INTERVIEW

Nach : "Mon album trouve son origine du chaos, cet état de mort lorsqu’on se sépare pour renaître."

Publié le

17 janvier 2024

Peau Neuve, c’est le troisième album de Nach. C’est également l’album de la renaissance pour Anna Chedid. Une proposition au voyage en 9 titres, qui sonne comme des songes d’une nuit d’été. C’est une œuvre de rencontre intime, universelle, forte et fragile ; comme cette plante dans un champs de béton. Elle y chante ses transformations, ses désirs, ses peurs, ses failles, ses forces, son rapport au corps et au cœur, son lien avec nous. Un objet qui s’écoute comme il se voit en concert, avec une mise en scène à la hauteur de la poésie cinématographique qu’on peut entendre. A l’occasion de la sortie de son nouveau single "Le temps de vivre", S-quive s’est entretenu avec l’artiste à propos de son projet aux ambitions humaines. Vous pourrez également prolonger la rencontre en lisant L’Oracle Peau Neuve, paru ce 18 janvier aux éditions Eyrolles et la voir en live à La Cigale, le 18 mars prochain, ou à L’Olympia le 18 mars 2025.

C’est sur le temps d’un café, en fin de repas, que nous rencontrons Nach. Une personne pleine de vie ; à l’instar du soleil qui brillait, ce jour-là, dans le gris usuel de la saison. Son sourire communicatif laisse toute la place à l’autre ; et derrière ses lunettes rondes se cache une artiste humble, curieuse et soucieuse d’être juste avec elle et la personne en face. En résulte un échange qui se veut ancré dans la réalité et le temps de l’instant. Car, nous ressentons que pour Anna Chedid, chaque rencontre est une nouvelle possibilité de faire peau neuve vers une version plus belle encore de soi et de son art.

Peau Neuve est un album "solo" au sens le plus propre du terme puisque vous vous êtes isolée pendant 6 mois, pouvez-vous nous raconter cette création atypique ?

C’est vrai que je l’ai fait d’une façon très différente des autres. D’habitude, j’étais en maison de disques, j’étais très entourée. Pour Peau Neuve, j’étais à un moment particulier de ma vie professionnelle, comme privée. Mon contrat avec ma maison de disque s’arrêtait, je vivais une séparation, je déménageais. Finalement, tout était flou et je n’avais plus d’attaches. Alors, je suis partie seule faire des chansons. Cela restait la seule constante dans ma vie. Mais, par rapport au contexte, je savais que je ne voulais pas créer cet album comme les autres. Je me suis donc fait confiance en me laissant porter. Et, plus encore, je me suis rendue compte que je pouvais le faire seule. J’ai pris conscience que je savais, et devais, enregistrer les sons, les chœurs, travailler les arrangements et tout faire de mon côté pour aller là où je voulais aller.

"Mon album trouve son origine du chaos, cet état de mort lorsqu’on se sépare pour renaître."

Votre album commence par "Cadeau d’adieu" et se finit par une rencontre amoureuse avec "Le cœur qui explose". Une raison à ce paradoxe ? Que raconte Peau Neuve finalement ?

Il y a une raison effectivement qui part de "Cadeau d’adieu". Mon album trouve son origine du chaos. Ici, c’est l’inconnu que laisse la rupture amoureuse. Cet état de mort lorsqu’on se sépare pour renaître. C’est de ce point de départ où plus rien ne sera jamais comme avant que le voyage débute. Et, Peau Neuve est le carnet de route de ce trajet vers son renouveau, du début à la fin. Il y a même un renversement musical si tu fais attention en milieu de l’album. Le rythme n’est plus pareil, plus soutenu, plus battant au fur et à mesure qu’on s’approche du dernier titre. On part vraiment de l’immobilisme, vers le mouvement qui revient petit à petit jusqu’au cœur qui explose de vie.

C’est pour cette raison que vous vous êtes littéralement enterrée dans le clip ?

Oui, parce que je voulais symboliser cette renaissance. Pour tout expliquer, je voyais ça comme la naissance d’une plante. C’est pour ça qu’il y a cette main qui sort de terre dans un mouvement qui illustre cette idée ; comme une plante qui pousse.

Nach ©Diane Moyssan

Ce troisième projet est très cinématographique dans sa musique, mais aussi dans son imaginaire par une écriture très descriptive et un choix de mots qui relève presque du conte. Comment avez-vous écrit cette proposition ? Le cinéma a-t-il joué un rôle dans la création ?

C’est intéressant ton retour, parce que c’est comme ça que j’ai pensé les arrangements de mon album. Je cherchais vraiment la part émotionnelle des instruments et pas uniquement (voire pas du tout) esthétique. C’est pour ça qu’il y a, je pense, cet aspect cinématographique. Je voulais que les auditeurs puissent avoir le même ressenti que dans une salle obscure face à un film. Par exemple, avec "Un soleil dans le ventre", j’ai décidé en plein enregistrement d’enlever le piano, pour n’utiliser qu’une basse. Un duo basse-voix c’était déjà atypique ; mais, plus encore, c’est la symbolique d’avoir juste cette corde qui donne la musique de ce titre qui parle de solitude. Les instruments illustrent les mots et les émotions. Ça donne de la place à l’imaginaire et à l’esprit pour s’y engouffrer. Ce qui amène à ressentir cette esthétique cinématographique.

"Sur scène on assiste à une renaissance. Je souhaitais mettre en scène une mue."

Toujours en lien avec cette esthétique marquée par vos clips, vos images promo et même dans vos mots avec l’album. Quelle mise en scène pouvons-nous voir pour cette tournée ?

Sur scène on assiste à une renaissance. Je souhaitais mettre en scène une mue. Durant le live je voulais pouvoir, en quelque sorte, enlever des couches de peau jusqu’à arriver au déploiement à la fin. C’est davantage un spectacle musical, plus qu’un simple concert. Et, surtout, c’est un moment qu’on vit tous ensemble, pour ressortir transformés… J’espère en tout cas !

Justement, dans ce projet, on a le sentiment que vous vouliez faire peau neuve pour vous, mais aussi pour les autres. C’est le cas ? Et pourquoi ?

Merci pour ton retour, ça me touche beaucoup ! Je sens effectivement qu’il y a un impact, que je n’ai jamais vécu avec mes précédents albums. Je pense que beaucoup de personnes expérimentent, en ce moment, cette envie et ce sentiment de faire peau neuve. Je reçois énormément de messages sur « Cadeau d’adieu », par exemple, parce que ces gens viennent de se séparer ; ou sur "Le cœur qui explose" parce qu’ils viennent de rencontrer quelqu’un. Les chansons de cet album parlent de toutes les histoires que la vie peut nous faire vivre. Ce sont toutes ces petites choses que nous partageons tous à un moment donné. Et forcément, je pense, en tout cas, que ça parle aux autres… Parce qu’il y a cette essence commune qui nous lie les uns les autres quand il ne reste plus rien.

Nach ©Diane Moyssan

Qu’est-ce que vous espérez pour nous (pour l’autre) de cet album ?

J’espère que cet album fera déjà du bien ! Personnellement, je suis touchée par l’art quand je peux m’identifier… Avoir le sentiment d’être moins seule. Je n’ai pas la prétention de changer l’art, la musique ou la vie des gens. Je serais la plus heureuse si mon album permet aux autres de se sentir entendus et compris. Parfois, je dis que je n’ai pas d’ambitions de "star" ; par contre recevoir des messages sur les réseaux de gens qui me disent combien mes musiques leurs font du bien ; c’est ça qui m’intéresse et me donne du sens dans mon travail. Je pense qu’il ne faut pas oublier qu’on a un rôle sociétal en tant qu’artiste !

Sur les 9 titres de l’album, 2 sont instrumentaux (dont un qui clôt l’opus). Pourquoi ce choix d’enlever les mots pour vous qui êtes une parolière ?

J’adore la musique instrumentale ! J’ai même monté un groupe instrumental qui j’ai produit sur mon label. Et pourtant, je ne l’intégrais pas à ma musique. Quand j’étais en maison de disques, je savais que ce n’était pas ça qu’on attendait de moi. Je devais faire des formats pour la radio. Avec cet album, je me suis autorisée à montrer davantage de moi. Sans penser au format le mieux calibré pour vendre ou être écoutée. Ce qui m’a permis de faire mon art, d’expérimenter mon art et dire ce que je voulais dire.

Vous avez créé votre label. Produire pourrait être votre prochaine aventure ?

Oui bien sûr ! J’ai vraiment une âme de productrice. J’ai besoin de m’entourer pour tout ce qui est administratif… ! Mais trouver, donner un sens, et structurer un projet artistique, ça je sais faire ! Je pourrais sans soucis, et avec plaisir, étendre cet aspect de ma personnalité à l’avenir.

Nach ©Diane Moyssan

Quelle musique vous influence à faire peau neuve ? Des artistes en ce moment ?

J’étais beaucoup en voyage pour créer cet album. J’écoutais, par exemple, Hermanos Gutiérrez, beaucoup de percussion venue du Maroc… Et toute cette musique du "voyage". Ces titres qui laissent à l’esprit toute la place de partir où il veut. Après des artistes du moment, je suis très mauvaise pour ce genre de question ! Parce que je n’écoute pas ce qui sort là maintenant. J’aime les musiques qui n’ont pas de temporalité et qui traversent le temps. Quand des albums ou des artistes surgissent avec une sorte de fulgurance, j’ai le sentiment de cet aspect "effet de mode" (et donc très éphémère) qui ne m’accroche pas du tout. Mais pour te répondre, j’écoute en ce moment Paul Simon, le dernier James Blake, Villagers, Andy Shauf, Balthazar. Donc rien qui ne passe vraiment en radio ou de très actuel [Rires].

"Nach me permet d’aller plus loin dans mes rêveries et de prendre du recul par rapport à moi-même."

Est-ce que Miyazaki vous a inspiré ?

Pas directement dans mes compositions. Mais plus dans la manière de placer les choses, la contemplation, l’angle sous lequel je vois les choses.

Vous faites preuve d’une grande sincérité dans votre album. C’est une démarche qu’on trouve beaucoup dans la nouvelle scène hip-hop notamment underground (à l’image d’un Nekfeu, Empty7 ou Jossman). Est-ce que la pop peut être hip-hop ou underground ?

Dans l’intention, oui bien sûr ! Bien entendu, pas dans la forme. Mais dans l’objectif de se mettre à nu, de parler de nos failles, nos forces, nos démons, nos vulnérabilités, de nos pires endroits d’ombre et de lumière, oui complètement. Il y a des artistes qui ont cette même démarche, plus manifeste peut-être même, comme Zaho de Sagazan, Voyou, November Ultra. Cette façon de faire de l’art et de la musique n’est pas cloisonné à un style, elle est commune à tout un chacun qui veut se lier à l’autre, je pense.

Nach ©Diane Moyssan

Difficile de ne pas penser à votre famille. Deux questions en une, qui est Anna Chedid ? Qui est Nach ?

Difficile ta question ! [Rires] Je ne sais pas sincèrement. Je me demande si on sait se définir soi pour tout te dire. Mais j’ai essayé de le faire avec mon album. Je dirais qu’on est la même personne, mais Nach me permet d’aller plus loin dans mes rêveries et de prendre du recul par rapport à moi-même. Nach est un mélange de mon prénom et de mon nom. C’est l’équilibre qui me permet d’être juste dans ce que je fais ; de faire ma musique comme je le veux et de me protéger lorsqu’il le faut. C’est le mélange idéal entre mon art (ma musique) et mon histoire.

Dernière question, c’est quoi la musique pour vous ?

C’est tout ! Je me rends compte à quel point je ne vis que là-dedans, je n’existe qu’à travers ça. La musique est le seul moyen que j’ai d’aller à la rencontre des gens, de m’exprimer, de trouver ma place et juste "être". Encore aujourd’hui, ce que je raconte dans Peau Neuve, sans la musique je ne pourrais pas l’exprimer ailleurs. C’est le seul outil que j’ai pour parler. C’est tout ce que je suis.

L’Oracle Peau Neuve aux éditions Eyrolles et La Cigale le 18 mars 2024.

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