INTERVIEW
Publié le
14 mai 2025
Peu avant qu’il foule le tapis rouge de la cérémonie Les Flammes hier soir, Karmen nous a livré par téléphone les secrets derrière la création son premier album Comment t’aimer Sans Diamants, sorti le 18 avril dernier. Alors que son titre "Alicante" en featuring avec PLK cartonne, c’est à cœur ouvert, sans filtres et avec une pointe de nostalgie, que le rappeur est revenu sur ses racines, le cancer qu’il a combattu et la force dont il a fait preuve durant ces dernières années. Dans cet album, l’artiste renoue avec les sonorités espagnoles, rappe sur des guitares acoustiques et replonge ses auditeurs en enfance avec le témoignage aussi poignant que réconfortant de sa grand-mère Carmen, dont il tient son nom de scène.
Comment allez-vous en ce moment ?
Je vais très bien, je suis très heureux que le projet ait été aussi bien reçu.
Votre titre "Alicante" en feat avec PLK fait un carton sur TikTok, le morceau est dans le top 50 Spotify France, que ressentez-vous ?
Ça n’était pas inattendu car je savais que c'était un son qui pouvait vraiment plaire. On avait la cartouche PLK en plus, qui fait du bon travail, d’où cette exposition encore plus forte que d’habitude. Je savais qu'on avait bien travaillé sur ce morceau, et qu’il y avait cette possibilité-là. Ça me fait très plaisir que les gens reprennent le morceau et qu’il tourne comme ça.
Votre premier projet intitulé 100 Diamants était axé sur le luxe, l’opulence, l’egotrip, tandis que dans cet album, on sent que tout vient du cœur, on dirait que vous vous êtes reconnecté à quelque chose de plus profond, de plus authentique ?
Les deux projets me représentent très bien. Ce serait mentir que dire que je suis uniquement la personne du deuxième album qui est toujours full famille et full amour. Car il y a toujours une partie de moi qui adore tout ce qui brille et c’était d'ailleurs la problématique de l’album. La vérité, c'est que si mon premier projet ressemble à ça c'est parce que je l'ai fait dans des conditions spéciales. J'étais dans ma chambre d'hôpital et je n’avais pas envie de parler de choses qui me rendaient plus triste. J'avais envie de faire voyager mon cerveau, de rêver. C’est pour ça que 100 Diamants ressemble à ça et que Comment T'aimer Sans Diamants est ainsi. J'ai fait mon dernier projet en sortie d'hôpital et j’avais plus de recul sur la situation, je me posais des questions, j'essayais de comprendre ce qui s’était passé. Les deux projets sont le prolongement du moment où je les ai écrits.
"Je voulais créer quelque chose qui me rapproche musicalement de mes racines espagnoles."
C’est votre grand-mère Carmen qui tient la trame de l’album, celle dont vous tenez votre nom de scène, comment vous est venue l’idée de la faire participer au projet ?
À la base, je l'ai enregistré pour moi il y a cinq ans. Je lui ai dit de me raconter toute son histoire. On s'est posés l’un en face de l'autre et elle m'a raconté sa vie pendant deux ou trois heures, de sa naissance à aujourd'hui, parce que je voulais garder une trace de ça. Selon moi, son histoire est hyper intéressante, parce que c'est l’héritage de ma famille et si un jour j'ai des enfants, ils pourront connaître l'histoire de leur arrière-grand-mère. Un an plus tard, j'ai réécouté ces enregistrements et j'ai eu cette idée d'album. Je voulais faire quelque chose de plus personnel. Je voulais créer quelque chose qui me rapproche musicalement de mes racines espagnoles. Donc on a commencé à éplucher tout ce qu'elle m’avait raconté, il y a quatre ans, et on a sélectionné des parties, puis on a construit l’album à partir de ça. Ce qui est cool, c'est que tout ce qu'elle dit vient d’elle-même. Je ne lui ai pas demandé de dire certaines phrases pour créer un interlude ou une transition.
Vos racines espagnoles apparaissent dans les prods, jusque sur la cover, et dans les interludes de l’album. Vous avez travaillé avec des artistes espagnols, des guitares acoustiques… Comment s’est déroulée la composition de ce projet ?
La composition a été la partie la plus compliquée du projet, parce qu'il fallait réussir à mettre en place ce que j'avais dans la tête. Le problème c’était que j'étais le seul faisant le pont entre les personnes qui travaillaient sur le projet dans l'industrie rap et les artistes espagnols. C'est-à-dire que les personnes qui faisaient du rap ne connaissaient pas la musique hispanique et inversement. Les idées venaient très rarement d’eux parce que ça n’était pas leur monde, c’était donc à moi d'avoir cette vision-là. Je devais mélanger les deux mondes. À force de créer des morceaux et à force que les années passent, ils ont commencé à comprendre ma vision et à partir de ce moment-là, tout est allé plus vite. Les deux dernières années ont été plus faciles, mais rien que pour créer les équipes avec qui j'allais bosser pendant quatre ans, ça a été au moins deux ans de travail.
Le fait de mélanger rap et sonorités hispaniques ou encore maghrébines, c’est quelque chose qui revient de plus en plus en ce moment, ressentez-vous un renouveau dans le rap ?
Dans toutes les époques, il y a des artistes qui ont revendiqué leurs origines, par exemple un 113 avec "Tonton du Bled". Je pense que ça a toujours existé. Après, c'est vrai que ça fait depuis toujours que j’essaie de mettre ça en avant. En 2017, j'ai sorti un morceau intitulé "Camilla" qui mettait déjà en lumière ce côté espagnol. C'est une chose que j'ai toujours eu en tête et que j'ai toujours aimé faire parce que c'est ce qui me différencie des autres, mais cet album-là, je ne l'ai pas fait pour me différencier, je l'ai surtout fait parce que cela me représentait.
Dans votre EP Motel Studio 2, sur le son "Cuando Baja el Sol", vous faites un refrain en espagnol, mais sur cet album, vous rappez uniquement en français, ça vous a traversé l’esprit de faire un titre entier en espagnol ?
Oui bien sûr. C'était un des débats qu'on a eus et finalement j’ai choisi de ne pas le faire. Selon moi, ce qu'on allait proposer était déjà très novateur, peu commun et je ne voulais pas perdre les gens. Le but, ce n’était pas d'être original pour être original, je voulais être efficace, que mes auditeurs comprennent la musique et je me suis dit si j'arrive en espagnol sur le premier album, que personne ne s’y attend et qu’en plus de ça, ils ne comprennent pas ce que je dis, ça n’est pas une bonne stratégie. Quand j'ai sorti "Cuando Baja el Sol", un an avant la sortie de l’album, c'était un peu un test pour savoir si les gens allaient aimer. Ils ont kiffé, mais ce n’était pas non plus une révolution. C'est un morceau que j'aime beaucoup, mais je me suis dit qu’amener l'espagnol dans cet album n’était pas forcément nécessaire. C'est quelque chose que je pourrais faire plus tard parce que je connais la langue et que ça me plaît, mais là, je n’en ai pas ressenti la nécessité.
"J'aime beaucoup écrire pour les autres mais c'est sûr que je prioriserai toujours ma carrière."
Vous avez beaucoup écrit pour d’autres artistes, c’est quelque chose que vous souhaitez perpétuer ?
C'est quelque chose que j'aime faire mais ça me prend beaucoup de temps, j'ai du mal à faire les deux en simultané. Pendant au moins deux ans, j'ai travaillé pour les autres et les deux dernières années je me suis mis à fond sur mon album mais tout est une question de cycle. Je viens de finir mon album et on vient déjà de me proposer un séminaire pour un artiste. J'organise mon emploi du temps comme je le veux mais en tout cas, c'est une chose à laquelle je ne ferme pas la porte. J'aime beaucoup écrire pour les autres mais c'est sûr que je prioriserai toujours ma carrière. Si j'ai le temps qui me le permet, je le fais avec grand plaisir.
Sur votre titre "Chambre 224", vous dites : "Mais tant qu’le match n’est pas perdu, j’suis pas disqualifié", vous décrivez votre parcours vers la guérison, vous êtes sûrement l’un des rares rappeurs qui se livre pleinement, que représente ce morceau pour vous ?
"Chambre 224", c’est le morceau le plus important de ma carrière, c’est celui sur lequel je dis le plus et je dis le mieux. Je ne sais pas si je suis un rappeur qui me montre très vulnérable, justement, j'ai l'impression que sur ce morceau, j'ai plus montré ma force que ma faiblesse. C’est ma force qui a réussi à me sortir de cette chambre-là. Bien évidemment c'est un morceau qui est dur, où je me mets à nu. Le créer n’a pas été un exercice trop compliqué, au contraire, c'est quelque chose que j'ai vécu, donc c'est assez facile pour moi de le raconter. Le plus dur, c'était d'avoir envie de le faire, c’est pour ça que je ne l'ai pas fait sur 100 Diamants et que j'ai attendu ce projet-là. Aujourd'hui était le bon moment pour en parler, parce que je m'en suis sorti. Et si ça peut donner un peu d'espoir aux petits frères et sœurs qui sont eux dans leur Chambre 224, c'est encore plus beau.
Qu’est-ce que vous avez appris sur vous à travers l’épreuve de la maladie ?
J'ai appris beaucoup de choses, j'ai appris à me connaître moi. Souvent notre vision de nous-mêmes est un peu biaisée, je trouve qu'on ne prend pas assez le temps de se poser et de réfléchir. À ce moment-là, j'ai eu beaucoup de temps et j'ai beaucoup appris de moi, de mes faiblesses, de mes qualités. J'ai appris à être plus patient, plus sociable. Je me trouvais presque asocial avant, je n’étais pas trop à l’aise, je ne suis toujours pas à l'aise en public mais disons qu’aujourd’hui, j'ai conscience que la mort existe. Avant de vivre ça, je savais que la mort existait mais je faisais comme si elle n’était pas là. Maintenant, je sais qu'on peut tous mourir demain et sachant cela, je prends d’autres décisions. En ce moment, je suis beaucoup en promo donc très peu chez moi et tout à l’heure j'avais cinq minutes dans le taxi, j’ai décidé d’appeler ma mère, chose que je n’aurais pas forcément fait il y a quelques temps. C'était juste pour lui donner des nouvelles mais c'est important, ce sont des choses qui me réveillent dans le sens où je me dis que la vie n'est jamais acquise.
Quel est votre leitmotiv, une phrase que vous vous répétez souvent qui vous aide à avancer ?
Il y a une phrase que je poste souvent sur mes réseaux sociaux et que j'ai tatouée sur mon bras, et c'est un peu mon mantra : "Travailler dur, ne pas lâcher, être patient, ne pas se comparer, prendre soin de sa santé, faire confiance au destin".
Votre premier projet s’appelle 100 Diamants, et celui-ci, Comment T’aimer Sans Diamants, pensez-vous avoir bouclé la boucle ?
C’était totalement voulu. Ça fait quatre ans que je travaillais sur mon album, et 100 Diamants, on l'a fait en même temps. Il est composé des chutes de l'album Comment T'aimer Sans Diamants. Les deux projets sont liés. 100 diamants, c'est la partie de moi un peu superficielle et Comment T’aimer Sans Diamants, c'est justement comment aimer une personne de la manière la plus pure qui soit, sans tous ces artifices présents dans 100 Diamants. Quand on a créé les deux projets, on savait déjà comment allait s'appeler l'album final donc on a essayé de trouver un titre au premier pour essayer de lier un peu les deux. Maintenant, quand on écoute les deux, ça ajoute de la cohérence.
"Dans la musique, j'essaye d'esquiver les personnes que je pense mal intentionnées."
Dans l’album, vous parlez de vos grands-parents, votre grand-mère raconte son histoire, c’est un témoignage qui touche…
Le but, c'était que tout le monde puisse se reconnaître parce qu'on a tous des grands-parents et c'est vrai que même si ce n’est pas tout le temps la même histoire, il y a quand même des similitudes. Que ce soit dans leur histoire ou dans leur jeunesse, et justement après, on se retrouve tous dans le fait de les perdre un jour. Pourtant, je ne pensais pas que ça allait autant toucher les gens. Pour moi, c'était ma grand-mère qui parlait de sa vie mais je me suis rendu compte que tout le monde a reconnu ses grands-parents en elle. Dans l'album, c'est un peu la voix de toutes nos mamies et tous nos papys et c'est un truc que je n’avais pas anticipé du tout. À la base, c'était un peu égoïstement que je l'ai fait, je voulais montrer aux gens que j’ai la meilleure ma grand-mère du monde. Donc, je lui ai fait un album hommage et finalement je suis hyper content que tout le monde se soit reconnu en elle.
Qu’est-ce que vous esquivez dans votre quotidien ou dans le monde de la musique ?
Dans la musique, j'essaye d'esquiver les personnes que je pense mal intentionnées. Encore plus en ce moment, je me rends compte que quand tu as un projet qui sort et qui fonctionne bien, ton téléphone sonne beaucoup plus qu'avant et surtout les gens te répondent beaucoup plus rapidement. Il y a eu des moments où j'avais besoin de certaines personnes et je n’ai pas eu de réponse. Aujourd’hui, c'est vrai que ces gens-là m'appellent et me répondent plus vite. C'est un peu ce que je dis dans "Chambre 224", c’est d'essayer de faire le tri entre les personnes importantes et moins importantes dans ma vie. À part ça, j'essaye d'esquiver la pluie et j'aimerais bien aller au soleil. [Rires]
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?
Du soleil, déjà pour cet été ! [Rires] J'aimerais beaucoup aller en vacances. Au niveau du travail, une belle tournée, une belle Cigale qui est déjà annoncée et après, sûrement un prochain projet ! Je ne sais pas si ça sera un EP, une mixtape ou peut-être un album mais on va se mettre dessus cet été. C'est reparti, j’ai hâte de retravailler et j'espère que maintenant les gens seront plus attentifs à ce que je fais, et que j'arriverai à convaincre sur le prochain projet pour montrer à tout le monde que ce n’était pas un coup de chance.
Karmen sera à La Cigale le 9 novembre prochain.