RIVE GAUCHE

Festival "Les Imaginales" : A la rencontre des mondes imaginaires

Publié le

3 juin 2023

Les littératures de l’imaginaire sont un genre très "visuel". Preuve en est avec les nombreuses adaptations de livres en films et séries, ainsi que les œuvres cinématographiques originales qui exploitent cette veine. Il était donc naturel d’en faire un festival là où l’image est reine : à Épinal, dans les Vosges. Rendez-vous aux Imaginales.

Dans la Bulle BD ©Joffrey Lebourg

Lancé en 2002, le festival Les Imaginales célébrait sa vingt-deuxième édition fin mai dernier. Contrairement à la plupart des manifestations dédiées à l’imaginaire, c’était historiquement un salon du livre. Encore aujourd’hui, même si l’évènement s’est ouvert aux costumiers, illustrations, vendeurs de nourriture et boissons médiévales ou aux animations, on retrouve une majorité d’auteurs, qui ne représentent qu’un quart à un tiers des stands sur les autres foires de ce type (Cidre & Dragon, le Salon fantastique…).

Plus de deux cents exposants répondaient encore une fois à l’appel et, après avoir dépassé les 45 000 visiteurs l’an dernier, la mairie d’Épinal espère battre un nouveau record. Parmi les têtes d’affiche, nous pouvons citer Pierre Grimbert (Ji), Cassandra O’Donnell (Rebecca Kean), Pierre Bordage (Les Guerriers du silence), Fabien Cerruti (Le Bâtard de Kosigan), Christelle Dabos (La Passe-miroir), le bédéiste et ancien journaliste Éric Giacometti, Jean-Philippe Jaworski (Gagner la guerre), Henri Lœvenbruck (La Moïra) ou Bernard Werber (Les Fourmis).

Salle de conférence Magic Salon perdu ©Joffrey Lebourg

Besoin d’aide pour vous retrouver dans tous les genres imaginaires ? Consultez la fameuse "parabole du chat" de Denis Guiot. Dans la réalité (littérature générale, ou romance, ou policier, ou autre genre non imaginaire), un chat se frottera contre votre jambe pour réclamer à manger. Dans l’imaginaire, il va se mettre à parler. Si c’est normal, accepté sans fournir d’explication, vous êtes en fantasy. Si l’humain est surpris, dérangé par ce fait, vous êtes en fantastique (ou en horreur, si l’on commence à envisager une possession satanique). Si le protagoniste cherche des justifications, comme quoi son animal aurait été remplacé par un robot ou un alien, vous êtes en science-fiction !

Un évènement à thème

Après les "Afro-Futurismes" en 2022, réappropriation de l’héritage africain en modifiant le plus souvent l’histoire à l’aide de magie ou d’éléments SF (par exemple : "les pyramides sont le fruit d’extraterrestres"), la nouvelle thématique s’intitule : "L’Avenir de la Cité". Encore une notion utilisée majoritairement en science-fiction, qui affectionne beaucoup les cités-États dystopiques, ces sociétés déviantes où le bonheur est impossible à cause d’un gouvernement autoritaire et qui ont connu un vif succès durant la dernière décennie (Hunger Games, Divergente). Mais c’est aussi un arrêt sur image, dans le temps présent, de notre rapport à la métropole et à la ruralité d’une part ou à l’altérité et le vivre-ensemble, d’autre part.

Certains auteurs imagineront des villes tentaculaires aux immeubles étouffants. D’autres verront, dans les cités de demain, des matériaux écoresponsables et l’inclusion de la nature. Les plans d’urbanisme les plus burlesques peuvent être conçus. Plus largement, ce thème interroge la condition humaine, avec les réussites et les écueils de la vie en communauté par-delà les différences. C’est un rapport au monde, à nos valeurs, à notre fameux "Liberté, égalité, fraternité" que de penser l’avenir de la Cité.

Début d'une conférence au salon Magic Deluxe ©Joffrey Lebourg

Les Imaginales sont toujours l’occasion de nombreuses conférences, rencontres et tables rondes dans les trois salles "Magic Mirror" (des constructions à l’ancienne en bois, importées de Hollande). Une partie s’articule sur le thème de l’année, à savoir pour la présente édition : "La dystopie, seule réponse au futur ?" ,  "La Pop Culture, reflet d’une société psychotique ?" , "La ville dans les jeux vidéo" , "L’effondrement" , "L’utopie réalisée ou réalisable" ou encore "La science-fiction en contre-pouvoir. Écrire, un acte politique ?"

En parallèle, quelques conférences remarquables faisaient l’éloge du folklore local ("es légendes de gnomes et lutins en Alsace"), de la réalité ou non dans les fictions historiques ("L’utopie face à l’histoire, se réinventer à quel prix ?" ou "Moyen-Âge et fantasy"), des êtres fabuleux ("Les vampires, les fées et autres créatures") ou questionnaient les inégalités persistantes entre les sexes ("Autrices, le chemin de croix"). Des rassemblements magnifiés par le truchement d’universitaires qui apportent du recul sur le sujet, telle la professeure Anne Besson qui fut la première à proposer du fantastique dans son cursus de lettres modernes.

Bodypainting samedi Tableau caméléon ©Joffrey Lebourg

À noter enfin la remise de plusieurs prix. Les traditionnelles récompenses "amateur" : écoliers, collégiens, lycéens et bibliothécaires. Mais également celles d’un prestigieux jury, qui compte aussi bien des journalistes (Lloyd Chéry chez Le Point, Victor Battaggion pour Historia ou Frédérique Roussel à Libération) que des chercheurs (cette année, Natacha Vas-Deyre de l’Université Bordeaux-Montaigne). Ils décernent le Grand Prix de l’Imaginaire dans la catégorie roman francophone (la plus cotée), roman étranger, nouvelle, illustration, jeunesse et album. Malheureusement, l’imaginaire étant sous-considéré dans le marché éditorial français, même cette récompense ne suffit pas aux auteurs pour recevoir davantage de reconnaissance médiatique.

Au-delà du livre

Depuis que la mairie a ouvert la manifestation aux exposants non-auteurs, c’est une kyrielle de phénomènes qui égayent les allées du Parc du Cours, bordé par la Moselle. Parmi les animations les plus plébiscitées : des stages de combat à l’épée ou un tournoi de Quidditch (le sport fictif d’Harry Potter). Les plus petits peuvent y retrouver des aventures de pirates ou encore des contes du patrimoine vosgien (comme le monstrueux graouli) ainsi que des jeux en bois, en nombre plus important que les années précédentes.

Bodypainting samedi Tableau forêt fées ©Joffrey Lebourg

Le festival fait la part belle aux reconstitutions historiques : troupes napoléoniennes car il y a eu plusieurs batailles dans les Vosges ; compagnie médiévale pour être dans le ton de l’évènement, et équipage de Vikings… sans raison diachronique, mais ils sont très "à la mode". Enfin, les Imaginales accueillent le plus grand rassemblement français de bodypainting, qui est aussi l’un des principaux à l’échelle européenne. Trente modèles, autant de peintres et de photographes, pour transformer le corps en œuvre d’art. Le samedi, les mannequins sont "intégrés" à une image de fond, de véritables caméléons biaisant les codes de la perspective. Le dimanche soir, ils défilent tandis que le public vote pour son favori.

L’imaginaire dans toute la ville

Autour du festival, plusieurs sites d’Épinal accueillent des évènements parallèles. Le Village de l’histoire (construction éphémère) présente le savoir-faire des Gaulois, des Germains, des Vikings et des artisans médiévaux. Diverses expositions sur des artistes contemporains dans les musées. La Fête des Images, qui réunit des projections de courts-métrages, un concert philharmonique, des illuminations dans les rues ou sur les façades des bâtiments publics, plusieurs projets de mapping ou un "plantarium" dans la basilique. Dans le parc, même si les stands ferment à 19h, les animations continuent jusqu’à minuit (notamment une initiation au jeu de rôle ou une murder party). Enfin, nouveauté 2023 : le Pôle Immersif entre Images et Imaginaires, faisant le lien entre les images populaires et les médias numériques.

Combats à l'épée ©Joffrey Lebourg
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