LES PLUMES

Comment survivre dans le 16e arrondissement quand on a moins de 60 ans ?

Publié le

18 juin 2021

"Auteuil, Neuilly, Passy, tel est notre ghetto". Ces mots lâchés par le gangsta délicat Pat’ alias Patrick (Les inconnus) dépeignaient avec fougue la violence chimérique dans la bourgade du 16e arrondissement de Paris au début des années 1990. Le jeune trentenaire méché et blasé, leader de ce rap BCBG, tiraillé entre Hédiard et Marie-Chantal, tentait déjà de s’extirper des méandres de l’ennui, en espérant percer dans une industrie musicale qui ne l’attendait pas. Prendre la fuite d’un système grabataire et assommant semblait être l’unique solution d’une jeunesse rongée par l’abondance en tout genre ! Trente ans plus tard, le 16e a-t-il fait émerger une génération toujours aussi réfractaire à l’appel des clubs de bridge? La pandémie latente renforce-t-elle l’angoisse d’un avenir nébuleux qui obligera peut-être les descendants de Pat’ à reprendre vraiment "la boîte de [leur] papa" ?

Chaos dans l’observatoire parisien des séniors

Gouverné par une génération Apostrophes en quête de tranquillité, le 16e arrondissement de Paris est un véritable observatoire des séniors. Personnages clés de ce quartier chic, les plus de 60 ans, qui ont agrémenté tant de conversations ou de clichés bien menés chez les bobos, sont aujourd’hui les premiers visés par la crise sanitaire. Et pourtant, méritaient-ils un tel coup du sort ? Ces baby-boomers, qui ont entamé leur carrière dans un contexte de plein emploi, ornés d’un imposant capital social et patrimonial n’étaient-ils pas suffisamment imposables sur leurs biens meubles qu’il faille aujourd’hui qu’ils le soient sur la vie ? Après des années de labeur à la tête de grands groupes du CAC 40, des vacances entre Deauville et le Cap Ferret l’ordinateur portable collé au transat, voilà que ce petit coin de paradis idéal pour passer de belles années de retraite devient une zone tout aussi perméable au virus. Ni les forces de l’ordre, ni même les avocats ou autres banquiers de famille ne peuvent, cette fois-ci, faire barrage.

"Le nom de 'Pfizer' devient aussi vénéré qu’un Château d’Yquem 1954."

Ce Beverly Hills de l’ouest parisien est face à un délinquant invisible qui les obligera peut-être à mourir de moultes thromboses calibrées s’ils optent pour la douce seringue AstraZeneca. Ce joli nom mortifère librement inspiré par le Centre national des ouragans (NHC), semble-t-il, n’a rien à envier au fameux cyclone Katrina (2005) et à la terrible Xynthia (2010). Nettement plus vicieux, il distille la peur de ses habitants et s’amuse avec eux comme le ferait le barillet d’un revolver au jeu de la roulette russe. Alors que le taux de mortalité semblait baisser entre 2012 et 2017 selon un dossier complet de l’INSEE sur la commune du 16e arrondissement de Paris, voilà que ce petit bourg situé rive droite se retrouve avec une génération de grands épargnants non épargnés par le virus. Le nom de "Pfizer" devient aussi vénéré qu’un Château d’Yquem 1954. Force est de constater que pendant que les doyens se cachent d’un virus propagé par une jeunesse asymptomatique, la morosité a gagné du terrain dans le cœur du quartier de la Muette Nord.

 

"Pendant que certains lycéens ont les crocs et tournent des clips revendicatifs en petit comité dans les recoins escarpés du Boulevard Delessert, d’autres se prélassent inlassablement dans les jardins verdoyants du Trocadéro."

Itinéraire d’un ado en temps de crise

Le 16e arrondissement de Paris foisonne d’adolescents en skate qui dévalent les dalles du Palais de Tokyo. Si la mèche (sans la mise en plis) n’a pas bougé, le foulard en soie, lui, a glissé sur le bas-côté pour un style street, tout en pull à capuche et en jean un peu loose. A l’heure du covid, et semi-confinés, les jeunes du ghetto haussmannien libèrent leur chakra à coup de tricks bien maîtrisés qu’ils immortalisent via des stories Instagram. En 2021, l’heure semble être au partage de moments bien choisis pour être sûr d’être validé et envié par le plus grand nombre.

Comme tous les ados, ils vivent au rythme des annonces gouvernementales ou pas... Pendant que certains lycéens ont les crocs et tournent des clips revendicatifs en petit comité dans les recoins escarpés du Boulevard Delessert, d’autres se prélassent inlassablement dans les jardins verdoyants du Trocadéro. A dix ou quinze, ils déjeunent dans l’herbe, avant d’enchaîner sur le cours de géo. Les plus précoces, eux, s’écartent du groupe pour s’adonner au plaisir des bisous fantasmés dans les séries Netflix du moment. Tels sont les rares instants de bonheur octroyés à des post adolescents nés non loin des blocs du quartier d’affaire de la Défense et en bas d’une tour visitée par plus de 7 millions de touristes par an - avant le Covid of course !

 

"C’est que la jeunesse se désespère"

Le 16e deviendrait-il une zone de non droit entachée par des soirées clandestines organisées par une jeunesse socialement frustrée ? Une plongée en eau trouble dans cet arrondissement huppé en tant de Covid mériterait peut-être une enquête approfondie par les équipes d’Elise Lucet. On imagine déjà la journaliste chevronnée interroger avec pugnacité Louis, un fils de, âgé de 25 ans, accusé d’avoir organisé une petite sauterie de 30 personnes Avenue Poincaré. "Alors Louis, sur le rapport de police, il est écrit que vous n’étiez pas 5 au goûter qui a commencé à 22h30 mais 27...". Ce à quoi Louis répondrait avec panache : "Euh…Euh non mais les employés de maison, ça ne compte pas et nous en avons beaucoup chez maman". Assise sur le coin d’un bureau, le regard foudroyant derrière ses lunettes de vue, Elise le surprendrait en dégainant un pipeau de la poche droite de son tailleur noir uni.

 "Outre les pâtisseries de chez Carette, la jeunesse dorée peut-elle rassasier son appétit social sans complexes ?"

Terrassé par tant d’adversité, Louis finirait par lâcher le morceau les yeux embués de larmes et osant citer les mots, hors contexte, de l’artiste engagé Daniel Balavoine prononcés face au futur président de la République François Mitterrand sur le plateau du journal d’Antenne 2 le 19 mars 1980 : "Voyons Madame Lucet, ça fait trois quarts d’heure que je m’ennuie à entendre des bêtises. Je n’ai plus le temps de dire ce que j’ai à dire, j’ai juste le temps de me mettre en colère et de passer pour un petit jeune qui fout la pagaille partout". Loin d’avoir pourtant fréquenté les couloirs de la réa, Louis est déjà à bout de souffle. Il fallait déjà subir un climat désertique et maintenant la solitude comme les autres jeunes de France ? C’en est trop. A choisir entre la Fame ou la vie ? Il embrasse les deux. Brûler la vie par les deux bouts, c’est ainsi qu’il s’est projeté quand, à 15 printemps, il sortit de la projection du film L’amour dure trois ans. Des étoiles pleins les yeux, il s’imaginait déjà en Gaspard Proust, noctambule notoire dont les frasques du samedi soir lui permettrait à peine d’aller d’un point A à un point B. Sauf si le point B se prénomme Bagatelle ou L’Arc et qu’il lui assure une perte de connaissance régulière nécessaire à l’entretien de son fantasme de bad boy autoproclamé. Et quel jeune en manque de sensations fortes pourrait lui jeter la pierre après un an d’hibernation ? Non, c’est encore ces médias en continu qui s’offusquent amèrement de cette folklorique et sulfureuse désinvolture !

Mais qu’aurait fait ce fameux Pat’ d’ailleurs en pleine crise pandémique ? Outre les pâtisseries de chez Carette, la jeunesse dorée peut-elle rassasier son appétit social sans complexes ? Dans cette zone parisienne où le festival de cannes quotidien cohabite avec des "Pat'" et des "Louis" depuis plusieurs décennies, vieux et jeunes n’espèrent finalement que deux mots : "Paris, libéré !".

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