INTERVIEW

Rencontre avec Richard Orlinski : “Je ne sais pas si je suis un transclasse mais j'ai compris très tôt que je ne pouvais compter que sur moi-même.”

Publié le

1 er avril 2022

Il fréquente les plus hautes sphères mais tient à rester populaire. Loin des grandes artères parisiennes où il parsème son bestiaire, Richard Orlinski, “l'artiste français le plus vendu dans le monde" affine sa street cred’ dans les rues de Marseille, Berlin ou Rome, partant à la rencontre d’artistes urbains pour la série documentaire Sur les Murs (TV5 Monde). Des NFT aux œuvres de charité, en passant par la scène, celui qui n’a pas attendu Vogue pour s’intéresser au reste de la France continue de faire ce qui lui plaît. Rencontre avec le sculpteur de bêtes.

 

Richard Orlinski
Richard Orlinski ©Guillaume Malheiro
Richard Orlinski est mis en beauté par Sylvie Mainville et habillé par Céline Bourreau, remerciements à Ungaro.

Que retenez-vous de cette première saison de Sur les Murs ?

Au départ j’étais parti pour découvrir des street artistes francophones à travers le monde et écouter ce qu’ils avaient à dire sans savoir qui j’allais rencontrer. Je me suis laissé embarquer, en immersion dans leur univers et j’ai pris du plaisir à participer, à apprendre des choses jusqu’à m’en inspirer donc c’était une expérience pleine d’échanges très intéressante. C’est un cercle vertueux notamment lorsque des artistes t’appellent pour te remercier car ils ne seraient jamais passés à la télé, d’autant plus qu’ils que le confinement a mis en péril leur activité. Il y avait beaucoup de bienveillance entre nous, bien que certains artistes étaient trop loin de mon univers ou me semblaient moins pertinents mais dans l’ensemble j’étais agréablement surpris. Au-delà du partage, cette série a aussi permis de montrer le monde francophone dans sa diversité et l’art de rue dans son ensemble : hip-hop, foot, beatbox, skate…

En quoi cela vous a inspiré pour votre travail ?

L’artiste belge Denis Meyers, excellent, m’a par exemple redonné le goût des autocollants. Je m’imprègne beaucoup de mon environnement, encore plus quand je me trouve dans un domaine artistique. J’ai fait du dripping, des pochoirs, du fat cap, du nail art… j’ai fait des trucs assez fous. J’ai même eu droit à mon blaze !

Lequel ?

LINSK

"Quand tu passes une journée de merde et que tu montes sur scène, tu oublies tout."

A l’écran, on peut aussi vous voir sur scène ou derrière les platines… Vous êtes un peu sur tous les canaux, que cherchez-vous à transmettre ?

Je prends du terrain, j’impose, je veux être là, c’est tout ! [rires] Je suis un artiste à 360° évidemment mais je souhaite surtout faire le pont entre les différentes formes d’art car pour moi, tout ça, c’est de l’art. Le stand up me plaît beaucoup, je joue tous les lundis à la comédie de Paris et c’est génial car il y a une vraie interaction avec monsieur et madame tout le monde. Cet échange est très important pour moi, ça fait remonter l’adrénaline. Quand tu passes une journée de merde et que tu montes sur scène, tu oublies tout. Et plus tu donnes, plus tu reçois. Je pars également en tournée dans toute la France à la rencontre du public. Les gens viennent avec des pièces pour les faire dédicacer, les publics se croisent et se mélangent. La musique c’est grisant aussi, mais c’est moins fort que le stand up car il n’y a pas de rapport direct. En revanche on crée de véritables shows visuels qui mêlent art et musique, loin d’une simple configuration mix. Je cherche toujours la nouveauté. Fin avril, je sors un son en collaboration avec Nicky Jam, Tory Lanez et Jon Z : un rappeur canadien et deux latinos qui font du reggaeton. En 2016, j’ai sorti un tube avec Eva Simons qui a cartonné. Depuis, j’ai fait d’autres sons qui ont plus ou moins marché mais à présent on essaie de revenir avec quelque chose de très fort. Et ça me plait. Ce sont de nouvelles aventures à chaque fois. J’ai fait Zénith de Paris, Bercy, le Zénith à Strasbourg, des festivals avec plus de 200 000 personne... C’est un plaisir de partager tout ça avec des goûts différents.

Richard Orlinski Hugo Boss
Richard Orlinski ©Guillaume Malheiro
Richard Orlinski est mis en beauté par Sylvie Mainville et habillé par Céline Bourreau, remerciements à Boss.

Vous avez également réalisé un projet en NFT. Les NFT pour les nuls, c’est quoi ?

C’est tendance ! C’est de l’art numérique donc ça consiste à prendre une image, en tout cas quelque chose qui bouge, de virtuel… Le problème des NFT aujourd’hui c’est qu’il y a un peu tout et n’importe quoi alors si c’est “pour les nuls” il faut faire attention car c’est de l‘investissement. Moi je n’investis pas dans le sens où j’investis sur de la comm’, sur du design etc. mais j’essaie de proposer quelque chose de carré car c’est comme la bourse ça fluctue. C’est émergent donc il faut donc rester prudent. Actuellement, on travaille plutôt sur le métaverse, qui est un web 3.0 avec des utilités transformées mais aujourd’hui NFT veut tout dire et n'importe quoi. C'est le truc, en vérité, la signification, c’est non-fungible token donc c'est une image qu'on peut être plusieurs à posséder avec un code source qui ne peut pas être violable etc. Ça sert aussi dans la blockchain pour avoir des certificats d'authenticité. Mais c'est un peu un monde sauvage. Il y a déjà une régulation du marché et à terme, il ne restera plus que les grosses cylindrées, comme par exemple dans les téléphones portables, Samsung et Apple. Ça part dans tous les sens et aujourd'hui c'est beaucoup une histoire d'argent, ce sont des gens qui veulent faire des coups parce qu'ils profitent d'un nouvel engouement pour quelque chose. Ça concerne une petite communauté, des gens de la crypto monnaie donc des gens qui ont déjà investi dans les bitcoins. Ça a explosé, ça s'est monté, ça a été multiplié par des centaines, etc. Mais par contre, ça, pour moi, les NFT c’est sympa parce que c'est artistique, ça permet à une nouvelle communauté de me découvrir. Il y a un côté incubateur et transmission qui peut être intéressant si c'est bien fait. Et puis, après tu te creuses la tête pour trouver des idées. L'avantage, c'est que ce n’est pas figé, comme la peinture et la sculpture. Et là, tu peux vraiment faire évoluer un concept autour de ça. Il faut qu'il y ait une utilité. Par exemple en ce moment, je participe à un jeu vidéo : mon personnage va devenir un des héros du jeu vidéo. Là c'est intéressant parce qu'on l'habille, on lui attribue des pouvoirs plus ou moins rare dont on peut faire commerce…

"C'est beaucoup plus facile de faire parler un gorille qu’un crocodile pour faire passer mes messages."

La base, votre œuvre principale, c’est le Kong. Pour Virginie Despentes, King Kong est un être hybride, symbole d’une sexualité d’avant la distinction des genres telle qu’imposée autour de la fin du XIXe siècle. Et pour vous, il représente quoi ? Avez-vous lu Despentes ?

Non, mais je ne sais pas lire alors faudrait déjà qu’on m’apprenne ! [Rires] J'ai voulu mettre en avant cet animal parce qu’il est très proche de l’homme. A l’origine c’est le Silverback, une espèce en voie de disparition, qui a inspiré le film King Kong. En réalité, le gorille mesure à peine 1m60 mais je voulais représenter un monstre au grand cœur qui est bienveillant, qui défend les faibles, les opprimés et la nature aussi, subissant le rejet de la civilisation. Il y a un code que l’homme n'a pas compris dans tout ça. Et puis, cet animal est très proche de l'homme. Le gorille et l'homme partagent 99,7% d'ADN commun. Il tient sur ses deux jambes, on peut le faire parler donc je peux lui faire exprimer ce que je veux. C'est beaucoup plus facile de faire parler un gorille qu’un crocodile pour faire passer mes messages.

Justement, vous dites que vous avez cassé les codes. Mais quels sont leurs codes ?

Ils n’en ont pas. C'est juste un petit milieu bien-pensant, très fermé, tout petit. Paris n’est pas la France. Moi je suis très proche de la province. Je travaille avec avec les mairies, les préfectures, je n’ai pas de soucis. A Paris on est snob mais on a l’habitude, ce n’est pas grave. Ça m'amuse plutôt qu’autre chose. Et pourquoi j'ai cassé les codes ? Parce que je n’avais pas le choix. Quand il a fallu tenter avec toute ma naïveté, mon innocence dans cette aventure, j'ai vu que c'était compliqué, que les portes étaient fermées. Il a fallu trouver des chemins de traverse, comme Harry Potter.

Richard Orkinski Musée d'Orsay
Richard Orlinski ©Guillaume Malheiro
Richard Orlinski est mis en beauté par Sylvie Mainville et habillé par Céline Bourreau, remerciements à Boss.

Nous aussi on casse les codes en vous interviewant.

Exactement. C'est quantité négligeable en réalité, parce que ces gens sont minoritaires. Grâce à Sur les murs, certains ont d’ailleurs changé de regard sur moi. Je ne sais pas s'ils ont changé leur discours, mais ils ont découvert une proximité, quelqu’un de simple - ce que je suis tous les jours en fait – alors qu’on me présente comme le sculpteur des stars bling bling.

Aujourd’hui le transclasse est à la mode, en quoi avez-vous transcendé votre destin ?

Je ne sais pas si je suis un transclasse mais j'ai compris très tôt que je ne pouvais compter que sur moi-même, bien avant que mon père ne quitte le foyer familial. J’ai peut-être été mature trop tôt mais ça m'a donné l’envie d’accomplir mes rêves, la rage de réussir. Je n’en serais pas là si j'avais eu le destin qu'ont mes enfants aujourd'hui.

"Le Kong penseur, c’est une idée de Laurent Baffie, je ne l’aurais jamais pensé tout seul !"

Et aujourd’hui vous comptez encore uniquement sur vous-même ?

Je peux compter sur vous ! [Rires] Bien au contraire, je préfère travailler en équipe, comme sur un terrain de foot ou de basket ! A plusieurs cerveaux, on est plus fort. Je laisse beaucoup de liberté et de partage à mon entourage. Et ça fonctionne. Si t’es un artiste reclus dans ton coin, t’as pas le recul nécessaire, j’ai besoin de l’avis des autres, je m’en imprègne comme une éponge. Et même celui des fans !

Vous êtes un vrai gourou sur Instagram.

Ah bon ? Parfois je lis des commentaires intéressants. En ce moment, il y en a un qui me harcèle pour que je crée un fennec. A mon avis c’est un Algérien car cet animal est emblématique d’Algérie, il ne lâche rien. Le Kong penseur, c’est une idée de Laurent Baffie, je ne l’aurais jamais pensé tout seul ! Je l’ai fait pour lui faire plaisir… Tout ne vient pas du fruit de mon imagination, j’écoute ce qu’on me dit ! J’ai également travaillé sur la guerre froide, les héros Marvel, l’élégance, la sensualité, la mode, les uniformes… Mais les animaux, c’est ce qui plaît au plus grand nombre.

Richard Orlinski ©Guillaume Malheiro
Richard Orlinski est mis en beauté par Sylvie Mainville et habillé par Céline Bourreau, remerciements à Ungaro.

Pourquoi n'avez-vous pas de cible particulière ?

Je ne suis pas un artiste de niche, c’est comme dans la musique, on va peut-être dire que je suis un mec vulgaire parce que j'aime la musique populaire et que je cherche l'émotion immédiate dans mes sculptures. Ce qui compte pour moi, c’est qu’un enfant de deux ans puisse ressentir de l’émotion face à mes sculptures.

Après Nabilla, qui sera votre muse ?

Ah, le Dieu des influenceurs ! C'est qui Nabilla ? (rires) On s’est bien marrés à faire ça, elle est pleine d’autodérision. C’était dans le cadre d’une série pour Amazon, elle a marqué la télévision, la télé-réalité certes, mais elle est sortie du lot avec son intelligence. J'ai toujours pris sa défense, et ça a toujours généré des commentaires plus ou moins élogieux sur la Toile.

"Je suis très sollicité aussi parce que je vends bien et, on ne va pas se mentir, c'est l'argent qui nourrit la recherche."

J’ai lu que la seule fois où vous aviez pu exposer à la Fiac, c'était au travers d'une association caritative. Parlez-nous de votre engagement dans le caritatif.  

Je m’étais fait virer de la Fiac, c’est drôle. J’étais passé par le commissaire d'exposition et la directrice du salon pour exposer plusieurs crocodiles, c'était pour un asso avec Sophie Marceau. L’important c’est de redonner. Je suis très sollicité aussi parce que je vends bien et, on ne va pas se mentir, c'est l'argent qui nourrit la recherche. La cause qui me touche le plus est celle des enfants. Mais je donne aussi pour la cause des femmes, des handicapés, des animaux... Je soutiens plus de 50 associations dans le monde. En fait j’ai commencé par présenter des célébrités à des enfants hospitalisés et condamnés, c'était insupportable. La mère filmait en pleurant son petit qui avait le sourire radieux sans savoir qu’il lui reste 4 semaines à vivre. Maintenant, je fais différemment, je participe à des ateliers, je ne connais pas les infections des enfants à l’avance, on est là pour l'aventure, le partage. Un jour j’ai eu une expérience hyper intéressante avec une petite qui dessinait très bien - je reproduis leurs dessins dans des livres que j’édite – et j'ai appris le soir qu'elle ne parlait jamais alors que toute la journée elle me répondait comme si de rien n'était. Je ne dis pas que j’ai fait un miracle mais ça fait du bien de savoir qu’une chose s’est produite. En ce moment, je pense à un droit d'auteur pour les animaux en voie de disparition.

C’est-à-dire ?

Eh bien, tous les animaux représentés dans mes sculptures sont en voie de disparition, comme le gorille Silverback et donc, c'est un projet qu’on est en train d'initier avec Raphaël Mezrahi, fervent défenseur de la cause animale qui donne beaucoup à ces associations.

Qu’est-ce que vous esquivez dans la vie ?

La mort.

Richard Orlinski
Richard Orlinski ©Guillaume Malheiro
Richard Orlinski est mis en beauté par Sylvie Mainville et habillé par Céline Bourreau, remerciements à Ungaro.

Remerciements au musée d'Orsay.

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