INTERVIEW
Publié le
23 novembre 2023
Médecin-psychiatre à l’hôpital parisien Saint-Antoine, enseignant à Sorbonne Université, auteur de Pop & Psy (Éditions Plon, 2019) et co-fondateur du festival éponyme qui se tiendra au Ground Control, à Paris, du 24 au 26 novembre prochain, Jean-Victor Blanc s’engage avec force et conviction. A travers son travail, l’homme de science décode les troubles psychiques à l’aide de films, séries et de célébrités issues de la culture pop (comme Britney Spears, Selena Gomez ou encore Tom Holland) pour faciliter la compréhension et démystifier les maladies comme le trouble bipolaire, la dépression du post-partum ou les addictions.
Pour sa seconde édition, le festival prévoit des tables rondes réunissant experts, acteurs associatifs, personnes concernées et artistes, mais aussi des talks de personnalités Pop & Psy, des ateliers interactifs sur les troubles et les soins existants, des dédicaces, des concerts et des DJ sets. Plusieurs invités présents pourront échanger, rencontrer et penser la santé mentale comme Camille Lellouche, Fatou Diome, Anna Roy, Kim Levin ou encore Martin Page.
Gratuit, à but non-lucratif, et soutenu par la Fondation Falret, le festival Pop & Psy est un événement bénéficie du soutien de la Ville de Paris et du ministère de la santé et de la prévention. Après avoir accueilli 10 000 personnes l’année dernière, le festival souhaite, une nouvelle fois, éduquer à la santé mentale avec une approche scientifique et ludique. Mais, surtout, il veut libérer la parole grâce à des partages d’expériences inspirantes, favoriser l’inclusion des personnes concernées et montrer que le sujet nous concerne bel et bien, tous ! Pour comprendre le cœur et l’esprit de cette démarche S-quive a rencontré Jean-Victor Blanc au cours d’un entretien dans l’air du temps.
Vous intervenez autour d’une table ronde dont le titre est "Boys Don’t Cry" : Les masculinités à l’épreuve de la santé mentale. Pouvez-vous nous en parler ? Pourquoi avoir utilisé le pluriel dans l’intitulé ?
Tout d’abord, parce que la santé mentale des hommes reste un tabou. Pourtant, quand on regarde les statistiques, par exemple, des personnes suicidées, on constate que c’est une majorité d’hommes, de même pour les addictions. Parler de sa santé mentale continue de rester une préoccupation dites "féminine", plutôt associée aux émotions et au fait de prendre soin de soi. Tout cela est considéré par stéréotype comme une faiblesse ; et qui finalement porte préjudice aux hommes. Ceux qui en ont besoin vont alors se tourner vers les substances ou serrer les dents en espérant que ça passe plutôt que d’aller chercher de l’aide ou d’en parler. Cela entraîne des impacts réels et durables sur la santé mentale globale. Ensuite, le pluriel dans la masculinité de notre intitulé, c’est parce qu’aujourd’hui nous interrogeons et tentons de déconstruire les stéréotypes ; notamment sur la (donc les) masculinité(s). Et heureusement nous y parvenons petit à petit.
A l’image de célébrités pop culture comme Timothée Chalamet ou Harry Styles ?
Oui bien sûr ! Il y a aussi Tom Holland par exemple, dans sa vie privée comme celle à l’écran, qui évoque sa santé mentale par rapport à l’addiction et aux troubles obsessionnels compulsifs notamment. Ils incarnent quelque chose de nouveau. Mais, c’est surtout une opportunité pour ouvrir les sujets sur les troubles psychiques chez les hommes, ainsi que tendre à une prise en charge de la santé mentale globale.
"Aujourd’hui, il y a presque plus de réactions lorsque vous ne consommez pas, plutôt que si vous prenez des drogues ou buvez de l’alcool."
Vous évoquez un thème intéressant : celui de la sobriété et de l’abstinence. Cette question concerne, bien entendu, tous les âges de la vie mais j’aimerais nous concentrer sur le public jeune, ici. Comment devient-on le plus cool du lycée sans consommation ? Est-ce que cette place existe aujourd’hui dans notre société ?
C’est une bonne question ! Malheureusement, il va être difficile d’y répondre en tant que psychiatre. Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui, on a des modèles d’identification qui vont apporter un discours intéressant par rapport à l’abstinence. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons choisi des représentants assez jeunes pour animer cette table ronde afin de montrer qu’on peut être "branché", "cool", jeune ou plus vieux sans consommation. C’est une idée assez subversive encore. Mais, nous pouvons voir des changements ! Il y a pas mal de popstars qui en parlent, que ce soit Miley Cyrus, ou Claire Touzard en France. Aujourd’hui, il y a presque plus de réactions lorsque vous ne consommez pas, plutôt que si vous prenez des drogues ou buvez de l’alcool. Je prends l’exemple du rappeur Future, qui avait caché qu’il était devenu abstinent auprès des fans pour ne pas les décevoir. Donc on voit le poids des stéréotypes à ce niveau-là, et finalement pour tout le monde.
Les 18-24 ans sont près de deux fois plus nombreux à avoir été directement concernés par un trouble que les plus de 65 ans (34% contre 18% respectivement). Quelles sont les raisons et conséquences de cette rupture générationnelle ?
Il y a forcément beaucoup de raisons. Je dirais que, d’une part, aujourd’hui, nous parvenons mieux à détecter les troubles psychiques dans la population ; et d’une autre part, la santé mentale devient un marqueur générationnel. Les populations jeunes osent parler, et n’ont pas de crainte à demander de l’aide. La pop-culture est aussi probablement une explication à cet écart. Les films, séries et célébrités sont une raison aux changements et évolutions de la considération que les 18-24 ont de la santé mentale. C’est maintenant une évidence que ce sujet est important et mérite toute l’attention nécessaire pour être heureux. Après, c’est vrai que, pour moi, il va être plus difficile de me prononcer dessus, car le cœur de mon travail au quotidien est composé de patients adultes. Aussi, bien que je constate et observe effectivement des changements, je n’aimerais pas m’avancer à tort sur un thème qui n’est pas mon quotidien professionnel.
Quels peuvent être les moyens pour tendre vers une vie plus stable, plus "ordinaire", pour la jeunesse selon vous ?
Ça va être des choses assez génériques honnêtement ! [Rires] C’est un peu "Old-School" mais ça se concentre surtout sur l’alimentation, le sommeil, une activité physique. Ça paraît rébarbatif, mais on sait que ce sont des choses indispensables à une bonne santé psychique.
"Il y a des icônes, comme Selena Gomez, qui vont apporter un effet bénéfique sur la prise en charge, la verbalisation et l’ancrage de la santé mentale dans l’esprit commun."
Vous évoquez l’addiction notamment avec la série Euphoria. Cette série décriée qui cartonne ne glamourise-t-elle pas les addictions de la jeunesse ?
C’est vrai que cette sensation de rendre attrayante l’addiction est une des critiques principales de la série ! Mais, je trouve que ce qui prédomine est l’empathie pour le personnage de Rue. Je ne trouve pas que ça donne envie d’être à la place de cette adolescente. On prend plutôt conscience des effets négatifs que va avoir l’addiction sur elle et son entourage. Elle perd le contrôle de son addiction, elle perd une partie de sa vie amoureuse, ses liens familiaux deviennent très complexes, ça lui coûte énormément. Donc, je dirais plutôt que la série nous avertit et qu’on retiendra surtout les aspects dangereux et négatifs de l’addiction. Ensuite, c’est vrai que cette série est très inventive esthétiquement, et elle est complètement générationnelle pour cette raison. Mais, elle ne prend pas à la légère le problème, à mon sens ; et je ne pense pas qu’elle incite à quoi que ce soit.
Les réseaux sociaux n’ont pas bonne réputation. Selon vous, peuvent-ils être un support pour une meilleure considération de la santé mentale ?
C’est vrai que j’essaye d’avoir un discours pondéré qui va se baser sur la science. Je pense qu’il ne faut pas diaboliser à outrance les réseaux sociaux. Il y a des effets positifs ! Si on parle autant de santé mentale, aujourd’hui, c’est grâce à ces plateformes. Dans le passé, on avait beaucoup moins de médias pour évoquer ces sujets et les mettre en lumière sans censure. Aujourd’hui, on a des icônes, comme Selena Gomez, qui vont apporter un effet bénéfique sur la prise en charge, la verbalisation et l’ancrage de la santé mentale dans l’esprit commun. Après, il ne faut pas être naïf ! On sait, si on prend l’exemple des troubles alimentaires, que les réseaux sociaux vont accentuer le problème auprès des personnes plus "fragiles". Ces personnes vont surconsommer des contenus avec des physiologies extrêmement minces, et s’ancrer dans un comportement qui va réellement aggraver leur détresse. A un niveau national, il faudra plus de temps, des études et des analyses pour voir l’impact des réseaux sociaux. Donc mon conseil, sera d’avoir finalement (comme souvent) un rapport mesuré à ces plateformes. Bien que, comme toujours, ce terme de "mesurer" est difficile à définir, car cela dépend beaucoup de chacun ! D’autant plus, que moi-même, je donne des messages sur les réseaux sociaux pour essayer justement d’améliorer la qualité des informations sur la santé mentale sur ces médias.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est "l’Angelina Jolie Effect" et son impact social ?
C’est un terme qui a été défini suite à l’annonce de l’actrice Angelina Jolie d’une mutation génétique qui l’exposait à un risque très élevé de cancer du sein et des ovaires. Elle a publié une tribune dans le New York Times pour évoquer le choix qu’elle avait fait d’accepter une mastectomie complète. Suite à cela, on a constaté aux Etats-Unis une augmentation de l’acceptation de ce traitement, mais aussi du dépistage. Donc, "l’Angelina Jolie Effect" désigne l’effet de porter une attention inédite sur un sujet lorsqu’une célébrité très suivie va l’aborder. Cela peut conduire à des changements sur la manière de soigner (et de se soigner, et même, à l’amélioration de certains outils de dépistages et de traitements. Aujourd’hui, c’est quelque chose qu’on essaye de reproduire dans la santé mentale.
"La santé mentale, ça concerne tout le monde !"
C’est un effet sur le moment ?
Effectivement, comme tout effet, il faut le répliquer pour un effet sur le long terme. Cependant, cet effet a montré une permanence 3 ou 4 années après sa première impulsion. Donc ça n’est pas non plus un effet dans les quelques jours, ça va durer un minimum dans le temps.
C’est quoi la santé mentale et la pop culture pour vous ? Pop-culture et santé mentale : c’est un combo parfait ?
Vaste question pour finir ! [Rires] Ce qui me semble important de dire, avant tout, c’est que la santé mentale ça concerne tout le monde ! Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, c’est un état qui fait qu’on est complètement libre de ce qu’on veut faire dans le registre social, professionnel, émotionnel et physique. C’est une définition extrêmement ambitieuse qui va inclure la santé mentale avec ce qu’on nomme "les troubles psychiques" (dans lesquels on va retrouver des maladies comme la dépression, la schizophrénie, les addictions ou la bipolarité). On a, là, une définition assez générale de la santé mentale ! La pop-culture ensuite, c’est d’utiliser des références accessibles à tous. C’est aussi de trouver des supports qui grattent (qui vont être un peu subversifs), avec ce côté accessible pour s’adresser à tous. Par exemple, parler de Britney Spears peut prêter à la rigolade ; pourtant, pendant longtemps, ça a été la personne la plus célèbre au monde qui a été sous tutelle et qui a réussi à reprendre le contrôle sur sa vie. On va donc pouvoir y trouver un terrain de travail idéal. La série Euphoria est très populaire comme nous l’avons dit. A travers cette série on va pouvoir aborder la nouvelle génération, la trans-identité, les réseaux sociaux, la monétisation de la sexualité. La pop-culture, c’est prendre un sujet "joyeux", plus ludique et populaire, pour aborder des sujets très sérieux comme la santé mentale et tout le reste.
Vous évoquez beaucoup le cinéma et la musique, et les jeux vidéo ?
Je sais qu’il y en a, oui ! J’ai beaucoup de patients qui m’en parlaient et c’est très intéressant. Mais là, comme ça, je n’ai aucune référence. Ce qui est certain, c’est qu’on est dans une ère où la pop-culture permet de prendre plein de chemins de traverse et le jeu vidéo en fait partie !
Qu’espérez-vous de cette seconde édition ?
J’espère le même succès que l’année dernière déjà ! Beaucoup de belles rencontres, une bouffée d’espoir pour les personnes concernées qui vont venir. Pour tous, un temps d’informations très fort et de rencontres. Et puis j’espère que le show de Nâdiya sera à la hauteur de mes attentes ! [Rires]
Le Festival Pop & Psy, au Ground Zero, à Paris du 24 au 26 novembre prochain.
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