La sororité aujourd'hui : entre idéal numérique et réalité sociale

Sororité 2.0 : entre empowerment et illusion

Sur les réseaux sociaux, la sororité est omniprésente. Des comptes Instagram aux vidéos TikTok, elle se décline en mantras, en esthétiques douces et en encouragements mutuels. Ce féminisme de la quatrième vague, très présent chez les adolescentes, repose sur une logique d'engagement identitaire et émotionnel^[1]. Pourtant, cette sororité numérique est souvent critiquée pour son caractère superficiel, voire excluant. Elle valorise des codes esthétiques précis, une forme de perfection émotionnelle, et peut renforcer des standards inaccessibles. Une étude menée par l'Arcom et Ipsos-BVA, en 2025, révèle que 78 % des adolescentes entre 11 et 17 ans se sentent sous pression sur les réseaux sociaux^[2], notamment en matière d'apparence et de comportement. La sororité y devient parfois un outil de validation sociale, plutôt qu'un espace de libération.

Dans la "vraie vie" : entre rivalité et reconstruction

Dans les cercles universitaires et professionnels, la sororité se heurte à des logiques de compétition. Le roman Bunny de Mona Awad illustre cette tension : une sororité en apparence bienveillante devient le théâtre d'une dissolution identitaire, où l'individualité est sacrifiée au profit de l'intégration. Ce récit, bien que fictionnel, résonne avec les observations sociologiques sur les dynamiques féminines en milieu élitiste. Une recherche menée à l'Université Bordeaux Montaigne montre que les étudiantes françaises réinvestissent la sororité comme outil de résistance^[3], mais qu'elle reste fragile face aux injonctions de performance et de distinction. La sororité réelle est souvent entravée par des mécanismes de comparaison, de jalousie, ou de méfiance.

Les obstacles à l’inclusivité

La sororité n'est pas toujours synonyme d'inclusivité. Les femmes racisées, LGBTQ+, ou en situation de précarité dénoncent régulièrement leur invisibillisation dans les espaces féminins dominants. Le Laboratoire de l'Égalité rappelle que la sororité doit être pensée comme une "proximité de destin"^[4], et non comme une simple amitié ou une alliance circonstancielle.

Vers une sororité consciente et critique

Pour qu'elle soit véritablement transformative, la sororité doit dépasser les apparences. Elle doit intégrer les différences, reconnaître les privilèges, et s'ancrer dans des pratiques concrètes : mentorat, entraide professionnelle, écoute active. Les organisations comme "Nous Toutes ou Osez le Féminisme"^[5] incarnent cette vision d'une sororité horizontale, fondée sur l'action collective.

Une utopie à consolider

La sororité est à la fois un idéal et un chantier. Elle peut être un refuge face à la solitude, un levier contre les violences, ou un miroir de nos contradictions. Mais pour qu'elle ne soit pas qu'un slogan, elle doit s'incarner dans des gestes, des structures, et une volonté de transformation sociale. Comme le montre Bunny, la sororité peut être douce ou dévorante- tout dépend de ce qu'on en fait.

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^[1] Albenga, V. et Dagorn, J., "Après #MeToo : Réappropriation de la sororité et résistances …", Mouvements, n° 99 (2019/3), p. 75-84.

^[2] Chambon, Caroline, L’influence des réseaux sociaux numériques sur l’engagement des adolescentes : Le cas de l’égalité entre les femmes et les hommes (Mémoire de recherche, Master 2 Sciences de l’éducation, Université Jean Monnet – Saint-Étienne, 2022), dépôt DUMAS 03735401.

^[3] Inspire France, "Ados et réseaux sociaux : les dangers révélés par une étude en France", 10 octobre 2025, https://inspirefrance.fr/ados-et-reseaux-sociaux-dangers-etude-france/

^[4] Ophélie, "Sororité : définition et importance dans les luttes féministes", La Force de l’Art, 16 septembre 2025, https://www.laforcedelart.fr/divers/sororite-importance-luttes-feministes/

^[5] "Laboratoire de l’Égalité, “Sororité : l’autre visage de la fraternité", https://www.laboratoiredelegalite.org/sororite-lautre-visage-de-la-fraternite/