INTERVIEW

Entretien avec Aime Simone : "Je me suis presque construit dans l'opposition au fantasme qu’on essaie de me coller à la peau."

Publié le

12 mai 2022

Œuvre cathartique et lumineuse, l’album intitulé Say Yes, Say No, qui traduit avec poésie et pureté le parcours créatif et personnel de l’artiste Aime Simone, sort en version physique en juin prochain. Lauréat du Prix Chorus 2021 — qui avait récompensé Christine and The Queens, pour ne citer qu’eux — l’auteur-compositeur et interprète déploie toute son énergie et ses bagages artistiques dans son processus de création à travers une imagerie épurée et minimale.

Aime Simone

Vous sortez votre premier album intitulé Say Yes, Say No en version physique en juin prochain. C’est une façon de sceller véritablement l’histoire de vos musiques ?

C'est surtout une demande du public. Je peux comprendre que les gens aiment avoir ce rapport physique à la musique. Avoir un premier album reste quelque chose de très précieux. Cela permet de garder un côté assez unique et iconique. Je pense que les gens aimeront avoir cet objet dans la durée, plus tard en le regardant, ils se diront : c’était le vinyle d’Aime à ses débuts. Je pense que pour cette raison-là, c'est super. Personnellement, c’est vrai que j'aime davantage le streaming.

Sa couverture noire laisse entrevoir quelques paroles comme : "A space to be myself/ Here I breathe". Cet album vous a permis de vous échapper ou de vous retrouver ?

Je dirais qu’il raconte tout le processus justement pour me retrouver. Il y a eu une petite phase de perdition, de recherche et d'expérimentation. Je pense que cet album m’a sûrement aidé à me retrouver d'un point de vue humain, physique, personnel et de manière artistique aussi. Ces paroles sont issues d’un poème que j'ai écrit. En entier, c’est : "A space to be myself ; In this freedom I found; My fearless truth, I am; Deeply loved and; Here I breathe; Touched by the sound”. Initialement il parlait de Berlin mais aussi de liberté. Ensuite, je me suis rendu compte que c’était aussi une métaphore pour la musique et cet album. Je trouvais que c'était vraiment ça : un espace pour être soi-même.

C’est une vraie respiration…

Oui c’est ça, une forme de catharsis.

"Je me suis presque construit dans l'opposition au fantasme qu’on essaie de me coller à la peau."

Peut-on dire que vous oscillez entre soul, indie rock et post-punk ?

C'est plus large que ça. Je pense que les gens identifient tous des choses car ils écoutent du rock, de l'indie ou de la trap, etc. Je pense fondamentalement que ma musique est populaire, mais au premier sens du terme. C’est-à-dire dans le côté accessible, simple, facile à aborder et "catchy", avec une forme presque poétique. C'est faire beaucoup avec peu de choses, peu d'éléments qui sont vite compris à la fois par des gens, qui peuvent avoir mon âge ou des gens plus âgés, ou même des enfants de trois ans comme ma fille. Ils comprennent ce style de musique et peuvent retenir les paroles. Ce sont des musiques qui viennent du monde entier. Il peut y avoir des fonds de trap, des rythmes de reggaeton de Porto Rico, de la techno de Berlin...

L’imagerie en noir et blanc du clip "In This Dark Time" est très épurée. Vous êtes torse nu demandant à votre amour de "prendre votre peine" sous une mélodie aussi mélancolique que remplie d’espoir. C’est une volonté de mise à nu à tous les niveaux ?

C’est une volonté d'honnêteté et de transparence. Il ne s’agit pas d’une mise à nu exhibitionniste bien sûr mais d’une mise à nu de l’âme. C’est la recherche d'une pureté, de quelque chose de minimal, sans artifice, d’une honnêteté, d’une sincérité, d’une transparence, d’une vérité tout simplement.

Plus de 3 millions de streams avec ce titre d’ailleurs. Vous pensez que c’est celui qui vous représente le plus avec "Shining Light" ?

Oui, c'est une bonne représentation. Après, nous sommes des êtres humains. Nous évoluons chaque année, nous vieillissons d’un point de vue intellectuel, physique ou spirituel. C'est à l'image d'une certaine phase de ma vie et de ma personne. Je pense qu'aujourd'hui je suis ailleurs, je suis au-delà de ça, mais ça reste une étape de mon parcours à laquelle je suis attaché.

Aime Simone

Le documentaire sur votre histoire était également un projet exutoire ?

C'était l'idée. Je crois que ma musique touche particulièrement un certain public, qui passe ou qui est passé par des choses assez difficiles. Je dis ça par rapport aux messages que je reçois sur Instagram, aux commentaires sur YouTube ou à des gens qui, vraiment, prennent le temps de m'écrire. Souvent, je reçois de longues lettres de mon public, qui me disent que ma musique les aide ou les a aidées à passer des épreuves difficiles comme un divorce, l’anorexie ou la dépression. La musique m’a toujours aidée à trouver ma voie. C'était un peu la lumière dans un contexte assez sombre, assez difficile. Quand j'ai vu que les gens réagissaient à mes musiques de cette manière, je me suis dit que je voulais aller plus loin. J’ai souhaité leur montrer que, pour moi aussi, la musique a façonné mon évolution dans un contexte difficile assez similaire. J’ai surmonté mes démons et la musique est devenue à la fois ma force et ma destination. C'est surtout pour ces fans-là que j'ai fait ce documentaire. C'était encore une fois une forme de défense, de transparence et de vérité. Aujourd'hui, tout le monde essaie de montrer un mode de vie parfait sur les réseaux sociaux. Ce n'est pas ça mon idée. Je me suis dit que j’allais peut-être me tirer une balle dans le pied, mais je voulais faire un album entier et vraiment parler de mon expérience. Je me suis dirigé vers quelque chose de vulnérable, et en même temps j’ai trouvé une vraie force à en parler. J’ai souhaité leur raconter vraiment ce qui s'est passé chez moi et dans ma vie. Et c'est parce que je sais ce que je recherche dans ma connexion avec mon public : de l’honnêteté. Je ne veux pas d'artifices de façade. Je ne veux pas autre chose que de la sincérité car je pense que l’inverse participe beaucoup à la misère humaine.

"Berlin est un endroit qui donne vraiment une forme de liberté aux gens qui ont besoin de se trouver."

Contrairement aux médias étrangers, la presse française soulève souvent un côté "poète torturé" ou "personnage romantique". Votre musique insuffle pourtant une démarche plutôt résiliente et finalement lumineuse…

Pendant longtemps, j’ai l’impression que certains ont eu besoin de créer un fantasme autour de moi en parlant de "personnage romantique" ou d'"artiste maudit". La presse anglaise ou allemande parle plus du processus créatif et de la musique. En France, jamais. Ils se focalisent sur le côté sombre et fragile.  Moi, je souhaite vraiment que les gens se concentrent sur l'aspect lumineux et sur la force de ma musique. Je me suis presque construit dans l'opposition au fantasme qu’on essaie de me coller à la peau. J’ai eu une phase particulièrement difficile et je pense que tout le monde en a aussi. La musique a toujours été un moyen d'apporter une forme de lumière, d’espoir et d’ode à l’humanité. Plusieurs expériences ont été difficiles comme le mannequinat, où je me suis empêtré et où il a été difficile d’en échapper. C’est grâce à l’amour et à la musique que j’ai pu m’en détacher. Les gens, constamment, me ramènent à ce passé, fait de douleur, et n’arrivent pas à voir que je suis passé de l’autre côté, que je m‘en suis sorti. J’ai des cicatrices mais elles devraient être une gloire et non représenter des petits mouchoirs que l’on ressort trop souvent.

Vous avez quitté Paris pour Los Angeles, et vous vivez aujourd’hui à Berlin. Cette capitale inspire votre travail ?

J’ai encore bougé ! J'étais à Paris et je suis parti pour des raisons de travail et par amour, à Los Angeles. Après, je suis allé à Berlin et je suis revenu à Paris. Berlin m’a permis d’être plus libre, d’avoir des expériences à la fois musicales et personnelles. C’est un endroit qui donne vraiment une forme de liberté aux gens qui ont besoin de se trouver. Il y a une vraie tolérance, même une bienveillance vis-à-vis des gens qui se lancent. Je trouve que dans des villes comme Paris, c'est plus difficile pour les gens d’avoir la possibilité de vivre leurs propres expériences, ça pardonne moins. J’ai pu écouter différents types de musique, d’aller dans des clubs, de rencontrer des communautés inclusives qui n'étaient pas autant élitistes. Ce sont des choses qui m'ont nourries. Je pense que c'est une sorte de travail artistique et c'est comme ça que j'ai pu faire mûrir quelque chose et évoluer dans ma musique. Maintenant, cette ville est devenue une référence.

Aime Simone

Elle inspire aussi votre style vestimentaire…

Je pense que mes inspirations majeures viennent des voyages et des rencontres. J'aime beaucoup le style vestimentaire de Berlin. Après, c’est une ville où les looks sont très éclectiques. Berlin est un peu plus sombre que les autres villes où je suis allé. Ce que j’ai pris de cette ville, c’est l'idée de s’habiller pour pouvoir tout faire et aller danser en club, d’être libre dans des vêtements amples, par exemple. C’est comme cela que j’aime être sur scène. D’autres villes dans lesquelles j'ai habité aussi m’ont inspirée. A Vienne, il existe une forme de sous-culture. Une sorte de normcore mais avec beaucoup d’humour. Los Angeles a un côté un peu plus fun dans l’approche des bijoux, des coupes un peu plus oversize.

"Quand on instaure trop de règles dans un processus créatif, on tombe dans une forme de dépression créative. C’est important de renouveler tout cela."

Comment composez-vous ?

90 % du temps, ça part d'une improvisation à la guitare, qui ensuite se transforme en musique avec mon ordinateur. Je découpe mon improvisation et je l’organise. J’écris les paroles et j’attaque la production directement. Après j’enregistre les voix. J’ai un processus assez calé et en même temps, parfois, tout vient d’une parole ou d’une instru que je fais directement depuis l’ordinateur. Je pense qu’il ne faut pas trop se fixer de règles, car plus on en a, plus l’inspiration n’est pas au top. Quand on instaure trop de règles dans un processus créatif, on tombe dans une forme de dépression créative. C’est important de renouveler tout cela.

Vous préparez vos concerts prochains en France. Que réservez-vous à votre public ?

Beaucoup d'énergie et beaucoup d’amour avec des morceaux, qui, pour moi sont plutôt pas mal en live. Je pense que sera un beau moment à partager ensemble, quelque chose de différent. J'espère inciter les gens à se libérer, à ressentir de l'amour en eux et à ressortir du concert très satisfait. J'essaie de faire en sorte que les concerts soient de bons moments avec un ressenti assez rare.

Aime Simone donnera un concert au Point Éphémère (Paris X) le 22 juin prochain. Egalement aux Papillons de Nuit à Saint-Laurent-de-Cuves le 3 juin, à la Magnifique Society à Reims le 25 juin et à Beauregards, Hérouville St-Clair le 8 juillet.

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