INTERVIEW

Gildaa : "J'aime transformer l'imprévu en magie pour le public."

Publié le

13 octobre 2025

Ce soir à 20h, Gildaa enflammera la scène du Nancy Jazz Pulsations pour un moment suspendu entre ciel et terre. Artiste franco-brésilienne à l'énergie magnétique, elle mêle spiritualité brésilienne, jazz incandescent et émotion brute dans une performance qui dépasse le simple concert. Chaque note devient offrande, chaque silence une révélation. Ce soir, ne venez pas écouter : venez ressentir, vibrer, vivre une vérité.

Gildaa ©Pierre Nativel

Vous allez bientôt monter sur la scène du Nancy Jazz Pulsations, un festival mythique qui mêle héritage et diversité musicale. Comment vous préparez-vous à ce moment, et qu'est-ce que cela représente pour vous ?

C'est une vraie chance. Pour être honnête, je ne réalise pas encore complètement, parce que je vis beaucoup au jour le jour. Ce matin, par exemple, j'étais chez moi — ce qui est rare en ce moment — et j'ai pu retrouver ma routine : yoga, travail de la voix, du violon, des percussions... La nutrition aussi, c'est essentiel. Je me prépare en écoutant de la musique qui m'élève, en regardant des interviews qui m'inspirent. En ce moment, je suis à fond sur un album d'Ella Fitzgerald que j'écoute depuis toute petite, mais qui revient fort dans ma vie. Participer à Nancy, c'est énorme. Ce festival est hybride, toujours en mouvement, jamais figé. Et le jazz, c'est une de mes premières inspirations, un univers dans lequel j'ai grandi. Alors oui, je suis vraiment heureuse d'y aller.

Vous avez grandi entre deux cultures, deux langues, deux rythmes. En quoi cette double appartenance franco-brésilienne nourrit-elle votre univers artistique, surtout dans le contexte actuel ?

C'est une immense richesse. Le Brésil est souvent perçu comme un pays "cool", donc je ne vis pas les mêmes discriminations que d'autres personnes racisées notamment les personnes originaires d’Afrique de l’ouest, du Nord ou encore des îles, ce qui est malheureux. Pourtant, l'histoire du pays est tragique- esclavage, colonialisme... Mais j'ai eu la chance d'avoir une mère qui a toujours su transformer la douleur en énergie, en joie, comme beaucoup de Brésiliens. Chez nous, il y a toujours du monde, de la musique, des fêtes, de la générosité. C'est une culture très spirituelle, très ouverte : on y trouve des chrétiens, des musulmans, des juifs, des bouddhistes, des animistes... J'ai grandi dans cette diversité, dans cette liberté. Et tout ça se retrouve dans ma musique, souvent caché dans les détails. Je commence toujours mes compositions seule, puis ma sœur me rejoint — elle a réalisé l'album qui sortira en janvier. On met nos influences en avant, puis on les épure, et c'est là que notre son émerge. Dans les morceaux, on peut entendre une clave, une percussion qui évoque Cuba, le Brésil, le Sénégal... ou une mélodie qui rappelle la chanson française. Et sur scène, même si le live et l'album sont deux objets très différents, cette richesse d'influences reste présente. Ce que j'aime, c'est que ce n'est jamais figé, jamais "juste ça". C'est vivant, mouvant, multiple.

Votre nom de scène, Gildaa, est-il une extension de vous, une facette de votre personnalité, ou bien une invention, un personnage que vous avez créé pour transmettre votre art ?

C'est une question que je me pose tous les jours... et qu'on me pose souvent aussi. C'est assez mystérieux, même pour moi. J'ai étudié le clown, et il y a une étape qu'on appelle "la naissance", où ton archétype le plus profond, le plus ancien, le plus secret, s'exprime. Ce jour-là, on m'a demandé comment je m'appelais... et ce nom est sorti : Gildaa. Je ne connaissais même pas ce nom, ni le film avec Rita Hayworth, ni les références culturelles. En creusant un peu, j'ai découvert que Gildaa existe aussi dans le folklore brésilien, dans le nord du pays, et qu'il y a eu des figures religieuses portant ce nom. J'ai trouvé ça étrange, mais je l'ai mis de côté. Et puis, quand j'ai voulu revenir à la musique - après avoir longtemps été comédienne - je n'avais pas envie de le faire "en tant que moi". Je doutais, je ne me sentais pas à la hauteur. Et là, je me suis dit : "C'est Gildaa qui va le faire". C'est comme une autre personne avec qui je cohabite... mais qui vient de moi. C'est flou, oui, mais c'est réel.

"Gildaa appartient vraiment à la scène. C'est une énergie qui surgit quand il y a du monde, quand il y a du contact."

Et quand vous composez, vous sentez-vous plus vous-même ou plus Gildaa ?

Gildaa appartient vraiment à la scène. C'est une énergie qui surgit quand il y a du monde, quand il y a du contact. Elle aime jouer avec les gens. Parfois, elle vient dans d'autres contextes, mais ce n'est pas la même intensité. Quand je suis seule, c'est plus calme, plus posé. Il faut que je la laisse faire. Il m'arrive d'écrire à travers elle... ou qu'elle écrive à travers moi. Mais il y a aussi une phase très technique où je dois être pleinement présente. Que je sois seule ou en trio sur scène, je dois être consciente de tout : peaufiner l'écriture, penser les arrangements, les nuances, réfléchir à la manière dont je veux présenter le projet sur les réseaux. C'est un univers particulier, qui me questionne beaucoup. Et là, c'est moi qui dois être là, totalement.

Vous avez fait du théâtre, de la danse, du violon... À quel moment vous êtes-vous dit que la musique serait votre langage artistique principal ? Quel a été le déclic ?

C'était évident dès le départ. À cinq ans, je voulais être violoniste soliste. Je me disais : "Je vais être musicienne". Mais la vie m'a emmenée sur d'autres chemins, notamment celui du théâtre, qui m'a permis de vivre pendant longtemps. Et puis un jour, la musique est revenue me chercher. Je ne me suis pas dit : "Je vais faire ça" — c'est elle qui est venue me rattraper.

Gildaa dans "Tout pour plaire"

Est-ce elle qui est venue à vous, et avez-vous décidé de répondre à son appel ?

Oui, carrément. C'était comme un signe. Je me suis dit que c'était un honneur de pouvoir chanter, d'avoir une famille sensible à ça, un entourage artistique riche, de vivre à Paris... Tous ces privilèges réunis, ça aurait été dommage de ne pas répondre à cet appel. Et je n'avais pas vraiment le choix. La musique me permet d'aller au fond des choses, de parler de la société, des gens, de ce que je vois, de ce que je ne comprends pas. Des choses que je ne pourrais pas exprimer autrement.

Votre univers musical est très riche. On parlait du jazz, mais il y a aussi du baile funk, de la soul... Comment faites-vous dialoguer toutes ces influences sans perdre votre singularité ?

Je laisse la musique décider. Parfois, elle arrive avec un texte, parfois avec une mélodie ou un rythme. Moi, je suis là pour suivre les indices. Et pour ne pas perdre ma singularité, je reste attentive : si une influence devient trop dominante, je modifie certains détails. Par exemple, si un kick a un bon rythme mais un son trop marqué, je le retravaille pour qu'il colle mieux à l'histoire que je veux raconter. Dans mon morceau "Utopiste", je trouvais qu'il ressemblait trop à des choses déjà entendues. Et comme tout a déjà été fait, on ne peut qu'emprunter, recycler. Alors avec ma sœur, en studio, on a retravaillé la clave - on l'a répétée, égalisée, transformée. Au final, ce n'était plus une simple clave, mais un objet sonore qui évoquait une histoire. Et ça, ça m'intéresse beaucoup plus. Quand on écoute, on est presque dans un film. Sur l'album, c'est cette approche-là. Et sur scène, c'est Gildaa qui tient le fil narratif. Je raconte entre les morceaux, je joue avec les couleurs, les textures... C'est une autre forme de narration, mais toujours avec cette même richesse d'influences.

Vous écrivez en français et en portugais. Est-ce que ces deux langues vous transmettent les mêmes émotions ? Quand vous vous mettez à écrire, trouvez-vous le même souffle, la même inspiration selon la langue ?

Pas du tout. Chaque langue me connecte à une émotion différente. Le portugais me ramène à quelque chose de très intime, très sensible, presque sacré. Quand j'écoute de la musique brésilienne, surtout avec de la percussion, je peux pleurer instantanément. Ça me rappelle ma famille là-bas — ma mère est brésilienne, mon père français, et une grande partie de mes proches vit encore au Brésil, dont ma grande sœur. Quand j'écris en portugais, je pense aussi à cette époque de la dictature militaire, où les artistes brésiliens écrivaient sous la censure. Ils dénonçaient avec poésie, et c'est sublime. Les chansons populaires brésiliennes parlent souvent de la vie simple, de la pauvreté, mais avec une écriture d'une beauté incroyable. Du coup, en portugais, j'essaie d'écrémer les mots, de laisser plus de place à la voix. En français, c'est différent. Parfois, j'ai envie de logorrhée, d'écrire des textes longs, de jouer avec le rythme plus saccadé de la langue. Le français n'a pas la même musicalité, mais j'aime ce défi. Mon envie, c'est de faire dialoguer les deux langues, de les amener l'une vers l'autre. Parfois, j'aimerais que le portugais soit plus expansif, et que le français s'étire pour laisser plus de place à la voix.

"Gildaa adore les gens, c'est essentiel pour elle de les voir."

Et quand vous composez, que ce soit en français ou en portugais, est-ce que vous vous imaginez sur scène ? Visualisez-vous votre public, leurs réactions ? Est-ce que cela vous encourage ou vous intimide ?

Oui, parfois. Quand je travaille sur une métrique ou que je tourne en boucle une idée, il m'arrive d'imaginer la scène. J'essaie de m'entraîner à visualiser davantage, à manifester ce moment. La présence sur scène, c'est délicat à gérer, surtout avec les changements d'énergie. Sur scène, on voit tout : chaque geste, chaque état. Si tu bouges trop, on ne voit qu'un corps qui gigote. Donc le geste doit être juste, chargé de sens. Quand je travaille chez moi, je prépare ces moments, j'organise, je laisse un peu de place à Gildaa. Mais parfois, elle prend le relais. Elle sait ce qu'il faut faire. Et quand on est bien alignées, c'est là que tout fonctionne.

Donc parfois, diriez-vous que Gildaa improvise un peu ?

Carrément. Elle adore les gens, c'est essentiel pour elle de les voir. La lumière, par exemple, c'est super important. Au début du concert, j'ai besoin qu'on puisse se voir, vraiment. Il se passe tellement de choses sur les visages, et la gestion de l'ombre doit être maîtrisée. C'est dans ce contact que tout commence.

Gildaa ©Pierre Nativel

Et cette part d'inattendu, cette idée que Gildaa va prendre les rênes à chaque concert... N'est-ce pas un peu stressant ?

C'est quelque chose avec lequel je travaille en ce moment. Il y a des jours où le stress me dépasse complètement. Je suis très sujette au trac, et parfois je pleure avant de monter sur scène, persuadée que je ne vais pas y arriver. C'est irrationnel, mais ça me traverse. C'est quelque chose avec lequel je travaille en ce moment. Il y a des jours où le stress me dépasse complètement. Je suis très sujette au trac, et parfois je pleure avant de monter sur scène, persuadée que je ne vais pas y arriver. C'est irrationnel, mais ça me traverse. Et puis, quand j'arrive à faire confiance à cette énergie, à Gildaa, je me dis : "Arrête de lutter, laisse-la faire, elle sait ce qu'il faut faire". Je suis une énorme bosseuse, donc je dois aussi faire confiance à tout ce que j'ai accumulé. Être dans le présent, accepter que l'imprévu, c'est comme dans la vie — ce sont des cadeaux. Par exemple, lors de mon dernier concert, la personne en charge de la lumière s'est complètement plantée au début. J'ai joué avec ça, les gens étaient morts de rire, elle aussi. Et puis elle s'est rattrapée, et c'était encore mieux. On a eu la sensation de vivre un moment unique. C'est ça que j'aime : transformer l'imprévu en magie pour le public. Avant de monter sur scène, j'ai très peur. Mais une fois que j'y suis, c'est une vague d'amour et de gratitude. C'est fou d'imaginer que les gens sont là pour te voir, toi. C'est un vrai délire. Participer à un festival reconnu, c'est une chance, surtout en début de carrière. Tu profites de sa renommée, tu espères que la salle sera pleine, que les gens seront curieux. Mais ce qui me bouleverse le plus, c'est quand je fais une date à Paris, sous mon propre nom... et que c'est plein. Là, je sais qu'ils viennent pour moi. Et ça, c'est incroyable.

Si vous pouviez offrir une seule sensation à votre public à la fin d'un concert, laquelle aimeriez-vous qu'il emporte avec lui ?

L'amour. Parce que le monde en manque cruellement. Et c'est la seule chose qui peut vraiment nous sauver : l'amour et la beauté. Et la beauté, elle est tellement relative... mais elle est essentielle.

Et pour finir : qu'est-ce que vous esquivez dans la musique ?

Le mensonge. Je ne veux pas de ça.

Et comment définissez-vous le mensonge dans la musique ?

C'est une performance qui manque de sincérité. Quelqu'un qui joue un rôle, des paroles trop consensuelles, trop lisses. Même dans la musique populaire, même dans les choses simples, il doit y avoir un fond, une vérité. Je n'écoute pas que des trucs "deep", mais j'ai besoin de sentir qu'il y a quelque chose derrière. Alors, j'esquive les menteurs.

Gildaa sera sur la scène du Nancy Jazz Pulsations ce soir.

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