INTERVIEW
Publié le
16 juin 2022
Artiste singulière animée par une profusion de sentiments, Sally marque aujourd’hui par sa musique aussi libératrice que cathartique. Son premier album, Prisonnière, sorti en avril dernier, raconte l’histoire qui est la sienne, contrastant entre amour et haine, anxiété et passion. Longtemps contrainte par des choix artistiques et musicaux qu’elle ne maîtrisait pas toujours, la chanteuse qui a performé avec conviction sur son titre "JFLA" lors d'une session COLORS en 2019 tend aujourd’hui à s’affirmer comme une figure prometteuse de la scène musicale française.
Quand on s’intéresse à votre musique, on remarque que les deux thèmes qui s’en dégagent le plus sont l’amour et la mort, avec une vision assez triste, voire pessimiste...
C’est vrai. Dans cet album, les titres les plus vieux datent de 2019 et à ce moment-là, j’étais encore un bébé même si c’était il n'y a pas si longtemps [rires] ! Je n’avais pas forcément conscience de ce que je ressentais et de ce qui allait ou pas, donc c’était beaucoup de thèmes gais. Ensuite, j’ai été diagnostiquée bipolaire et ça a commencé à devenir plus sombre. C’est là que j’ai compris que je ne devais pas parler seulement d’amour parce qu’il y a beaucoup d’autres émotions qui m’animent, beaucoup de combats intérieurs.Tout n’est pas rose dans la vie, et je sais que pour moi, c’est une thérapie d’écrire. J’avais besoin de cette dualité entre l’amour et la mort qui me ressemble beaucoup finalement.
Un seul featuring figure dans votre album, et c’est un morceau 100% féminin : "SHOOT" avec Chilla, Joanna, Kanis, Alicia, et Vicky R. Symboliquement, c’est assez fort. C’était votre envie en collaborant avec ces artistes ?
Oui, complètement, on a passé deux jours ensemble et on a enregistré deux morceaux, avec le producteur Sutus et la productrice Benga. On voulait quelque chose qui nous unisse ! Je les connaissais toutes séparément, et c’était trop bien de pouvoir nous voir ensemble, c’était une très belle expérience. On a tout écrit ensemble en faisant aussi la prod' sur les deux jours. Ça a été très facile parce que tout le monde s’entendait bien, il n’y avait pas de stress à l’idée d’enregistrer et d’écrire, ou alors juste d’aller derrière le micro, sans se faire juger. C’était important pour moi parce que je sais que je déteste enregistrer ce que j’écris devant du monde, donc j’étais contente. Je pense que c’est surtout le fait d’être à l’aise, c’est une belle équipe de meufs ! [Rires]
Sur la couverture de votre album, photographiée par Alexandre Carel, vous êtes assise sur un lit dans un endroit qui ressemble à une chambre. Cette scénographie permet de mieux raconter votre histoire ?
Complètement, pour le coup, c’était mon idée. Je voulais retracer absolument toute ma vie. Ce qui s’est passé avant d’être malade et jusqu’à maintenant. C’est puissant, je raconte vraiment mon histoire, elle m’appartient et c’est important, je pense. J’aime beaucoup les photos très épurées mais pour cette fois, j’avais envie que ça en dise beaucoup sur le contenu de l’album en regardant la pochette. On voit l’ambiance assez sombre, c’est pour donner un bout de mon histoire. Avant, j’avais le choix de faire plein de choses et j’acceptais un peu "tout ce qu’on me disait". Maintenant, j’ai aussi envie de donner mon avis tout en restant dans un travail d’équipe évidemment. Je ne me rendais pas compte, j’étais très timide, et ça change une vie pour le coup de pouvoir exposer ses idées, j’étais super contente !
"En 2018, je m’étais dit : 'Dans quatre ans maximum, je fais un COLORS' et c’est arrivé très vite. C’était l’un de mes plus grands rêves !"
Vous êtes autodidacte dans la musique et votre succès a commencé à naître en partie sur les réseaux sociaux. Comment avez-vous vécu cette ascension ?
Je ne pense pas que ce soit le début du succès, mais c’était bien, parce que je ne comprenais pas ce qui se passait. Je vivais un rêve que je ne pensais jamais vivre. Je viens d’une très petite campagne, il n’y a pas de studio à côté de chez moi, j’enregistrais avec mes écouteurs [rires]. J’ai compris que ça pouvait potentiellement fonctionner quand j’ai fait mon COLORS. En 2018, je m’étais dit : "Dans quatre ans maximum, je fais un COLORS" et c’est arrivé très vite. C’était l’un de mes plus grands rêves ! Et c’est vrai que c’est assez fou parce que c’était mon premier single ce COLORS, j’en suis très fière. C’est une magnifique équipe, c’est une très belle expérience, aussi bien musicale qu’humaine parce qu’ils sont bienveillants et mettent vraiment à l’aise. C’était la première fois que je devais enregistrer devant du monde donc j’étais vraiment stressée, mais j’en retiens un très bon souvenir !
Dans certains de vos morceaux, et particulièrement dans ce COLORS, on ressent presque une nonchalance dans votre voix. Aujourd’hui, vous avez pris à l’apprivoiser ?
Complètement ! Pendant un an et demi, j’ai pris des cours de chant avec la meilleure professeure du monde, Géraldine Allouche, elle est incroyable. Elle m’a beaucoup aidée et la première fois que je l’ai vue, c’était deux jours avant le COLORS, pour travailler sur l’articulation. Avant, ce n’était pas du tout compréhensible, mais c’est vrai que j’ai toujours du mal quand je dois trop articuler, je trouve que ça efface un peu la créativité.
"Je ne me considère pas comme une rappeuse, je préfère dire que je suis éclectique."
Aujourd’hui, on ne peut pas vraiment vous catégoriser tant votre palette artistique et musicale est large...
Malheureusement, on me considère fréquemment comme une rappeuse, ce qui est compliqué parce que je ne le suis pas. On a le droit entre "rap" et "pop urbaine", ce qui regroupe absolument tout ce qu’on ne sait pas classer. C’est triste parce que ça n’a jamais voulu rien dire, surtout que le mot est très récent. Je ne me considère pas comme une rappeuse, j’aimerais bien m’en détacher, je préfère dire que je suis éclectique.
Votre nom, Sally, est une référence évidente au dessin animé Sally Bollywood, une petite fille détective. Vous faites la distinction entre l’ancienne Marion assez timide et l’actuelle Sally, une jeune femme que vous qualifiez de "version améliorée". Sally Bollywood était la petite fille que rêvait d’être Marion ?
Quand j’étais petite, j’étais vraiment comme elle, j’ai toujours voulu lui ressembler. Et puis ensuite, tu grandis, tu te refermes de temps en temps et tu ne comprends plus qui tu es, donc tu cherches. C’est là que je me suis dit que j’aurais bien aimé redevenir comme j’étais.
Elle a donc complètement participé à la construction de votre identité. C’était important d’avoir une sorte de modèle pour grandir, surtout en tant que petite fille racisée ?
C’est super important. Moi, j’avais certaines représentations à la télévision par exemple. Je trouve que c’est horrible de ne pas grandir avec certains modèles, c’est plus compliqué de se construire et en grandissant, on se pose un tas de questions comme "pourquoi je suis là ?", "qui suis-je ?". Et tu te cherches encore plus quand, comme moi, tu grandis dans un village avec peu de diversité même dans la "vraie vie".
Dans votre morceau "Tout roule", vous racontez votre combat quotidien contre la bipolarité...
J’ai la chance d’être stable depuis janvier, c’est la première fois que ça m’arrive depuis 12 ans, c’est fou ! J’en ai longtemps rêvé... Maintenant, c’est important de libérer la parole sur ce trouble psychique. Je me souviens qu’au début, on m’a fait la réflexion que je ne pouvais pas en parler et que ça ne regardait personne. Donc, au début, tu acceptes, et puis, ensuite, tu te rends compte que c’est important pour toi donc il faut en parler. Et puis ça prouve aussi que c’était vraiment tabou. Aujourd’hui, sur beaucoup de sujets, les mentalités évoluent même si en France il y a toujours un petit train de retard... Ça fait du bien parce qu’il y en a certains qui vivent avec ce bagage depuis très longtemps et en le subissant. Moi, je sais que j’ai réussi à comprendre ce qui m’arrivais quand j’ai commencé à écouter Kid Cudi pendant mon adolescence. Je suis une très grande fan, et je sais que ça m’a beaucoup aidée...
"Dans ma vie professionnelle, toutes mes idées ne sont pas les meilleures du monde mais quand j’ai envie d’en défendre une et si j’en suis persuadée, les personnes qui m’entourent doivent être d’accord."
Votre univers artistique a beaucoup évolué depuis vos débuts...
J’essaie de beaucoup plus m’écouter, surtout depuis janvier. J’ai envie d’essayer d’autres styles musicaux, et je sais que si j’y vais à fond, personne ne pourra me faire changer d’avis. Ça fait du bien de ne plus se forcer. J’ai toujours tendance à "faire l’enfant" et à être très naïve, parce que c’est plus facile et comme ça, c’est moins source d’angoisse. Mais à un moment, je me suis dis que je ne pouvais pas rester comme ça. Dans ma vie professionnelle, toutes mes idées ne sont pas les meilleures du monde, c’est sûr, mais quand j’ai envie d’en défendre une et si j’en suis persuadée, les personnes qui m’entourent doivent être d’accord. C’est presque un défi au final, et j’avais besoin de m’exprimer en faisant des choses que je rêve de faire, comme de la K-pop par exemple. Je suis fan de K-pop depuis que j’ai 14 ans, et j’ai enfin sauté le pas et essayé moi aussi ! Je suis très exigeante avec moi-même...
Et en ce moment, qu’est-ce que vous écoutez ?
J’ai bien aimé ce qu’a sorti Jack Harlow et le projet de Kendrick Lamar évidemment ! Angèle aussi a sorti un très beau projet, et inévitablement, j’aime beaucoup PNL. J’écoute aussi énormément de variété française, pour les paroles, les émotions...