PHOTOGRAPHIE

"Eveningside" : L'Amérique crépusculaire de Gregory Crewdson

Publié le

6 décembre 2023

Avec sa série photographique "Eveningside", Gregory Crewdson répand l’atmosphère glaçante d’une Amérique délabrée dans les salles de la galerie Templon. L’artiste américain achève un cycle en trois temps, entamé en 2012 par "Cathedral of the Pines", suivi quatre ans plus tard de "An Eclipse of Moths". Cette fois-ci, la série approfondit les thèmes de l’absence de soi et de la désolation.

Eveningside ©Gregory Crewdson

On le surnomme le "Edward Hopper de la photographie". Exposées pour la toute première fois en France, les photos-tableaux de Gregory Crewdson fascinent par leur aura fantomatique : elles se situent aux frontières de l’ultra-réel et de l’irréel, de l’inconscient et du cauchemar, de l’absence et de la présence. "Eveningside", c’est la fin d’un cycle, le retour au noir et blanc, et enfin, le portrait d’une Amérique désolée et rongée par un trouble profond.

The Corner ©Gregory Crewdson

Un sentiment d’"inquiétante étrangeté"

Des femmes de ménage sous une voie ferrée, au milieu des gravats et des graffitis, une patronne de bar, seule derrière la vitre de son établissement vide, ou encore une femme face à un miroir d’un salon de coiffure abandonné… Les photographies de Gregory Crewdson représentent une Amérique désuète, en phase terminale. Face au spectateur qui arpente les grandes pièces quasi-désertes de la galerie Templon, vingt clichés panoramiques mettent en scène la désolation la plus totale. Tout est laissé en friche, comme si une catastrophe venait de se produire. Partout, des étiquettes, de vieilles pancartes, des affiches abîmées, disent la faillite de magasins sans doute dépassés par les grandes firmes modernes. On pense au motel dans Psychose d’Hitchcock, un réalisateur que l’artiste admire d’ailleurs beaucoup. Sur un grand nombre de photographies se trouvent des tableaux représentant une nature sauvage dans un style naïf. Cerfs, forêts, lacs, figurent une Amérique originelle fantasmée comme un âge d’or révolu et regretté. Une enseigne retient l’esprit : le salon de tatouage "Eveningside Tatoo", qui donne son nom à la série. Tout signale le crépuscule d’une époque… On dirait que la petite ville du Massachusetts contemple ses propres ruines.

Madelines ©Gregory Crewdson

Miroir sur des morts-vivants

Pionnier de la photographie de mise en scène, Gregory Crewdson radicalise dans cette série son esthétique : gothique, voire post-apocalyptique, l’atmosphère qu’il construit avec ses équipes est inquiétante. Il suggère un trouble insaisissable, schizophrénique, une tension immobile entre les sujets qu’il photographie. "Mes photographies semblent être prises entre l’avant et l’après. Il se passe très peu de chose sur chaque photo, doit soit quelque chose s’est déjà produit, soit quelque chose est sur le point de se produire, mais ne se produit jamais", explique l’artiste lors d’un entretien avec le philosophe Bruce Bégout. De fait, les personnages semblent dépassés par la situation, à bout de forces : placés dans cet entre-deux temporel, ils font penser à des morts-vivants, des sortes de zombies à bout de course. Leur regard renforce particulièrement ce sentiment de désolation : qu’ils fixent le sol, ou un miroir, le regard des sujets est absolument absent à eux-mêmes. "Je souhaite créer un sentiment d’effroi et de solitude", poursuit le photographe. Pari gagné !

The Lounge ©Gregory Crewdson

"Eveningside", Gregory Crewdson , à la galerie Templon jusqu’au 23 décembre prochain.

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