INTERVIEW

Basile Palace : "Cet album, c’est plus un hommage que l’envie de me sauver."

Publié le

14 juillet 2025

Il est des propositions coup de cœur au message universel, auquel un artiste ajoute son grain de sel salvateur, moderne et, parfois même, extravagant. Avec une once de kitsch bien dosée, il rappelle que la légèreté et l’humour permettent souvent de partager des expériences et des émotions plus sombres qui nous traversent et nous rattrapent. Basile Palace, ou l’histoire d’un rappeur qui voulait chanter, en fait partie. Avec son premier album 22m2, sorti le 16 mai dernier, l’artiste raconte le deuil de son père et sa résilience, saupoudrés d’une imagerie ultra colorée. Entre l’interprète au slam intense et ce personnage fantasque à l’univers "adulescent", il se joue des codes et floute habilement les cases d’un courant musical enrichi de divers horizons. Pour S-quive, il revient sur les influences artistiques françaises et outre-Atlantique qui ont marquées son adolescence, son attrait pour les rappeurs à la verve affûtée et sa première tournée à venir.

Basile Palace ©Nine Bourgois

Basile, si vous deviez vous présenter en quelques mots…

Je m’appelle Basile Palace, et ce nom a un véritable sens ! J’ai commencé la musique, à 6 ans, au Conservatoire avec le solfège et je n’aimais pas ça. Je m’étais juré que ça me servirait un jour ! Vers 13 ans, j’ai fait du rap avec mon meilleur pote du collège. Je prenais des prod’ de rappeurs américains et français et je rappais dessus pour m’entraîner. J’ai fait une pause pendant mes études et ensuite, j’ai repris avec plus de confiance. J’avais un pote dans la pop, un autre dans le jazz et je trouvais ça cool de faire une musique plus spécifique avec ce que je voulais raconter.

Votre nom "Basile Palace" a une résonnance assez kitsch. Racontez-nous sa genèse…

Merci de le dire ! Hier, j’en ai parlé en interview et je disais que j’aimais beaucoup le kitsch. [Rires] On me conseille de ne pas toujours le dire, mais il y a une vraie différence entre rétro et kitsch, et entre le mauvais goût et le kitsch ! Le kitsch peut être de bon goût ! J’ai cette attirance pour les couleurs qui explosent et ça allait avec le projet où on rigole de choses qui font de la peine. Avec "Basile Palace", il y a ce côté personnage, une sorte de "moi" en mieux vers lequel je vais essayer de tendre avec les années. "Basile", c’est mon vrai prénom. Le "Palace", c’est un peu cet endroit où je me sens à l’aise parce que j’ai été réceptionniste de nuit pas loin dans un hôtel auparavant. C’est un projet solo mais je le vis comme un projet de groupe parce que je fais des sessions de compositions avec des potes, de même, en image, j’en discute beaucoup avec les réalisateurs… Je souhaite toujours le faire avec des gens que j’aime, donc mes amis, entre autres.

Votre premier album 22m2 est sorti il y a peu. On définit souvent votre style entre rap et variété française. N’est-ce pas trop cloisonnant pour vous ?

Il y a des cases dans la musique, car les gens ont besoin de t’identifier d’une certaine manière. Quand ils me voient avec beaucoup de couleurs, du rose et une moustache, ils pensent à Philippe Katerine. Je l’adore, mais en vérité, je n’ai peut-être qu’une chanson qui ressemble à ce qu’il fait ! Je pense que, quand le rap a commencé, avec cette idée que c’était un remix de soul, de jazz, de remix de samples, on ne savait pas comment l’appeler, jusqu’au jour où il a pris son identité propre. Aujourd’hui, au-delà de la variété française et du rap, on parle de "pop urbaine", mais aussi de "Hip-Pop" et j’aime bien cette façon de le dire. Je ne dis pas que je suis rappeur mais je pense qu’il y a du rap partout aujourd’hui, tout comme la chanson est rentrée dans le rap aussi. Mon histoire, c’est plus un rappeur qui voulait devenir chanteur mais, avec cet album, je n’ai plus envie de choisir ce que je suis vraiment. Les plus grands artistes du rap français, Orelsan ou Nekfeu incarnent ce mélange d’influences entre rap, chanson, rock, samples de jazz, parfois… J’ai beaucoup de freestyles que je sortirai plus tard, mais je pense que pour l’instant, j’essaie d’ancrer mon style pour me donner plus de liberté par la suite.

"Ce qui m’a donné de la force très vite après la mort de mon père, c’est de faire les choses pour lui et pour nous."

Quel(s) rappeur(s), ou plus généralement quel(s) artiste(s), ont bercé votre culture musicale ?

Énormément de rap français mais j’étais aussi fasciné par Eminem, enfant, et je continue à l’être. On a normalisé ce qu’il fait même si c’est très fort ! En termes de mélodie des mots, c’est assez fou ce qu’il a proposé. J’étais fasciné par tous les mecs qui parlaient très vite à l’époque car je parle aussi très vite et j’y voyais une possibilité d’aller aussi vite qu’eux. Il y a cette phrase très connue de Seth Gueko, "Rapper vite, ça veut pas dire rapper bien". C’est vrai mais ça ne veut pas dire rapper mal aussi ! [Rires] J’écoutais aussi Sexion d’assaut, Mika… Chez moi, il y avait de la pop, de la variété, et avec mon album, je me suis laissé aller vers des mélodies qui me plaisaient sans me poser trop de questions. Il y a plein d’autres artistes que j’adore comme Diam’s qui a marqué les années 2000 et qui m’a inspiré pour le rythme de « Lidl », par exemple. J’écoutais aussi Selah Sue qui avait été samplée par Nekfeu. C’est aussi ça le rap, beaucoup de samples issus d’autres influences m’ont fait découvrir des artistes, comme Dido avec Eminem sur le titre "Stan".

Basile Palace ©Nine Bourgois

Avec 22m2, vous abordez notamment l’enfance, l’intime et le deuil avec des titres au rythmes très colorés et dansants. Dans le titre "Problèmes de grand", on entend un audio de votre père au début et vous y dites : "J’ai peur que si tu partes, plus rien ne compte, c’est tout c’que je sais". Comment vous avez réussi à préserver la lumière de l’enfance et à redonner de l’importance aux choses de la vie après sa disparition ?

Effectivement, j’en avais peur et c’est tout ce que je savais tant que ce n’était pas arrivé. J’ai un pote qui avait perdu sa mère plus jeune et qui m’avait envoyé un message pour me dire que, c’est vrai qu’on a cette impression d’être très seul quand ça se produit, pour moi avec la perte, très jeune, de mon père. On met du temps à se relever mais il me disait aussi que la vie continue, encore plus forte qu’avant. Ce qui m’a donné de la force très vite, c’est de faire les choses pour lui et pour nous. Je pense que mon père m’en a donné beaucoup, il était très solaire. Il adorait la vie. J’ai dit à ma mère et mon petit-frère qu’il ne supporterait pas de nous voir tristes comme ça. Dans la chanson, on entend la voix de mon père qui vient d’un vrai message, qu’il m’avait laissé un mois avant sur mon répondeur, où il dit : "Coucou mon garçon, coucou". C’est un vrai début de chanson ! Il y a aussi la voix de mon petit-frère et ma mère à la fin. Je trouvais cool de mettre sa voix sur cette chanson car il y de l’espoir dans une voix d’enfant. Il y a trois temporalités autour de la mort dans cet album : "Allez papa" qui est le moment de la mort à l’hôpital ; "Lidl" qui revient sur mon enfance et "Problèmes de grand", entre passé, présent et futur. Les chansons se répondent. Mon entourage m’a donné de la force et la musique est une vraie thérapie. Quand j’étais mal avec la mort de mon père, je me suis dit que j’allais me mettre dans la peau d’un mec qui va un peu mieux et qui va réussir à s’en sortir. J’arrive à chanter ces chansons avec le sourire devant des gens émus et contents, à la fois, mon père le serait aussi.

Il y a aussi le titre "Lidl" où vous dites : "J’me rêvais déjà en Beatles, mais papa allait chez Lidl". Est-ce que c’est si antinomique pour vous ?!

Pas du tout car les Beatles sont des prolos de Liverpool ! C’est vrai que c’est cette idée de grands rêves que j’avais et quand on rentrait le soir, on allait chez Lidl. Ma mère était avec un homme qui avait les moyens et, de l’autre côté, mon père en avait moins, ça m’a permis de voir ce que c’était aussi d’être dans la galère. Et cette période m’a servi. Si je n’avais rien eu à raconter, je ne me serais pas projeté dans de tels rêves.

"Basile Palace est une extension positive de moi."

Quand on aborde le deuil, on fait souvent référence à l’auteur Boris Cyrulnik et de son explication du concept de résilience. C’était un projet thérapeutique pour vous ?

Cet album, c’est plus un hommage que l’envie de me sauver. Mais il est vrai qu’écrire m’a aidé à aller mieux. La musique est une thérapie et Basile Palace, une meilleure version de moi. Il prend les choses avec plus de légèreté et c’est vers cela que je veux tendre, comme je disais. C’est une extension positive de ma personnalité. Dans mes chansons, je montre une partie de ce que je veux et de ce que je n’arrive pas à être aussi. On dit souvent qu’on ne peut pas séparer l’homme de l’artiste, mais séparer ce que j’écris de ce que je suis, ça fait sens. Parfois, les chansons ne parlent pas de moi. Dans une des chansons de Columbine, "Cache-Cache", Lujipeka dit : "Elle et lui n’existent pas, j’m’en sers pour raconter ce que j’vois". Comme je disais, je vois la musique comme un projet de groupe donc il y a des chansons que j’écris pour des potes, par exemple.

On parlait de ce côté très solaire, kitsch aussi, que vous avez jusque dans votre style vestimentaire, voire capillaire ! Vous aviez posté des personnalités dites "sosies" comme Zaho de Sagazan, Philippe Katerine ou Bernard dans le film Les Bronzés… ! Quelles sont vos influences ?

J’adore Zaho de Sagazan et, depuis des années, plein de potes m’envoyaient des photos pour me parler de cette ressemblance, donc c’est un fou rire ! [Rires] Après, je ne m’inspire pas spécialement de son style. J’ai vraiment voulu faire confiance à des potes pour l’imagerie. J’ai fait mes premières photos et premiers clips avec des amis et, je pense, que sur le premier EP, il y avait un gros revival années 1980 avec beaucoup de synthés, des duos de voix, de la variété. L’image était rétro et un ami réalisateur, Luca Lellouche, me disait : "Ce serait cool de ne pas savoir d’où tu viens, à quelle époque ça se passe et où tu es…" J’adore ça ! On a filmé un clip en Bourgogne avec des angles qui rappellent les États-Unis… Pour cet album, on est plus dans les années 1990-2000, et j’aime beaucoup le rose, comme ma mère, il y a toujours eu beaucoup de couleurs autour de moi. Un des endroits où il y a le plus de kitsch, c’est à Naples, par exemple, avec des gens qui portent des chaines en or énormes. J’essaie de faire des trucs qui me font kiffer sans faire ce que font les autres autour de toi. Quand je mettais des costards roses ou bleus un peu fantasques, les gens ne comprenaient pas tout le temps qu’il y a vraiment de moi dans le projet. J’ai quand même un peu calmé le jeu pour qu’on cerne bien le personnage et l’interprète que je suis.

Vous allez vous lancer dans votre première tournée. Qu’est-ce qu’elle représente pour vous ?

C’est dingue ! Ma mère voulait être chanteuse et j’adorerais la faire monter sur scène un jour. J’y pense souvent. Je pense aussi à mon père qui aurait adoré venir me voir jouer. Je tourne avec mon meilleur pote avec qui je compose tout au clavier. On a fait des premières parties pour Yoa, Miel de Montagne, Alain Souchon… Je vais bientôt faire Soprano et Kendji. C’est vraiment génial. Sur scène, je me libère vraiment et la tournée, c’est un rêve d’enfant. La scène permet de distinguer le but du projet, ce n’est pas une thérapie punitive ! [Rires] J’espère que ça va aider des gens qui passent par des moments difficiles comme ça.

"Il y a une beauté dans l’évidence et celle d’être en paix en fait partie."

Qu’est-ce que vous esquivez dans la musique ?

Il y a beaucoup de réponses qui pourraient faire : "Il fait grave le mec !" [Rires] J’esquive les catégorisations mais aussi de trop m’écouter dans le processus créatif car je veux que ce soit aussi un projet de groupe. Disons que j’essaie d’esquiver le mauvais jugement que je pourrais avoir de ce que je fais. Je ne veux pas me tromper et m’en vouloir après. C’est dur de savoir quand tu lâches, quand tu fais confiance…

Basile Palace ©Nine Bourgois

Quelles seraient vos collaborations de rêve ?

J’aurais adoré faire un son avec Eminem dans les années 2000 ! En vérité, avec beaucoup d’artistes ! J’aimerais faire un feat., même avec ceux dont l’univers peut moins me parler parce que je me dis, ça pourrait le faire ! Je pourrais citer Yoa, Alain Souchon, Orelsan, Damso, tous les mecs de Sexion, Stromae, Miki, Aya Nakamura… J’aimerais aussi faire des choses très rap comme ce qu’a fait Ninho avec Central Cee, ou Booba, ou PNL

Si vous aviez un conseil à donner à des âmes blessées ou abîmées ?

L’idée du deuil, ce n’est pas que la mort, ça marche aussi pour les séparations amoureuses. On perd quelqu’un. Ça rejoint le fait d’avancer mais de perdre aussi en même temps, et de poursuivre pour ceux qui sont partis.

Que peut-on vous souhaiter ?

Ce qui m’a fait sentir le plus mal, c’est d’avoir pu faire du mal autour de moi donc me souhaiter de ne plus faire les mêmes erreurs et de devenir une personne en paix et de la répandre. C’est ce qu’on peut souhaiter à beaucoup de gens. Il y a une beauté dans l’évidence et celle d’être en paix en fait partie.

Basile Palace sera en tournée et notamment à La Maroquinerie, le 9 octobre prochain.

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