LES PLUMES

Syndrome de Peter Pan : les dernières générations refusent-elles de grandir ?

Publié le

11 juillet 2021

Notre monde change. Il évolue. Il rajeunit. Il s’adapte aux circonvolutions permanentes d’une population ayant oublié les leçons darwiniennes. De nos jours, notre monde s’écrit au futur, mais refuse de s’y projeter. Nous avons triomphé du froid. De la faim. Des prédateurs. Mais reste le plus dangereux d’entre tous. Le temps, cette entité dévorante sur laquelle nul n’a d’emprise, dont le triomphe relève de ce fantasme invétéré propre à toutes les générations : rester jeune à jamais, ou en d’autres termes, incarner un genre de Michel Drucker inversé.

peter pan film


Une différence intergénérationnelle plus marquée que jamais

Il y a moins d’un demi-siècle, la génération de nos parents trimait souvent à l’usine dès leurs 14 ans ; les études étaient ce luxe qu’on ne pouvait pas toujours s’offrir, à moins d’être né dans la bonne famille. C’est désormais  l’inverse. Aujourd’hui, on collectionne les diplômes comme des cartes Pokémon et on reste à l’école aussi longtemps que possible, genres de Tanguys réalistes aux aspirations dévoyées. Du temps de nos parents et il n’est pas si lointain, tout ce qu’ils disaient recevoir à Noël, c’était une orange. Tout ce qu’un gamin de 12 ans reçoit maintenant, c’est un portable de cette même marque, un smartphone qui n’a de smart que le nom puisqu’il contribuera toujours plus à l’abrutissement généralisé de nos benjamins. Ou encore un de ces abonnements Netflix qui se suppléent aux dessins animés du matin, jalon d’une enfance qu’on entend bien prolonger coûte que coûte. Les oranges sont désormais réservées aux prisonniers, amusant paradoxe d’une génération enfermée dans ses propres fantasmes. Si le refus de vieillir de nos aînés se symbolise par le botox, nos générations ont recours à d’autres substances dont la finalité est similaire : on pense échapper au temps,  mais on finit aussi avec les traits tirés

“Combien de ces adolescents névrotiques rêvent de backpacker, ceux-la même qui demandent à leur mère de fermer leur valise...”

Des rêves chimériques portés par une culture élargie : du divertissement à la diversion

Jim Morrisson, Janis Joplin, Amy Winehouse, Robert Johnson, Kurt Cobain… Nos générations ont grandi avec le club des 27, ces icônes figées dans une jeunesse éternelle, qui ne laisseront d’elles que le souvenir de jeunes artistes brillants. Vieillir ? Très peu pour eux. Et en conséquence, très peu pour nous. Combien sont-ils, en 2021, à rêver d’un quotidien qui n’est pas celui de leurs parents. À fantasmer le voyage, ce tour du monde qu’ils ne feront jamais. Combien de ces adolescents névrotiques rêvent de backpacker, ceux-la même qui demandent à leur mère de fermer leur valise et qui réservent leur siège au fond près de la fenêtre, emplacement le plus statistiquement fiable de l’appareil ? Autant savoir qu’en cas de crash, peu importe le siège occupé, le linceul n’est jamais loin. Ou quand la mise en bière n’est pas le nom d’une de ces fêtes étudiantes à laquelle on s’adonne joyeusement à la fac.

“Seuls nos grands-parents et les hippocampes partagent le même partenaire toute une vie”


Alors on s’invente une vie de voyageur en lisant Sur la route de Jack Kerouac, ou encore en regardant sa version télévisée, la bible low cost des aventuriers frustrés, Pékin express. Ou l’on se plonge dans un voyage au cœur des terres sauvages de l’Alaska en lisant le récit documenté par John Krakauer d’un suicide homéopathique en pleine nature (Into the wild a marqué bien des esprits). Mourir par suicide à la patate sauvage en plein cœur de la nature, ça en jette, une belle façon de bouffer les pissenlits par la racine qui a donné de quoi rêver à toute une génération de pantouflards accro à la télé, ou d’apprentis lecteurs aux aspirations toujours plus troubles. Et ce n’est là encore qu’une élite, le reste du monde se repliant dans des aventures télévisées grand public façon Ko-Lan-Tah, s’enfermant dans un déni geignard au fur et à mesure qu’ils réalisent que la seule aventure qui les influencera jamais, c’est celle qui guidera la figure paternelle hors du foyer parental. Stromae a tout compris.

Un syndrome emblématique de toute une génération

Preuve que ce syndrome Peter panesque ne relève pas de l’invention d’une bande de baby-boomers conservateurs coincés et réfractaires à tout ce qui touche à la jeunesse, il a été scientifiquement documenté. La professeure Humbelina Robles Ortega qui dirigeait une publication sur le sujet à l’université de Grenade en 2007, listait alors les caractéristiques des Peter Pan en puissance. L’ incapacité à assumer ses responsabilités et tenir ses promesses, le rejet de la faute sur les autres, l’obsession envers l’apparence et le bien-être personnel qui peut verser vers une forme de narcissisme (doit-on reparler d’Instagram ?). Mais aussi un fort manque de confiance même si les Peter Pan montrent le contraire en apparence (la validation virtuelle au renfort). Ou encore la peur d’être seul (reste toujours les Tamagotchis pour les Millenials, et Tiktok pour la Genération Z). Et enfin, la peur de l’engagement : seuls nos grands-parents et les hippocampes partagent le même partenaire toute une vie.

“Notre madeleine de Proust à peine grignotée, notre baleine blanche de Melville perpétuellement coincée entre deux eaux, c’est l’insouciance.”

Une peur viscérale des difficultés

Au sein des deux dernières générations, l’on sait quasiment tous installer des applications et des logiciels, mais combien d’entre nous savent remplir une fiche d’impôt ? Tellement de cases à cocher, et cette impression permanente qu’il nous en manque une… Notre madeleine de Proust à peine grignotée, notre baleine blanche de Melville perpétuellement coincée entre deux eaux, c’est l’insouciance. Une impression synthétiquement générée qui donne le sentiment d’une liberté bien terne, échappatoire forcée vers un monde sans problème. Mais la démarche est vaine et illusoire, et si chacun acceptait de porter son propre fardeau sur son dos, nous serions tous semblables au héros de Notre Dame de Paris. Des problèmes quasi modaux — en termes de fonctionnement psychologique du moins -— dont on ne sait à cette heure, que se départir par la fuite.


“Un gamin déguisé en lutin qui sniffe de la poudre pour s’envoler dans un pays magique. C’est ça ne pas grandir ?”

Les paradis chimiques, le refuge d’un temporalité redoutée

Comme les personnages de Lewis Caroll, on fonce tous à la poursuite du lapin blanc, lui même poursuivi par un chapelier fou qui lui dérobe sa montre démesurée. Et ce, pour ensuite la détruire. La symbolique est forte. Et toute cette bande de joyeux drilles fête « un non anniversaire » : n’est-ce pas ce qu’on fait tous ? Chaque année, on fait la bougie au moment de les souffler. Le temps n’est jamais loin, et il nous flippe, n’en déplaise aux trips supra-chimiques de Lewis Caroll, ou à ceux de James Matthew Barrie, l’inventeur de Peter pan justement. Un gamin déguisé en lutin qui sniffe de la poudre pour s’envoler dans un pays magique. C’est ça ne pas grandir ? C’est enchaîner plus de lignes en une soirée qu’on en traçait dans nos cahiers d’écoliers en une année ?

“Fuir ce n’est pas rester jeune, c’est précipiter l’inverse.”

C’est trouver ses cinq fruits et légumes dans la baignoire de vodka pomme du samedi soir, et ses vitamines dans les ecstas qu’on gobe machinalement comme les écœurantes fraises Tagada ? Le goût des ecstas n’est certes pas meilleur, mais leur vertu consiste au moins à nous ramener quelques instants dans l’enfance et l’insouciance. Et ce sans pour autant la prolonger, n’en déplaise au chiffre d’affaire des médecins et particulièrement celui de mon cardiologue parti à la retraite à 35 ans. Fuir ce n’est pas rester jeune, c’est précipiter l’inverse.

Vue aérienne de Neverland, domaine de Michael Jackson

Refuser de grandir, mais se complaire dans l’auto-destruction

Grandir, c’est peut-être accepter que le lendemain soit au moins aussi morose que la veille. C’est déambuler dans la vie avec autant de ferveur que l’ivrogne du village dans un roman irlandais. Mais c’est impossible pour nous. Si Paris est une fête, notre génération ne foutra jamais les pieds sur le périph’. Mourir un peu plus chaque jour, très peu pour nous : c’est tout ou rien. « Enfer ou ciel qu’importe, plonger au fond du gouffre, pour trouver l’inconnu » disait ce bon vieux Baudelaire. Et pourtant, un petit village d’irréductibles consensuels se complait dans les affres étouffantes de cette vie toute tracée, s’abandonnant au seul modèle connu et faisant fit de ce monde qui prône pourtant l’ouverture d’esprit, l’échange culturel et surtout, le voyage. Mais ils restent minoritaires, trace résiduelle et persistante d’une génération de boomers sédentaires sur le déclin. Et si finalement ce voyage tant fantasmé, quelle que soit l’apparence qu’il revêt, formait bel et bien la jeunesse ? N’en déplaise aux décalages horaires, on refuserait toujours quand même de vieillir.

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