ARTS
Jusqu’au 8 septembre prochain, le musée de Flandre de Cassel (59) rend hommage à Nicolas Eekman, peintre du carnaval et des légendes germaniques. Proche des avant-gardes parisiennes durant l’entre-deux-guerres, il resta fidèle à un style figuratif, largement inspiré par les coutumes, les proverbes, et les contes de son pays. Avec l’exposition "Le Monde fabuleux de Nicolas Eekman", plongez dans la Flandre farfelue d’un peintre hors de son temps.
De loin, elles ressemblent à une toile de Jérôme Bosch ou de Pieter Bruegel l’Ancien. Pourtant, nous sommes face aux œuvres de Nicolas Eekman, un peintre du XXe siècle qui fréquenta Chagall, Picasso ou encore Ernst, et fut l’ami de Mondrian. Pour sa nouvelle exposition temporaire, le musée de Flandre de Cassel accueille plus de 80 œuvres de cet artiste mystérieux, si attaché à ses racines et à son folklore. Un voyage rocambolesque, au pays du carnaval !
"Le fantastique, cette couleur exaltante du faux quand il redevient vrai, s’est implanté peu à peu à mon insu, au point qu’au début je m’inquiétais de cette intrusion (…) Le fantastique, c’est la révélation de l’imaginaire". Les commentaires de Nicolas Eekman, aussi rares que précieux, aident à comprendre sa fascination pour les traditions locales. Le folklore traduit l’imaginaire populaire, et permet à une certaine folie de s’exprimer. En Flandre, il se cristallise autour du carnaval, la fête où l’ordre social se renverse, où la foule se masque et se mêle à des cortèges de créatures fantastiques. Encore aujourd’hui, les géants paradent dans les rues des villages du Nord de la France, et le Four Merveilleux transforme les jeunes en vieillards. Au cours de l’exposition, on tombe d’ailleurs nez à nez avec certains de ces masques !
L’œuvre picturale de Nicolas Eekman est complètement habitée par cet univers, et rappelle les toiles de son contemporain James Ensor. Sur le tableau Cappricio ou Le Mirliton, une sorte de Peter Pan flamand, perché sur un arbre, domine une foule masquée, inquiétante et compacte. C’est que le carnaval joue avec les peurs : les visages avancent maquillés ou masqués, l’heure est au travestissement, et l’on ne distingue plus le vrai du faux. Sur la toile Mascarade, c’est à un singe qu’Arlequin tend son miroir, signe que les reflets ne veulent plus dire. Chez Eekman, la tonalité est toujours tragi-comique, car le pouvoir semble faire basculer les hommes dans la démesure. Paysans, moines ou monarques : personne n’échappe à cette part de folie qui régit l’univers.
L’œuvre du peintre belge montre les excès des hommes. Dans La Barque à Nous, les bateaux de pêcheurs se retrouvent avalés par d’énormes carpes : un motif que l’on retrouve souvent, sous la forme de rangées de poissons emboîtés les uns dans la bouche des autres. Ils illustrent l’expression flamande : "Les gros poissons mangent les petits", qui signifie que les puissants ruinent les petites gens, et que le monde est régi par la loi du plus fort. Pieter Bruegel l’Ancien les représenta en 1556, et à sa suite, Pieter van Der Heyden. Ici, Nicolas Eekman s’inscrit à nouveau dans toute une tradition proverbiale et picturale. De même, dans Folle moisson, les paysans ploient sous de gigantesques gerbes de foin, bien trop grosses pour eux. Une scène chaotique, où l’on ne sait s’il faut rire ou s’apitoyer. Là encore, le message reste ambivalent. En revanche, les gravures qui illustrent La légende de Till l’espiègle (De Legende van Tijl Uylenspiegel) ont une portée politique plus claire. L’auteur du récit, Charles de Coster, y met en scène les farces de Till à l’égard du tyrannique Roi Philippe II d’Espagne. Eekman accentue le trait, et rend hommage à la Flandre du XVIe siècle, alors sous domination espagnole.
Loin de l’air du temps, Nicolas Eekman voltige comme un saltimbanque. Il disperse çà et là des messages dans ses toiles, comme le Petit Poucet. Des cartes à jouer : toujours l’as, car il a le pouvoir de renverser le roi. Des godillots : ceux de Van Gogh, que l’artiste admire et dont il revendique la filiation. Des hiboux : symbole de folie, et oiseau des sorcières. Et puis toujours une menace rôde : celle de l’oiseleur, qui englue les branches des arbres, pour capturer ses proies. Notre Peter Pan flamand de tout à l’heure est-il perché sur son arbre, ou pris au piège lui aussi ? De toute façon, l’as sera là pour rebattre les cartes du jeu…
"Le Monde fabuleux de Nicolas Eekman", au musée de Flandre de Cassel (59) jusqu’au 8 septembre prochain.
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