INTERVIEW
Publié le
31 octobre 2025
Roméo Elvis et Oscar and the Wolf unissent leurs univers dans un projet aussi intime que puissant. À l'occasion de la sortie de leur nouveau single "Lose My Baby", extrait de l'EP Jardin, le duo nous parle d'amour, de chaos, et de cette lumière fragile qui naît dans l'obscurité. Pour S-quive, les deux artistes se livrent dans un entretien croisé, entre confidences artistiques et complicité sincère.

Votre duo est né d'un dîner entre amis. Qu'est-ce qui a rendu cette rencontre si évidente, musicalement et humainement ?
Oscar : On a beaucoup de gens en commun dans nos équipes respectives. Je crois que j'avais sorti mon album Taste, et Roméo l'a écouté. Il m'a dit qu'il avait aimé, et je lui ai répondu : "Faisons quelque chose ensemble". C'est parti comme ça, non ?
Roméo : Oui, c'est ça, plus ou moins. Ça faisait longtemps qu'on était censés se rencontrer. On a plein d'amis communs, et en Belgique, c'est un petit monde. Ça faisait déjà cinq ans qu'on me disait : "Tu devrais rencontrer Oscar". J'ai découvert son album Taste en 2024, et je me suis dit : "Putain, c'est trop bien !". Je connaissais sa musique, mais je n'avais jamais écouté un projet entier, et j'ai trouvé ça hyper inspirant. C'était vraiment dans le style de musique que j'essaie de faire aujourd'hui. Du coup, je me suis dit : "Allez, Let's go, on va se rencontrer". Et quand ça s'est fait, c'était super évident. Nos équipes se connaissaient déjà, tout s'est aligné naturellement. On s'est dit : "On aurait dû faire ça depuis longtemps".
Oscar : Exactement. On s'est retrouvés et on s'est dit : "Faisons une chanson". On est allés en studio chez moi, à la campagne, au milieu de la forêt. On a fait une chanson, puis une autre... et très vite, on avait huit ou neuf morceaux. Tout est allé très vite, il y avait une énergie incroyable.
Ce projet réunit le Nord et le Sud de la Belgique. Est-ce que cette dimension symbolique vous a influencés dans l'écriture ou la direction artistique ?
Roméo : Je pense que oui, surtout dans la symbolique. C'est marrant qu'il n'y ait pas eu plus d'artistes francophones et néerlandophones qui l'aient fait avant. C'est important, culturellement, de se croiser. En Belgique, on a deux régions, deux cultures, et pourtant c'est un tout petit pays. C'est un message fort : on peut venir de milieux très différents et faire de la musique ensemble. Et même si Oscar chante en anglais, ça a du sens qu'on soit deux Belges issus de deux côtés différents.
Oscar : Et puis, on aimait bien le facteur "WTF". On est tellement différents que c'était un vrai challenge. On adore la dualité, le contraste entre nos univers. C'était excitant d'aller profondément là-dedans et de voir ce qu'on pouvait en tirer.
Oscar and the Wolf : "J'aime voir l'EP comme un jardin : Roméo y a ses fleurs, très différentes des miennes, et c'est un jardin un peu chaotique, mais ça fonctionne."
L'EP s'appelle Jardin. Qu'est-ce que ce mot évoque pour vous deux ? Un lieu intime, sauvage, cultivé ?
Oscar : Pour moi, le mot "jardin" vient d'un couplet que Roméo chantait dans l'EP. En relisant toutes les paroles qu'on avait écrites, on s'est demandé : "Qu'est-ce qui revient souvent ?" Et il y avait ce "jardin" qu'il avait glissé dans l'une des chansons. On s'est alors rendu compte qu'on enregistrait et composait justement la musique dans un jardin, chez moi. On était toujours au soleil, il n'a littéralement jamais plu, donc on était tout le temps dehors. Et puis, il y a aussi toute la symbolique autour du jardin. C'est très Roméo et Juliette, très Tristan et Yseult –, le jardin comme lieu de rencontre, de création, un terrain commun où deux personnes très différentes peuvent se retrouver, créer ensemble, et aimer. Dans les textes de Shakespeare, le jardin est toujours cet espace où tout peut fleurir, même si les personnages sont opposés. J'aime voir l'EP comme un jardin : Roméo y a ses fleurs, très différentes des miennes, et c'est un jardin un peu chaotique, mais ça fonctionne. Parce qu'il n'y a pas d'ordre dans la nature - et c'est justement ce qui la rend belle : ce chaos.
Roméo : Oui, grave. J'aime beaucoup comment il l'explique. On a tout travaillé dans un environnement proche de la nature, et ça se ressent. Les jardins me font penser à Monet : à la fois la maison et la nature, le contrôle et le lâcher-prise. C'est exactement ce qu'on a vécu pendant le processus.
Oscar : Et on aimait aussi la référence à Basquiat et Warhol. Leur collaboration, c'est du chaos cohérent. C'est un peu la même chose entre nous : deux énergies différentes qui créent une unité.
Vous avez chacun une manière très singulière d'aborder la voix - l'un dans la sensualité, l'autre dans la tension. Comment avez-vous trouvé votre équilibre vocal sur l'EP ?
Roméo : On interprète notre musique de manière totalement différente. Moi, j'étais vraiment très impressionnée par la façon dont Oscar chante, enregistre et pose sa voix. Je viens d'un univers beaucoup plus rap, et même quand j'ai fait de la pop, je l'ai toujours pensée avec une structure très rap. Forcément, dans cette dualité-là, j'ai beaucoup appris de lui. Moi, je suis très dans le sens, dans l'écriture. J'écris beaucoup, les paroles doivent être impactantes. Et comme j'ai une voix grave, je me concentre sur l'interprétation du texte, sur la manière dont la voix va sonner. Oscar, lui, c'est un vrai chanteur, il vient de la culture pop, avec une tout autre approche de la musique. Et c'est justement ça, en tant que Roméo, que j'avais hâte de vivre avec un autre artiste : apprendre comment lui, il fait sa peinture.
Oscar : C'était la première fois que je faisais une collaboration comme celle-ci, donc j'étais un peu intimidé. Mais avec Roméo, j'ai découvert qu'on partage les mêmes stress, les mêmes peurs, et surtout le même plaisir de créer. J'aime sa manière d'écrire, très poétique. Et moi, j'ai aimé être challengé, sortir de ma zone de confort. Quand il me disait : "Fais plus énergique, plus agressif", j'ai pris ça comme un jeu. C'était fun, humainement et artistiquement.
Dans "Lose My Baby", on sent une tension entre vulnérabilité et puissance. Comment avez-vous construit ce morceau à deux voix ?
Oscar : Je vois cette chanson un peu comme le frère de "Love the Way You Lie" de Rihanna et Eminem. C'est dans la manière dont j'ai écrit les lignes vocales — je crois que j'ai été le premier à poser une ligne, et ensuite Roméo s'en est inspiré. On sent vraiment sa plume dans ce morceau. Ce qu'il écrit me touche énormément. C'est presque comme si je n'avais jamais pu écrire la ligne qu'il a écrite, mais elle tombe juste, parfaitement. C'est comme si on écoutait ce que la chanson veut vraiment. Comme si l'univers nous l'envoyait, et qu'on était juste des vecteurs, des médiums qui la transmettent. Parfois, ça vient tellement naturellement qu'on n'a même pas besoin de réfléchir à quoi écrire - ça sort tout seul.
Roméo : Oui, c'est vrai. Et pour rebondir sur ce que dit Oscar, je pense qu'un morceau comme celui-là commence à s'aligner dans ma tête. C'est un morceau où, comme il le disait, on ne s'est pas vraiment posé de questions sur comment on devait apparaître dessus. On n'a pas réfléchi en se disant : "Est-ce que ma voix va coller ? Est-ce que le style de l'autre va marcher ?" On s'est juste laissé porter. Et moi, je crois que c'est un des rares morceaux de l'EP où il n'y a pas du tout de rap. Ce n'est pas une obligation, bien sûr, mais c'est justement sur ce genre de titres que je me suis le plus amusé. Parce que je me suis permis des choses que je n'aurais pas osé faire d'habitude - traverser des frontières que je m'interdisais, à cause de mes propres préjugés ou de mon style. Je me disais toujours : "Attention, il faut que ça reste rap, il faut un couplet bien posé, des multisyllabes, etc." Mais là, c'est un morceau pop, tout simplement. Pop rock même. C'est du chant du début à la fin. Ce n'est pas nouveau pour Oscar, mais pour moi, cette chanson-là, c'était un vrai plaisir.
Roméo Elvis : "On a croisé deux univers et ça nous a permis de faire des choses qu’on n’aurait peut-être jamais osé faire seuls".
En écoutant l'EP, on sent une vraie liberté. Est-ce que travailler à deux vous a permis de lâcher prise différemment ?
Roméo : Moi, je pense à 100 %. Pour donner une bonne comparaison : "Lose My Baby", je ne l’aurais jamais fait tout seul. C’est vraiment une inspiration d’Oscar, et j’avais trop envie d’y aller. Il faut savoir que je ne viens pas juste au studio chez lui, j’écris mon truc dans mon coin et on écoute après — C’est vraiment une construction ensemble. Il va me dire : "Ce serait bien que ton couplet soit un peu plus allongé, avec moins de syllabes, que ce soit plus lent". Et moi, j’adore ça. J’ai pris un vrai plaisir à faire quelque chose que je ne fais pas d’habitude, comme sur "Lose My Baby". Et comme il disait tout à l’heure, quand moi je lui disais : "J’aimerais bien qu’il y ait un truc un peu plus agressif", je pense que "Crocodile", dans le projet, ce n’est clairement pas un morceau qu’Oscar aurait fait spontanément, selon ses envies à lui. Alors que moi, quand je l’écoute, je me dis : "Mais oui, c’est exactement ça que j’ai envie d’entendre de lui". Ce côté un peu violent, cette voix haute, cette provocation, cette énergie presque belliqueuse. Pour moi, ce sont les deux meilleurs exemples du projet où on s’est vraiment abandonnés à l’univers de l’autre. On s’est dit : "Vas-y, je vais aller un peu dans ton style, je vais faire comme toi, et je vais apprendre". Et c’est ça qui est magnifique dans ce projet. Bien sûr, on pourrait dire : "Ok, ce sont deux artistes connus qui collaborent, il y a un intérêt commercial, on va vendre plus, toucher plus de monde…". Mais en vérité, le cœur du truc, c’est qu’on a croisé deux univers. Et ça nous a permis de faire des choses qu’on n’aurait peut-être jamais osé faire seuls. Parce qu’on est deux. Et ça, c’est super, super inspirant.

Qu'est-ce que vous aimeriez que les gens retiennent de votre projet Jardin ? Une émotion, une image, un mot ?
Oscar : Que deux personnes très différentes peuvent créer ensemble. Que c'est possible, et que c'est même beau.
Roméo : Exactement. Il y a des gens qui sortent de là en se disant : "Je ne connaissais pas ce que fait Oscar, mais en écoutant ce morceau, j’ai découvert un truc que j’aime bien — je vais continuer, je vais aller écouter d’autres choses". Et inversement, des gens qui m’écoutent vont découvrir son univers. C’est ça qui est beau : on rend possible des choses qui, à première vue, ne semblaient pas compatibles. On crée des ponts entre des mondes qui ne se seraient peut-être jamais croisés autrement.
Est-ce que ce projet vous a donné envie de continuer à créer ensemble ? Ou est-ce que Jardin est une parenthèse précieuse ?
Roméo : C’est une question ouverte, bien sûr, mais en tout cas, on n’est pas du tout dans un cas de figure où chacun est de son côté, se dit : "Tiens, j’ai besoin d’un feat", appelle quelqu’un, fait une session studio, et puis basta — on ne se revoit plus jamais. Là, c’est vraiment une histoire d’amitié qui a commencé très naturellement. Vu le nombre de gens qu’on a en commun, vu comment l’énergie circule entre nous, comment on est complices… C’est clairement le début d’autre chose. On continue de créer, beaucoup — que ce soit pour le live, pour d’autres projets. Il y a plein de choses à faire, et franchement, c’est super excitant.
Oscar : Oui, l’histoire vient juste de commencer pour nous.
Qu'est-ce que vous esquivez, chacun, dans vos vies ou dans vos carrières ?
Oscar : C’est plutôt comment j’esquive mon quotidien, en rentrant chez moi après une tournée et de passer du temps avec mes trois chats : Andalouse, Amaretto et Oreo. C’est vrai qu’on aime être chez nous, parce que notre métier est très bruyant. Alors, quand on rentre, on savoure le silence.
Roméo : Moi, j'esquive de rester chez moi toute la journée, parce que j'ai l'impression de n'avoir rien fait !
