RIVE GAUCHE
Publié le
15 octobre 2025
Et si les histoires n'étaient pas là pour refléter la vie, mais pour nous en détourner juste assez pour mieux y revenir ? C'est l'une des questions que soulève ce roman doux-amer de Kevin Lecathelinais, à travers le regard désabusé mais profondément humain de Vivian, libraire malgré lui.
Dès les premières pages, le lecteur est happé par un ton léger, presque comique, qui contraste avec la profondeur des thèmes abordés. Vivian, personnage solitaire et cabossé, ouvre une librairie dans un village reculé... alors qu'il ne croit plus aux histoires. Ce paradoxe installe un petit mystère : pourquoi ce rejet ? Que s'est-il passé ? Les retours en arrière et les introspections du narrateur distillent les réponses avec pudeur.
Le roman explore subtilement la question de l'héritage : celui des livres, des émotions, des silences. Vivian est marqué par une enfance déçue, par l'échec des rêves et la fermeture d'univers qui auraient pu le sauver. Il observe avec jalousie l'absorption que les livres provoquent chez sa mère et les autres, sans jamais parvenir à ressentir cette magie lui-même. Une "somme nulle" émotionnelle qui le laisse en retrait du monde. "Chaque livre se mérite". "Ça paraît peu, quelques centimètres, mais c'est la distance qui me permet de me sentir chez moi". Ces phrases traduisent à la fois la solitude du personnage et son besoin de créer un espace à lui, même minuscule, dans un monde trop vaste.
Lecathelinais ne célèbre pas seulement les livres, mais aussi les personnes qui les partagent. Le roman devient peu à peu une ode à la convivialité, à la vie quotidienne, à ces gestes simples qui nous relient. Vivian découvre que ce ne sont pas les histoires qui comptent, mais les gens qui les font vivre. "Les yeux, un sourire peuvent en dire bien plus que des mots". "On est toujours un peu changé après avoir été confronté à une grande histoire". Le roman prend alors des allures de journal intime, où l'on assiste à une lente réconciliation avec l'espoir. Car plus que la croyance, c'est bien d'espoir qu'il s'agit ici. Et il renaît, si l'on accepte de se laisser guider.
Journal d'un libraire qui ne croyait plus aux histoires est un hommage littéraire à la puissance des récits, à leur capacité à nous transformer, même quand on n'y croit plus. C'est aussi un roman sur la solitude, sur l'innocence, sur le premier degré des émotions enfantines. Un livre qui nous rappelle que les histoires ne sont pas là pour être vraies, mais pour nous faire rêver - et parfois, pour nous réparer.
Paru en octobre 2025 chez J'ai Lu, le premier roman de Kevin Lecathelinais est une parenthèse inattendue, pleine de charme et de tendresse — à découvrir absolument
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