shaquille O’neal, Lebron James mais aussi des stars de la musique comme Madonna, Michael Jackson, Dr. Dre ou Snoop Dog. C’est cet esprit hip-hop qui lie ces univers ?
Pas tout seul mais je pense que ce qui est important, c’est ce qu’on appelle en Amérique "la culture". Depuis les années 1990, la culture de la NBA ne s’arrête pas qu’au jeu, elle transcende certains domaines comme la mode, la musique avec le hip-hop, les sneakers... C’est cette culture qui a bercé les nouvelles générations. Avec Michael Jordan, Kobe Bryant, Shaquille O’neal et plus tard Lebron James, mon nom est devenu fort avec cette culture. Les passionnés connaissent l’ADN de mes créations imprégnées par cet univers. En étant proche des joueurs et des stars de la musique, tout s’est lié très naturellement.
"Le blouson, c’est une toile où je peux vraiment m’exprimer autant que je veux."
Quelles sont vos inspirations pour créer vos blousons ?
L’inspiration c’est un processus continu et naturel, ça fait partie de moi-même, c’est 24h/24h. Je peux voir un porte-clés et aimer un dessin dessus… Je n’ai pas besoin de m’assoir, de penser et d’être avec un fusain au milieu de la nuit !
Comment avez-vous créé votre identité visuelle ? Vous procédez par des collages de logos NBA…
Mes blousons sont flashy. Une partie du succès des blousons, c’est le fait que j’ai trouvé un angle un peu différent dans le business de la mode. Tous les blousons sont en éditions limitées, j’ai créé plus ou moins le croisement entre l’art et la mode et chaque blouson est daté et signé personnellement. Le fait d’avoir ce processus de fabrication et cet ADN si particulier rend chaque blouson spécial et unique. C’est pour cela que mes blousons des années 1990 qui valaient 2000$ valent aujourd’hui 13 000$ ou 14000$. Des blousons se sont vendus jusqu’à 100 000$ dans des ventes aux enchères. Le blouson, c’est une toile où je peux vraiment m’exprimer autant que je veux. Les blousons sont parfois-même plus difficiles à réaliser que mes toiles en cuir.
"J’ai vu Drake, il y a quelques semaines, et il m’a dit :‘Jeff, tu ne réalises pas ce que tu as fait pour ma carrière ! Tu m’as tellement inspiré et j’ai toujours eu ce rêve de porter tes blousons’. Pour moi, un compliment comme ça, ça vaut beaucoup plus que tout l’argent du monde."
Cette idée de logos était d’ailleurs très avant-gardiste car aujourd’hui nous sommes à l’ère du logo… Beaucoup de maisons de couture très chic misent sur le phénomène…
Cela fait longtemps que des maisons italiennes et françaises se sont inspirées de mes créations. Mais je suis plutôt content que contrarié. J’aimerais qu’elles précisent "inspiré par Jeff Hamilton". Aujourd’hui, il y a un vrai retour de la marque. Cinq ou six rappeurs ont écrit des chansons sur moi, je suis dans certains clips donc je me sens comme un élément de la culture et j’adore ça. Les logos, c’est quelque chose que j’ai démarré au début avec ce ton flashy et maintenant les nouvelles créations sont assez différentes. Aujourd’hui, je fais des collaborations avec beaucoup de marques et je discute avec des marques européennes pour créer des choses prochainement avec elles.
Même la marque Supreme s’est inspirée de votre travail…
Oui identiquement mais je suis flatté !
"A ce point de ma vie aujourd’hui, le plus important pour moi c’est de laisser un héritage et de continuer mon travail d’artiste."
Vous pensez avoir contribué à moderniser l’image du vêtement en cuir en lui façonnant un look streetwear…
Si je l’ai fait, je ne l’ai pas fait consciemment. C’était une évolution normale en étant toujours connecté à la culture. Aujourd’hui, j’ai 65 ans et je reste toujours autant en accord avec la culture, avec celle du basketball. Je peux vous parler sneakers, je peux utiliser un iPhone avec facilité… ! Je me sens en phase avec mon temps.
Drake a porté une de vos créations au NBA All-Star Game en 2016, baptisée "Farewell to Mamba" pour célébrer la fin de carrière sportive de Kobe Bryant. Au Super Bowl 2021, le chanteur The Weeknd a présenté une de vos collections capsule… Vous pensez que c’est leur histoire qui fait rêver la nouvelle génération d’artistes ?
En 2004-2005, j’ai plus ou moins arrêté, je m’étais lancé davantage dans l’art. Depuis un an, le label est vraiment reparti car la vraie raison est que toute la nouvelle génération et mêmes les plus vieux sont très connectés à Instagram. Les gens réalisent en voyant les photos iconiques de Kobe Bryant et de ses blousons, et se disent : "Qui a créé ces pièces ?".Quand j’ai commencé, The Weeknd était tout jeune et il est un grand fan de mes créations. J’ai vu Drake, il y a quelques semaines, et il m’a dit : "Jeff, tu ne réalises pas ce que tu as fait pour ma carrière ! Tu m’as tellement inspiré et j’ai toujours eu ce rêve de porter tes blousons". Pour moi, un compliment comme ça, ça vaut beaucoup plus que tout l’argent du monde. A ce point de ma vie aujourd’hui, bien sûr l’aspect financier est très important, mais le plus important pour moi c’est de laisser un héritage et de continuer mon travail d’artiste.
Vous avez même créé des vestes pour l’ex président sud-africain Nelson Mandela. Vous avez gardé un souvenir de cela ?
Malheureusement non car je n’étais pas avec lui ! Je ne l’ai pas rencontré. Mais j’ai aussi fait des blousons pour le roi du Maroc. Pour moi, c’était un moment de fierté de savoir que les deux derniers rois du Maroc avaient mes blousons, étant né dans ce pays. Le dernier roi a aussi une collection de mon art. Cela est plus valorisant que l’argent, je parle de joie et de reconnaissance. Je suis très touché.
Avez-vous eu une demande de star pour faire un blouson très difficile à réaliser, avec Migos par exemple ?!
Ah non ! Ils m’avaient demandé un blouson mais le laps de temps pour la réaliser était un peu court. Mais dernièrement, ils m’appellent car ils veulent vraiment qu’on travaille ensemble. Nous nous sommes vus, d’ailleurs à une soirée, c’était le timing parfait !
Vous avez fait une collaboration avec Chinatown Market et Converse dernièrement où vous avez rendu hommage à deux équipes de basket iconiques LA Lakers et Chicago Bulls. C’est une opportunité pour les adeptes de vos créations qui ont moins de moyens d’avoir une création de vous ?
Nous avons fait une collaboration avec Converse l’année dernière pour honorer les championnats de Kobe Bryant et Michael Jordan. Je suis très sélectif pour vendre en magasin car je souhaite vraiment garder le contrôle. Je ne fais plus que des projets qui me passionnent. J’ai crée ma collection de blousons et j’ai aussi fait des blousons un peu moins chers. J’ai aussi une ligne de tee-shirts, de casquettes… Mais tout est vendu sur mon site et à travers des collaborations. J’ai environs une quinzaine de collaborations en marche en ce moment.
"Ce qui me manque le plus à Paris, c’est une tartine beurrée le matin avec mon café, marcher dans la rue, admirer les immeubles et parler français !"
Vos créations sont faites à la main…
Oui tout est fait à la main. Chaque petit logo est fait à la main avec un petit couteau Exacto. Chaque petit détail est coupé, collé et cousu à la main. Certaines personnes disent que le blouson est cher parce que cela coûte très cher à le faire aussi !
La France vous manque parfois ? Qu’est-ce qui vous manque le plus ?
Je ne pense pas que je pourrai retourner vivre en France mais je me languis d’y retourner. A cause de la pandémie, je n’ai pas pu revenir depuis deux/ trois ans. Je me sens tellement bien quand je suis à Paris, c’est la plus belle ville du monde. Je suis toujours français, j’ai toujours un passeport français et je conduis à Paris, je m’y sens vraiment très libre. Ce qui me manque le plus à Paris, c’est une tartine beurrée le matin avec mon café, marcher dans la rue, admirer les immeubles et parler français !
Préparez-vous de nouvelles collaborations ?
J’ai de nouvelles collaborations en cours dont je ne peux pas parler encore. Il y a de grands noms français et suisses. Je travaille avec deux grosses marques de montres suisses. Je vais faire des blousons et ma propre marque de montres et je prépare des projets avec d’autres labels….
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