LES PLUMES

Il nous restera ça : Pleymo

Publié le

27 janvier 2023

Le nouveau millénaire est liquide, plein de silicone liquide. Le temps passe d’un coup, c’est comme un manga, ça nous prend là. Quelle frontière reste-t-il encore entre l’Homme et l’Homme virtuel ? Nous programmons l’avenir d’un passé d’Asimov, dans la cage dont on a jeté la clef. L’urgence n’est plus à la découverte de l’intelligence artificielle. Elle est à légiférer sur la place sociale que doit prendre l’humanoïde. Mais plus encore, en 2023, nous devrons se poser la simple question : qu'est-ce qu'il nous restera ?

 

The last of us

Ce début d’année se place comme le marqueur indélébile d’une nouvelle étape dans notre histoire commune. En 1999, un groupe de métal français arrive avec un premier album pour questionner notre condition : "on bouffe de l’Homme sous vide et tout le monde dort ?" A présent, l’artificialisation de notre image est telle que nous devons nous rendre à l’évidence ; il faut définir cette (notre) nouvelle identité cybernétique. L’I.A est le sujet brûlant qui bouscule un quotidien, qu’on a pourtant construit toutes ces années durant. Dès son premier album, le néo-métal de Pleymo annonce, sans concession, qu’il n’est pas là pour jouer. Il pose des questions, qui attendent des réponses. Loin d’inventer un nouveau courant musical, il le popularise en brisant les parois d’une société vitrée, par la fumée aveuglante de cette pulsion viscérale de mort. Passant du métal, au punk, au rock, au hip-hop, à l’électro, à la pop, à la folk…autrement dit : en étant vivant. Les membres de ce groupe ont montré que l’Homme se définit par le mouvement plus que par l’immobilisme.

Riffs de guitare retentissants, Vans aux pieds, chaussettes jusqu’aux genoux, des cris comme des prières, Pleymo fait une musique qui, aujourd’hui, résonne dans des murs de polyester vides.

Il faut "faire peta tout ce qu’on a en nous !" Comme l’explosion d’une vie codifiée. Comme l’implosion d’une identité matrixée. Comme la vie après la mort. Comme la mort après la vie. Face à la fin de tout, tout est à refaire. L’achèvement programmé de notre définition survient comme une goutte de pluie dans un ciel bleu. Pourtant, nous avons façonné ce déluge à venir. La noirceur des nuages qui grondent fait ressurgir des eaux profondes du temps, des musiques comme celles de Pleymo. Tout le monde se lève par crainte de ne plus voir l’horizon qui tombe. Les derniers d’entre nous se rassemblent, dans l'attente de faire entendre l’unique espoir de l’Homme : l’Homme ! Riffs de guitare retentissants, Vans aux pieds, chaussettes jusqu’aux genoux, des cris comme des prières, Pleymo fait une musique qui, aujourd’hui, résonne dans des murs de polyester vides.

A froisser le bitume

Stendhal a écrit "qu’au moment où vous commencez à [aimer une personne], vous ne la voyez plus telle qu'elle est réellement, mais telle qu'il vous convient qu'elle soit." Une définition, de ce sentiment si humain, comme une prémonition macabre. A l’instar du fantasme de Spielberg dans Ready Player One, la virtualité réelle devient le quotidien, dans lequel on plonge, pour retrouver l’oasis qu’on parvient de moins en moins à vivre. Depuis, nous nous abreuvons de manques. On froisse le bitume pour chercher le phare dans l’écume des jours. Le groupe français a marqué l’entrée dans le nouveau siècle avec un son comme un virus. Il ronge les mots d’une langue rigidifiée pour la reconstruire à coup de "tcheukba".Il voit la musique comme ce qu’elle est vraiment : un support de liberté. Avec toute l’insolence qu’il faut pour oser tenter de vivre, ce collectif va, avec la Team Nowhere, conduire une foule à sauter pour faire trembler la terre.

Il nous restera ça, la musique de Pleymo pour cristalliser un amour librement humain.

L’amour, c’est laisser autrui se cristalliser librement. Voilà l’héritage de Stendhal dans la musique de Pleymo. Aujourd’hui l’I.A préoccupe l’esprit commun, car on sent tout le changement fondamental qui s’opère. Nous ne pouvons prévoir l’avenir d’une société algorithmique. Nous savons uniquement qu’elle existe à présent. Dans ce nouveau monde nous devons parvenir à préserver notre matrice. Car, qu’est-ce qu’il nous restera lorsqu'un humanoïde nous aimera ? Qu’est-ce qu’il nous restera quand la musique du cœur de l’Homme passera ? Qu’est-ce qu’il nous restera quand on aura tout dit ? Il nous restera ça, la libre cristallisation de nos mémoires, de nos vies, de nos morts, de nous émotions, de rêves, de nos réussites, de nos chutes, de nos ébats de nuit, de nos sommeils du jour. Il nous restera ça, la musique de Pleymo pour cristalliser un amour librement humain.

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