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Publié le
18 novembre 2025
À l’occasion de la Winter Édition du festival Montagne en Scène, au Grand Rex, Mathis Dumas revient sur la réalisation d’un film personnel, Better Up There, consacré à son ami, Léo Slemett, champion du monde de ski Freeride.
Sur la scène du Grand Rex, à Paris, il était difficile pour Léo Slemett, champion du monde de ski Freeride, de se saisir du micro qui lui était tendu après la projection de Better Up There. Le film, présenté dans le cadre de la Winter Edition du festival Montagne en Scène, retrace une partie de sa vie, celle qui ne se joue pas que sur les skis. C'était difficile pour lui, tant les applaudissements étaient assourdissants. Difficile, tant le symbole de cette projection était grand. Et personnel. Pendant 45 minutes, le film réalisé par Mathis Dumas, le guide de haute montagne et photographe qui a accompagné Inoxtag sur Kaizen, se concentre sur la façon dont surmonter des épreuves de vie, trouver la ressource pour se prendre les coups, tomber bas, et recommencer à se hisser. Mathis Dumas observe Léo Slemett atteindre de somptueux sommets, et descendre vers un très grand creux, celui d’un champion du monde qui porte deux deuils. Celui de sa compagne Estelle Balet, snowboardeuse, puis six ans plus tard, celui d’Adèle Milloz, skieuse et alpiniste, sa compagne également. Un film puissant, extrait d’un milieu où l'on se livre peu, ce sont des montagnards, rappelle Mathis Dumas, et ce genre de production n’est pas dans leurs habitudes. C’était un défi. Un défi relevé, parce qu’il dépasse l’histoire de Léo Slemett. Parce que beaucoup, en regardant ce film, panseront aussi leurs propres plaies, d’une façon ou d’une autre. Un film sur la force du groupe, à l’évidence, ponctué par un décor aussi beau que paradoxalement, la douleur est immense. Quelques minutes avant la projection, S-quive a rencontré Mathis Dumas dans les loges. Il avance, lui aussi, étape par étape, dans ses productions, dans ses projets. Il porte aujourd'hui son ami Léo à l’écran. Qui d’autre qu’un ami pour réaliser ce film ?
À quelques minutes de la diffusion devant un Grand Rex complet, comment vous vous sentez ?
Bien ! Je me sens bien. Je pense que le film va plaire et qu'il va surprendre beaucoup de monde. On l'a présenté à quelques festivals et dans quelques salles de cinéma, avec un public plutôt montagnard, plutôt averti. Les gens qui viennent ici, qui ne savent pas à quoi s'attendre, je pense qu’ils vont être surpris par l'histoire.

Qui est à la genèse du projet ? Vous, ou Léo Slemett ?
C'est vraiment moi qui ai initié le projet. À la base, suite à l'accident d'Adèle, qui est survenu en 2022, je me suis dit que l’histoire de vie de Léo était vraiment spéciale. Je voulais absolument raconter ce parcours hors normes. Et rendre hommage aux filles, d'une certaine manière. J'ai construit le plan comme ça. Et je voulais que ce film soit un nouveau départ pour Léo. On raconte cette histoire, puis on repart sur de nouvelles bases.
En regardant le film, on ressent quelque chose d’ultra intime, presque comme si vous l’aviez fait pour lui, pour votre bande de potes. C’était pensé comme ça ?
C'est ça ! J’ai construit ce film comme un film thérapeutique, pour Léo.
Vous évoquez souvent l’importance des étapes dans vos projets, et même dans votre vie. Quelles ont été les étapes importantes de ce film ?
La première grande étape, c'était de convaincre Léo de faire un film portrait.
"C'est un film qui n'a pas vraiment d'exemple, c’est un peu novateur."
Ça a été dur ?
Oui ce n’était pas facile. Parce que Léo savait que l'histoire n'allait pas être facile à raconter. Est-ce que lui, il avait l'envie de la raconter ? Ce n’était pas évident. Comment trouver le bon équilibre entre business et narration aussi. Ce n’est pas une histoire sur laquelle on a envie de construire un projet commercial, en tout cas, c'est son histoire personnelle, et ce n’est pas une histoire facile. Donc la première étape, c’était d’enclencher le projet. Ensuite, il a fallu rassembler toutes les images du passé, les images d'archives. La troisième, je dirais que c'était à la première version du film, quand on lui a fait découvrir. Pendant 1 an, Léo n’avait rien vu. Il était resté en dehors du projet. On a avancé entre le monteur, le storyteller, et son frère, qu’on avait impliqué dans le processus, comme c'est très personnel, il nous aidait à ne pas partir dans de fausses directions. Au bout d’un an, on lui a montré le résultat qui était construit à travers ce que les gens nous avaient raconté. A ce moment-là, lui, il nous a raconté comment il voyait son histoire et comment la raconter, ça a modifié des choses. C'était une grande étape, même pour lui, voir ce que les gens avaient dit en interview, c'était assez impactant. La dernière étape, c'est la diffusion, ce soir c’est une étape également.

À quel point appréhende-t-on de filmer une histoire aussi personnelle, ça a été vraiment différent de ce que vous faites d’habitude ?
C'est un film qui était challengeant ! Je savais où je voulais aller, et Léo avait du mal à comprendre le process et le projet. C'est un film qui n'a pas vraiment d'exemple, c’est un peu novateur. Je lui expliquais qu’on allait faire un film de ski, qu’il y en aurait, mais pas tant que ça, que ce serait beaucoup d'interviews, beaucoup d'archives. Et il avait un peu du mal à comprendre où on voulait aller.
C'est vous qui réalisiez les interviews de tous ses proches ?
Oui, globalement. Je connaissais la plupart des personnes, et on avait notre fil conducteur. Ce qui était marrant, c'est qu'à un moment, dans les interviews, il y en a qui nous ont surpris, par rapport à ce qu’ils nous ont livré, on ne s’y attendait pas, et évidemment d’autres nous ont un peu plus déçu.

Dans le film, il est dit : “On ne parle pas trop de nos sentiments, le montagnard est assez rustre.” C’est une vision un peu stéréotypée, est-ce que vous la partagez ?
Oui, j'ai l'impression que c'est comme les marins. C'est un peu tous les univers où l'environnement est un peu extrême. Les gens ont forcément une carapace. Ils se replient un peu sur eux, et ne laissent pas transparaître leurs émotions. Je suis d’accord, à mon sens c’est juste.
"‘Better up there’ raconte une histoire que l’on peut s’approprier, même si on ne fait pas de montagne."
Avec Better up there, vous aviez envie de casser cette image?
L'idée, à la base, ce n’était même pas celle-ci, mais c'est venu naturellement pendant la construction du film. Je ne me disais pas que je voulais absolument sortir tout le monde de sa zone de confort et casser cette image-là de montagnard. En revanche, je savais que ça allait être dur, parce que j'allais devoir creuser dans les interviews pour avoir la matière qu’on voulait.

La presse, la promo, c’est un exercice que vous commencez à apprivoiser. Qu’est-ce que vous avez envie de toucher, de transmettre à travers ces histoires ? D’autant plus que la montagne n’est pas accessible facilement, ni techniquement, ni financièrement parlant ?
La montagne, c'est juste un décorum qui vient nourrir l'histoire. Ce film raconte une histoire que l’on peut s’approprier, même si on ne fait pas de montagne. Même si tu es dans une vie qui n'a rien à voir. Et finalement, tu te dis que les épreuves qu’il traverse, les hauts, les bas, tout le monde en vit, d’une manière ou d’une autre. Dans Better Up There, les hauts sont très très hauts, et inversement, les bas extrêmes. En regardant ce film, tu te dis que quand tu penses être au bout du rouleau, il y a des personnes au plus bas qui pourtant, arrivent à remonter. C’est une histoire qui va au-delà de la montagne.
Qu'est-ce que tu penses qu'il faut esquiver quand on filme les montagnards ?
Je dirais qu'il faut esquiver de se prendre pour un montagnard !
"Better up there", Mathis Dumas.