RIVE GAUCHE
Publié le
1er décembre 2025
“De chaque citron naîtra un enfant, et les citrons ne mourront jamais.” Dès les premières lignes, l’ouvrage Tant que fleuriront les citronniers, de Zoulfa Katouh, nous plonge dans l’horreur quotidienne de la guerre syrienne, à travers le regard de Salama, jeune femme confrontée à l’impossible : survivre, espérer, choisir.

“La mort est un excellent professeur.” Le roman s’ouvre sur une désillusion brutale. Le quotidien n’est plus qu’une lutte pour rester en vie, dans un monde où l’espoir s’amenuise. Fuir ou rester : deux options également douloureuses. L’autrice met en lumière cette tension insoutenable, où chaque décision semble vouée à la perte.
Les pages décrivent l’hôpital de guerre, les attaques qui frappent sans discernement, les corps entassés, les cris d’enfants. “On ne peut pas sauver tout le monde.” La pénurie de médecins et de moyens devient une métaphore de l’impuissance collective. Les descriptions, crues et graphiques, font écho aux images connues du conflit, rappelant que derrière chaque chiffre se cache une vie.
“Quand on s’entasse sur un bateau délabré, c’est qu’on n’a vraiment plus d’autre solution.” La fuite, loin d’être une délivrance, apparaît comme une autre forme de douleur. Quitter son pays, c’est abandonner une part de soi, tout en sachant qu’aucun autre pays n’aimera jamais autant que le sien.
Salama dialogue avec une hallucination, incarnation de sa raison et de ses peurs. Ce procédé littéraire traduit la fracture intérieure : comment rester debout quand l’horreur devient la norme ? “Notre avenir, on nous l’a arraché.”

L’autrice rappelle que les morts ne datent pas de la révolution. La répression est l’héritage d’un demi-siècle de domination, amplifiée à l’échelle d’un peuple entier. Ce roman devient alors un témoignage : celui d’une jeunesse qui ose réclamer la liberté, fondement même de l’humanité.
Malgré la noirceur, une lumière persiste. “Ce n’est pas parce qu’on risque de mourir qu’on n’a plus le droit de vivre.” Salama refuse de laisser ses peurs gouverner son existence. Elle incarne une résilience inouïe, un amour indéfectible pour son pays, et la force de rêver encore.
Le roman interroge : survivre pour survivre, en vaut-il la peine ? “Le bonheur ce n’est pas pour toi.” Pourtant, se battre pour vivre pleinement devient une source de courage. Même lorsque l’espoir renaît, le lecteur reste suspendu, inquiet du prochain malheur. L’angoisse traverse chaque page, miroir de la vie sous la menace constante.

“Le chagrin n’est pas constant. Il va et vient, dans un mouvement de ressac semblable à celui des vagues.” Cette leçon de Salama résume l’essence du récit : la douleur fluctue, mais la mémoire demeure.
Au-delà de la Syrie, ce roman rappelle nos similarités : rêves, espoirs, fragilités. L’autrice réussit à transformer la tragédie en un cri universel, à toucher l’âme du lecteur. Tant que fleuriront les citronniers n’est pas seulement une fiction : c’est une mémoire vivante, un appel à voir les humains derrière les chiffres, à ne pas détourner le regard.
"Tant que fleuriront les citronniers", Zoulfa Katouh, Editions Nathan
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