CINÉMA
Pourquoi décorer ses murs de petites étoiles fluorescentes ? Pourquoi flanquer son nouveau frigo de magnets personnalisés ? Pourquoi faire pousser de jolies plantes sur sa jardinière à l’arrivée des beaux jours ? La réponse est connue surtout de ceux qui déménagent, changent souvent de décors avant que leurs toits ne leur tombent (à nouveau) sur la tête. Parce qu’en attendant la prochaine catastrophe, certains essaient tant bien que mal de se sentir bien "chez soi", même si ce n’est plus pour très longtemps. Présenté au festival Sundance en début d’année, le second long-métrage du réalisateur américain Max Walker-Silverman, Rebuilding ("reconstruction" en français), est de ces drames pudiques mais puissants qui ne souffrent pas de l’économie de mots de son personnage principal.
2020, Colorado. Les incendies de forêt ont dévoré plus de mille foyers en quelques semaines. Au volant de son pick-up recouvert de suie, la mâchoire serrée et tremblotante, Dusty (Josh O’Connor) embrasse la route d’un regard perdu. Ce long ruban gris, parsemé de troncs cadavériques fait peine à voir. Certains, survivants, heureux de tenir encore debout, tendent leurs maigres bras vers le ciel dans l’espoir de retrouver un jour leurs parures. Père divorcé, Dusty est l’ancien propriétaire d’un immense ranch bleu, car "couleur préférée de sa mère", et un cow-boy qui n’en a plus tout à fait l’air. Soudainement, contraint de déserter ses anciennes terres arides, il rejoint un campement "FEMA" (Federal Emergency Management Agency), dans lequel mobile homes bringuebalants abritent toutes sortes d’autres vies faites de bric et de broc. À première vue, l’originalité du scénario, pourtant d’apparence assez banal, saisit. Car rares se font les films qui s’attardent sur l’"après" incendies, préférant pour la plupart plonger dans les flammes et la panique qu’inspire le moment présent — à l’image du très sensationnaliste (quoique divertissant) The Lost Bus (Apple TV, 2025), dans lequel Matthew McConaughey incarne Kevin McKay, héroïque chauffeur de bus pendant un terrible incendie en Californie. Mais que se passe-t-il une fois que tout est parti dans les flammes, que les cris s’étouffent et que la poussière se tasse ? Avec sensibilité, sobriété et pudeur, Rebuilding s’attarde à montrer les cicatrices laissées par de telles brûlures.
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Sorti le même jour que le troisième opus d’ "Avatar : De feu et de Cendres", Rebuilding est aussi une histoire de renouvellement familial après un événement tragique causé par le feu. À part ce parallèle, absolument tout oppose les deux films. D’un côté, la grandiloquence des plus grands spectacles de science-fiction hollywoodiens, des mondes suspendus et des récits de grande bravoure. De l’autre, la pureté sans artifice, la sereine beauté des paysages de l’Ouest américain, l’intensité des silences lourds et des regards bavards. Rebuilding pose un regard doux-amer sur ceux qui peinent à renaître de leurs cendres, tâtonnent dans le noir à la recherche d’un nouvel espoir et d’une autre chaleur. Il raconte ces "rescapés" que la vie trimballe de chagrin en chagrin, interroge sur ce qui rend l’Homme humain et ancré dans ses terres, au-delà de ses anciennes et futiles possessions qu’on aurait amassées dans le passé. "Ce qui me manque le plus, c’est ce que j’ai oublié", confie dans un soupir Dusty à ses nouveaux voisins au coin du feu. La force du film réside alors non seulement dans le réalisme touchant de son histoire, mais surtout dans la douceur des liens, nouvellement tissés ou joliment renforcés par le voisinage, l’entraide et les gestes du quotidien. Certains iront déposer des plats fumants sur le palier du vieux solitaire qui ne sort jamais, sans attendre ni reconnaissance ni rien en retour. D’autres, plus taiseux, essaient de "faire de leur mieux", à l’image de Dusty. En fin de compte, il "a toujours ses terres" et reste un magnifique cow-boy dans les yeux malicieux de sa petite (magnifiquement jouée par Lily LaTorre).
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"Ce qui brûle éclaire", La part manquante, Christian Bobin (1986)
La lumière, tout comme les plans serrés autour des regards, embués et désemparés, subliment la fragilité des personnages et le propos intimiste du film. "To her, you’re reborn", glisse Ruby, jouée par Meghann Fahny (The White Lotus) à son ex-mari. La relation père-fille — presque aussi touchante que celle jouée par Paul Mescal et Frankie Corio dans Aftersun (2022), mais aussi les scènes, pleines de compassion, entre Dusty, son ex-femme, sa belle-mère Bess, et ses nouveaux voisins (mention spéciale à l’actrice Kali Reis), confèrent au film sa grande puissance émotionnelle. Bercé par de délicates et discrètes mélodies country, mi-étreinte hivernale, Rebuilding réussit à montrer, évitant tout discours social caricatural, pathos et fioritures, le triste sort des "laissés-pour compte" de cette Amérique désunie, précaire et résiliente.
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"Rebuilding", en salles.