ARTS
La Galerie Borghèse accueille, jusqu'au 14 septembre prochain, une exposition exceptionnelle qui redéfinit les codes du musée historique. Pour la première fois au sein de la résidence du cardinal Scipione, l'artiste kényan-américaine Wangechi Mutu présente "Black Soil Poems", une intervention audacieuse organisée par Cloé Perrone qui dialogue avec l'héritage artistique de l'institution.
Le titre de l'exposition révèle toute la subtilité de l'approche de Wangechi Mutu. La "terre noire", métaphore centrale de son travail, évoque cette matière riche et malléable qui se transforme sous la pluie, presque comme de l'argile. Cette image résonne particulièrement dans les Jardins secrets de la Galerie Borghèse, où les sculptures semblent littéralement émerger du sol, modelées par une force primordiale qui donne forme aux histoires, mythes et souvenirs. L'artiste propose un nouveau vocabulaire dans l'architecture symbolique du musée, transformant l'espace en organisme vivant plutôt qu'en simple contenant d'objets. Ses œuvres questionnent l'autorité de la collection historique par des stratégies de suspension, de fluidité et de fragmentation, créant un dialogue complexe entre tradition et contemporanéité.
À l'intérieur du musée, Mutu révolutionne l'orientation spatiale sans jamais occulter la collection Borghèse. Ses sculptures apparaissent comme des présences éthérées qui flottent dans l'air ou reposent délicatement sur les surfaces. Des œuvres comme "Ndege", "Suspended Playtime", "First Weeping Head" et "Second Weeping Head" défient la logique gravitationnelle, suspendues aux plafonds et redessinant le champ visuel du musée. Cette suspension n'est pas qu'un choix esthétique : elle introduit un véritable déplacement des récits historiques et des hiérarchies matérielles, ouvrant de nouvelles perspectives et modes de perception.
Les matériaux choisis par l'artiste - bronze, bois, plumes, terre, papier, eau et cire - incarnent l'esprit de l'exposition. Le bronze, dépouillé de ses connotations traditionnelles, devient réceptacle de mémoire ancestrale et de guérison. En insérant ces substances organiques et changeantes dans un contexte dominé par le marbre et les surfaces dorées, Mutu réaffirme une poétique de la transformation qui anticipe le thème de la métamorphose, au cœur du programme 2026 du musée.
L'intervention s'étend au-delà des murs du musée. Sur la façade et dans les Jardins secrets, une série de sculptures en bronze peuple le paysage. "The Seated I" et "The Seated IV", deux cariatides contemporaines créées initialement pour le Metropolitan Museum of Art en 2019, marquent un moment d'engagement significatif entre l'artiste et les institutions publiques majeures. Les bronzes "Nyoka", "Heads in a Basket", "Musa" et "Water Woman" réinterprètent les récipients archétypaux comme lieux de transformation. Ces formes hybrides, mi-humaines mi-mythologiques, puisent dans les traditions d'Afrique de l'Est et les cosmologies mondiales, offrant un contrepoids à l'ordre classique du site.
Le son joue un rôle subtil mais omniprésent dans l'exposition. Du rythme suspendu de "Poems by my great Grandmother I" aux paroles de "Grains of War" inspirées de la chanson "WAR" de Bob Marley - qui fait référence à Haile Selassie et à son discours de 1963 aux Nations Unies contre l'injustice raciale - le langage devient sculptural et le son, forme de mémoire.
L'exposition se prolonge à l'Académie américaine de Rome avec "Shavasana I", figure en bronze allongée et recouverte d'une natte de paille tressée. Son nom, tiré de la posture de yoga "shavasana" (posture du cadavre), et son emplacement dans l'atrium entouré d'inscriptions funéraires romaines antiques amplifient les thèmes de la mort, de l'abandon et de la dignité de la vie.
Cette exposition s'inscrit dans la continuité de l'engagement de la Galerie Borghèse en faveur de l'art contemporain, après les récentes expositions de Giuseppe Penone (2023) et Louise Bourgeois (2024). "Black Soil Poems" favorise une nouvelle perception de l'espace muséal, enrichie de connexions inédites à travers le regard d'une artiste internationale majeure.
Rendue possible grâce au soutien de FENDI, sponsor officiel, cette exposition invite à transcender les perspectives fixes et à révéler le musée non seulement comme espace de mémoire, mais aussi comme lieu d'imagination et de transformation perpétuelle.
"Black Soil Poems", Wangechi Mutu, à La Galerie Borghèse jusqu'au 14 septembre prochain.