INTERVIEW

Rencontre avec Lous and The Yakuza : "‘Monsters’, c’est tous les traumas avec lesquels je cohabite en paix."

Publié le

8 juin 2022

Nymphe gracieuse au tempérament de feu, l’auteur-compositrice-interprète belge aux origines rwandaise et congolaise Lous and The Yakuza a enflammé la scène du festival We Love Green le week-end dernier. Face à un public impatient de découvrir la prestation de la passionnée de l’univers Miyazaki et du Studio Ghibli, l’artiste a pris plaisir à partager les titres de son premier album Gore (2020). Son dernier clip "Monsters" à peine sorti, le visage de la dernière campagne Louis Vuitton, photographiée par l’illustre Steven Meisel, se confie sur son processus créatif et ces derniers mois, riches de projets artistiques.

Lous and The Yakuza ©Charlotte Wales

Vous avez performé aujourd’hui sur la scène de We Love Green avec un public hyper réactif. Qu’avez-vous ressenti ? Vous avez dit que vous aviez très peur de monter sur scène…

Honnêtement, je voulais annuler le concert parce que je suis très malade et j’avais peur de faire un show pourri pour We Love Green. Je ne sais pas quelle force est arrivée du ciel… Quand j’ai fait la première chanson, je me suis dit : "C’est dingue !" parce que juste avant de monter sur scène, je n’arrivais pas à aligner trois notes. J’avais l’impression d’être portée par une force céleste et j’étais super contente. Pour moi, c’était très spirituel aujourd’hui [Rires]. Le public était là non-stop et souriant. C’est génial lorsque les gens sont bienveillants comme ça. Il y avait beaucoup de mes fans et pas que des festivaliers qui me découvraient. Je sentais vraiment qu’ils me disaient : "Tu peux le faire !", parce qu’ils savent que c’est ma première tournée. C’est un peu comme une famille qui me soutient.

Vous chantez avec une gestuelle très incisive, vous parlez à votre public, vous leur faites signe, on a même cette impression que vous les regarder dans les yeux. Ce lien de proximité est important pour vous ?

Oui bien sûr, c’est ça chanter devant des gens. Je trouve ça bizarre lorsque les artistes chantent et partent sans regarder personne ou savoir qui était là. Les gens prennent de leur temps, ils sont là une demi-heure avant que j’arrive. Mes équipes m’envoient des photos en me disant : "Il y a déjà des gens !".  Je suis toujours heureuse de ça ! Depuis que je monte sur scène, j’ai développé cela, je fais des coucou, je leur parle, je dis "Bonjour". Je regarde mon public dans les yeux et il est beau. C’est un plaisir.

"‘Monsters’, c’est tous les traumas avec lesquels je cohabite en paix."

L’imagerie de vos clips est très léchée. Quel est votre processus créatif avec vos équipes ?

J’ai un processus créatif hyper clair, voire draconien. Je ne travaille qu’avec des gens exigeants. Je suis très sensible à la personnalité de chacun. Il y a des personnalités qu’il faut ménager. J’ai beaucoup d’empathie, chacun est différent, on ne peut pas être linéaire toute la journée. Et on pleure beaucoup dans cette équipe [Rires]. On fait un travail tellement émouvant, que ce soit du manager à l’ingénieur, ou l’attaché de presse… Ici, il y a la moitié de mon équipe de promo, de mon équipe marketing, le boss de mon label… Ils me soutiennent non-stop. Les gens sont très attachés à moi, et moi à eux. On ne peut pas rester de marbre, c’est impossible. On passe nos vies à expliquer nos émotions. C’est quelque chose que je découvre de plus en plus, surtout avec la tournée où les émotions sont démultipliées. Si vous m’aviez vu juste avant de monter sur scène, je disais : "Pourquoi je suis là ? Non, non, pitié sortez-moi d’ici !" [Rires]. Et à partir du moment où je vois le public, une connexion se crée et devient une relation. Je ne suis pas encore habituée.

Lorsque vous avez des idées créatives, vous vous y tenez ou vous pouvez vous laisser influencer ?

Jamais ! [Rires]. C’est cela qui fait la personnalité d’un artiste, c’est le fait que ce soit tes idées et pas celles de quelqu’un d’autre. L’équipe aide à construire les idées mais l’intention doit venir de soi. On vient de sortir "Monsters", beaucoup de réalisateurs m’avaient envoyé des pitch. Je disais "non" car je souhaitais des inspirations de Hayao Miyazaki. Mon clip doit ressembler à n’importe quel film du Studio Ghibli. J’étais très précise. J’ai recontacté Bronski, avec qui j’ai fait le Tonight Show de Jimmy Fallon et les Victoires de la musique. Quand je performe, je donne toute mon âme pour ce soit bien filmé. C’est très difficile d’avoir la main sur la réalisation des TV show. A chaque fois, on a une équipe qui pousse. Quand on arrive dans les backstage de télé et qu’on dit : "On a notre réal', ils ne comprennent pas !" [Rires]. On tient jusqu’au bout notre passion et finalement, il faut collaborer avec des personnes qui comprennent ton intention. J’ai fait tous mes clips avec Wendy Morgan, toutes mes performances avec Bronski. "Monsters", c’est un clip mais aussi une performance.

Vous avez parlé de votre parcours, avec une période de vie difficile dans la rue et aujourd’hui le succès sur scène. Ce sont les entraves rencontrées durant cette période et les séquelles qu’elles vous ont laissées que vous racontez dans votre titre "Monsters" dont le clip est sorti dernièrement ?

Absolument, "Monsters", c’est tous les traumas avec lesquels je cohabite en paix. "Ils ont tous les clés de mon appartement/ Quand j’entre, ils me suivent calmement" et la phrase la plus importante, c’est : "Si y en a un qui n’aime pas la ville ou la vie, on change de département". C’est ma vie. Si quelque chose ne me rend pas bien, ou que quelqu’un me dit quelque chose et que ça me met en colère, les démons viennent car tu as envie d’avoir une réaction extrême. Si quelque chose dans mon cœur ne sent pas ce qui se passe, je pars. Je me suis rendu compte de plus en plus du pouvoir de partir. Nous ne sommes pas obligés de subir. La vie d’artiste, c’est souvent subir. On passe notre vie à parler à des gens qu’on ne connaît pas et qui ne sont pas toujours bienveillants avec nous. On fait beaucoup d’interviews où on veut nous descendre.

"Nicolas Ghesquière a cru en moi, c’est extraordinaire. Je n’étais personne quand il m’a trouvée."

D’ailleurs, le clip commence par cette phrase : “Not All Monsters Are Bad”. Vous voulez dire qu’ils vous ont construit aussi ?

Oui à fond. Tous les monstres ne sont pas mauvais parce qu’ils vivent avec nous et peuvent nous protéger. C’est pour cela que je dis : "Si j'rigole, ils rigolent, à mon sens et on chante, et on chante, et on chante/ Si je m'énerve, ils s'énervent, même quand je recule ils vont de l'avant". Typiquement, la situation de quelqu’un qui t’insulte, ce n’est pas vraiment ton "toi" qui répond, ce sont tes blessures du passé, qui t’ont fait du mal. Si ton ex t’a brisé le cœur, tu feras moins confiance à la prochaine personne. Quand tu feras des crises de jalousie, comme j’ai vu en faire beaucoup de mes amies, ce sont les traumas de la vie d’avant qui se réveillent même pour les personnes les plus douces. Les traumatismes peuvent aussi nous protéger.

Vous avez ouvert le dernier défilé croisière de la maison Louis Vuitton, dont vous êtes l’égérie, à San Diego en mai dernier. Comment vous qualifiez votre relation avec ce label prestigieux et son directeur artistique Nicolas Ghesquière ?

Nicolas Ghesquière, c’est comme un meilleur ami alors que l’on se dit que cet homme a conquis tellement de choses. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi illustre avoir autant les pieds sur terre. Il n’est pas dans les apparences, il veut toujours que je me sente bien, que je passe un bon moment. J’ai tellement de chance de travailler avec lui, c’est quelqu’un avec une personnalité extraordinaire. Son entourage l’est aussi, il est extrêmement bienveillant avec lui et toutes les personnes qu’il aime. Je l’ai aimé, il m’a aimée et ça a développé de l’amour dans son équipe. Pareil, dans la mienne. Mes amis aiment Louis Vuitton car ils ont compris la relation que l’on a. Avoir une égérie noire, c’est déjà fort pour la culture. J’en ai parlé avec Nicolas et je lui ai dit : "C’est incroyable ce que tu fais pour les jeunes filles". Il ne comprenait pas ce que je voulais dire. Je lui ai dit que c’était fou de faire une campagne avec lui, avec un processus créatif dingue, shootée par Steven Meisel. Je fais tout pour la culture, je veux l’impacter. Et ça me fait tomber par terre après une campagne quand j’ouvre mes messages et que je vois tous les messages de femmes noires qui me disent que ça change leur vie. Elles marchent dans la rue en voyant ma tête et ça leur fait du bien. Je ne me rendais pas compte de l’impact que ça pouvait avoir sur les gens et sur la vraie culture. C’est ma plus grande fierté. J’évite d’utiliser le mot "fière" car il y a peu de choses dont je suis fière mais là ça me met dans tous mes états. Nicolas a cru en moi, c’est extraordinaire. Je n’étais personne quand il m’a trouvée. Il m’a vue dans l’émission "Quotidien", il m’a aimée, m’a contactée puis j’ai rejoint la famille un an après. Il ne se rend pas compte de la force qu’il m’a donnée, il m’a aimée en tant qu’individu et pas pour ce que je pouvais représenter. Il m’aimait moi et c’est la plus belle forme d’amour que tu puisses recevoir, c’est qu’on t’aime pour ce que tu es. Je pourrais en parler pendant deux heures.

Vous réalisez aujourd’hui une carrière internationale. Quelles collaborations vous font rêver ?

James Blake, The Strokes aussi… Si je peux m’incruster même dans les chœurs d'un son de The Strokes, j’ai réussi ma vie ! Je crois que je peux arrêter ma carrière après ça. J’adore le rock alternatif, j’adore la culture anglo-saxonne. La musique est magnifique parce qu’ils ont une simplicité dans la façon de jouer les accords. Il y a tellement d’artistes que j’aime. J’ai déjà réalisé beaucoup de ces rêves. J’ai fait les chœurs dans l’album de FKA Twigs sur une chanson qui s’appelle "oh my love". J’en ai réalisé d’autres mais je ne peux pas dire tout ce qui va se passer… [Rires].

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