ARTS

"Au bout de mes rêves" : songer radicalement l’art contemporain

Publié le

24 octobre 2023

Institution culturelle lilloise, le Tripostal accueille l’exposition monumentale "Au bout de rêves". Curatée par Caroline David et Walter Vanhaerents, baron belge de l’art contemporain, Lille3000 nous ouvre les yeux sur un rêve éveillé, le temps d’une exposition amusante dans sa plasticité et engagée, de par les thèmes abordés.

Cloud Cities - Galaxies on strings, Tomás Saraceno (2023)

Ouverture sur une galaxie de nuages hybrides, pénétrable, et suspendue. Tomás Saraceno nous plonge dans ses Cloud Cities (Galaxies on strings, 2023), une "toile cosmique", qui symbolise l’interconnexion entre l’Humain et son environnement, vision d’un urbanisme durable. Passage obligé pour tout visiteur de l’exposition, la tonalité est donnée : ce sera entre engagement et onirisme que le public va évoluer.

Entre innocence et prise de conscience

Critique de la société actuelle, au premier abord, le rêve se prête davantage au cauchemar : critique de la consommation de masse et de la marchandisation, critique de l’omniprésence publicitaire et de la modernisation, l’exposition met en lumière les défauts d’une société rongée par le capitalisme et le progrès. Au fil des déambulations, se révèlent de nouvelles facettes de l’art contemporain. Murakami dénonce la sexualisation du corps féminin dans la société japonaise (Miss Ko2, 2003), Derrick Adams accuse la perception stéréotypée de la masculinité noire (Eye Candy, 2022), Vaughn Spann, lui, s’empare de la lutte contre les violences policières subies par les Afro-américains (Blue Joy, 2020).

Les colosses, David Altmedj (2023) ©Joost

Cet arc-en-ciel grand format, enrichi d’une strate noire, est le parfait pivot entre le cauchemar et le rêve dans lequel navigue le visiteur. Il fait face aux colosses de David Ahmedj qui, eux aussi, sont coincés dans les limbes d’un monde entre songes et réalité. Créatures issues de l’imaginaire, elles sont aussi le symbole des ravages, bien réels, du temps. C’est toute la force de "Au Bout de mes rêves", cette confrontation entre l’émerveillement, incarné par des œuvres qui sont, de par leur monumentalité, majestueuses et époustouflantes, et la cruauté qu’elles symbolisent pourtant. Un oscillement constant entre enfance, innocence et prise de conscience face à notre réalité.

Une exposition aux mille facettes

"J’ai le tournis ou quoi ?!", s’exclame une dame yeux levés vers la fusée suspendue Saturne V de Tom Sachs (Saturn V, 2011), puis baissant les yeux un peu plus loin, sur le clown endormi sur le sol et entouré de paillettes d’Ugo Rondinone (Hell yes, 2021). Un sentiment exacerbé par la dichotomie de l’exposition qui n’a ni queue ni tête. Comme le souligne Caroline David, commissaire de l’exposition, il n’y a pas de trame narrative pour "Au bout de mes rêves". C’est une traversée labyrinthique, chaque pièce étant le reflet d’une facette de l’art contemporain. Porte d’entrée sur un monde parfois inaccessible, ici, l’art contemporain est à la portée de tous. Petits et grands se faufilent entre sculptures, peintures et s’émerveillent devant les installations à l’échelle du Tripostal, choisi spécifiquement pour ses grands espaces.

Dogs from your Childhood, Yoshimoto Nara (1999)One Second ©Joost

Un tour du monde de l’art contemporain

Que ce soit devant le triptyque de Friedrich Kunath (One second You’re Here, 2020) qui reprend les paroles de Bruce Springfield et qui se lit comme un Où est Charlie ?, (cherchez sur la toile : Nick Drake, ou les amoureux au clair de lune de Plastic Ono Band de John Lennon), devant les chiens de Yoshimoto Nara (Dogs from your Childhood, 1999) ou ceux de Sudarshan Shetty (Dogs in Red), les visiteurs se retrouvent d’un côté et de l’autre du globe. Comme un tour du monde, du Ghana à l’Inde, en passant par l’Iran et le Canada, l’exposition nous transporte dans l’art contemporain, non pas seulement l’occidental, l’institutionnel et l’élitiste, mais le disruptif et marginalisé.

One Second You’re Here, Friedrich Kunath (2020-2021) ©Joost

Malgré tout, l’exposition reste résolument optimiste s’accrochant à son titre comme à une promesse. Celle de Jean-Jacques Goldman (J’irai au bout de mes rêves, 1983), ou celles de son collectionneur Walter Vanhaerents, et de sa vision d’un art contemporain toujours engagé, progressiste et inclusif. La marionnette à son effigie (Walter, Markus Schinwald, 2007) nous attend d’ailleurs au détour d’un couloir, tapant du pied, impatient à l’idée de perfectionner sa collection pour l’emmener vers un plus haut degré de radicalité. Une exposition complète, atypique, où références populaires et engagement politique se mêlent au détour d’un rêve.

Portrait de Kortnee Salomon, Otis Kwame Kay Quaicoe (2021) ©Joost

"Au bout de mes rêves", tirée de la Vanhaerents Art Collection, est à visiter au Tripostal jusqu’au 14 janvier 2024.

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